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Guinée : Me Doura Chérif dénonce les tares constatées dans la justice

Mar 29, 2010

Les audiences des assises 2010 ont été ouvertes ce lundi à la Cour d'Appel de Conakry. La justice guinéenne aura à éclaircir l'opinion nationale et internationale sur 115 dossiers dont 4 dossiers portant sur le narcotrafic. Le conseil de l'ordre des avocats a prononcé un discours jugé sévère contre l'immixtion de l'exécutif dans le judiciaire, notamment contre les services du ministère chargé des services spéciaux, de la lutte anti drogue et du grand banditisme que dirige lieutenant colonel Moussa Tiegboro Camara.
Le Premier Président de la Cour d'Appel, Me Doura Chérif s'est élevé également contre les tares constatées dans la justice guinéenne. Il a promis qu'aucun innocent ne sera condamné et que la justice jouera pleinement son rôle. Il a demandé entre autres, l'application effective du statut de la magistrature qui est signée depuis 19 ans.
La cérémonie a été rehaussée par la présence du Premier ministre Jean-Marie Doré accompagné de plusieurs autres membres du gouvernement. – AfricaLog

Les extraits du discours de Me Doura Chérif, Président de la Cour d’appel de Conakry

«...Pour réussir notre mission nous devons dans le secret de nos délibérations n’écouter ni la haine, ni la passion, ni la rancœur, ni l’effet médiatique. Nous devons sans relâche rechercher la preuve en plaçant sur les deux plateaux d’une même balance le riche et le pauvre, le chef et le citoyen ordinaire pour que la loi soit la même pour tous...»

«Rendons grâce à Dieu Tout puissant qui nous donne aujourd’hui l’occasion de nous retrouver en paix, dans ce temple mythique pour procéder à l’ouverture solennelle de la première session de la cour d’Assise de Conakry pour l’année 2010 (...)

En prenant la parole à cette occasion solennelle, je ne souhaite pas encourir le risque de votre légitime courroux pour n’avoir pas eu une pensée pour ceux qui, le 28 septembre 2009, au stade du même nom, dans la commune de Dixinn, ont été des victimes.
A celles-ci vous me permettrez d’associer ceux qui ne sont plus et qui avaient tout donné à la justice, en agents actifs des procédures de cour d’Assises.
Qu’ils s’appellent Alphonse ABOLY, Momo Tina , Maître Famoro Sydram CAMARA, ou le journaliste Abdoulaye Akass SYLLA.

Je vous prie humblement de vous lever et d’observer une minute de silence à leur mémoire. (Merci)...

Je ne souhaiterais plus m’attarder en définitions académiques à expliquer ici ce qu’est la cour d’Assises. Retenons simplement qu’aux termes de l’article 232 du code de la procédure pénale, la cour d’Assises a plénitude de juridictions pour juger les individus renvoyés devant elles par l’arrêt de mise en accusation. Elle ne peut connaître aucune autre accusation. Cela veut dire que cette formation relevant de la cour d’Appel est chargée de juger les crimes par leur nature ou alors ceux réputés comme tel par le législateur.
Je souhaite alors que mes premiers mots soient ici pour mes collaborateurs, pour les juges de mon pays.

A vous mes Chers Collègues!
Je veux m’adresser à vous, non seulement pour ce que nous incarnons, mais aussi et surtout pour l’ampleur et la délicatesse de la tâche qui nous incombe.
Dans ses observations de tout à l’heure, Monsieur le Procureur Général, faisant allusion aux affaires inscrites au rôle de la session, sans négliger les autres infractions à la loi pénale que sont les homicides, le viol, a cité des affaires aussi délicates que poursuivies par la passion, qu’il est convenu d’appeler affaires de narco- trafic que le juge du siège pour sa part, doit accueillir comme tout autre avec le principe sacré de la présomption d’innocence.
Ces affaires attendues par les opinions nationale et internationale transportent la passion, elles sont passionnées pour ne pas dire simplement qu’elles sont la passion.
Le juge pour sa part doit les débarrasser de toute passion, en ne disant que le droit. li faut se convaincre en effet que toute affaire judiciaire, toute décision de justice crée une relation émotionnelle engendrant des états dame.
Lorsque vous les jugez, bâtissez la jurisprudence, la société de son côté, édifie une conscience sociale bâtie sur vos décisions de justice. Ainsi va la justice avec ses grandes affaires, ses émotions, ses effets et surtout ses jugements sur les juges qui ne sont pas toujours compris ...

Mes Chers Collègues!
Les présentes assises de la cour d’Appel de Conakry se situent à un moment aussi sensible qu’important.

Intervenant à la suite des évènements tragiques du 28 septembre 2009, elles symbolisent aussi et heureusement la réalité que les Guinéens savent s’unir pour surmonter leurs difficultés et regarder l’avenir dans la même direction.
La mise en place d’un gouvernement d’union nationale, issu d’un dialogue fructueux et du sacrifice de divers acteurs nationaux avec le concours de l’extérieur, l’institution du Conseil National de la Transition (CNT) dont les membres sont déjà actifs, constituent à n’en pas douter la preuve de la volonté des Guinéens à transformer leurs divergences en facteurs d’unité et de sursaut national.
A preuve, c’est le moment où, chantant l’hymne des temps futurs des Guinéens sont déjà placés sur le starting block pour aller à la conquête des suffrages.
C’est aussi en ce moment que le devoir interpelle le système judiciaire Guinéen pour rendre justice dans un domaine aussi sensible et délicat que la narco délinquance stigmatisée et affrontée avec courage par l’Armée Guinéenne à un moment où les opiacés étaient depuis longtemps cultivés, commercialisés et consommés dans notre pays.
La Guinée, notre pays ayant donc pris l’initiative de poursuites judiciaires dans un domaine aussi important, tout doit se faire conformément aux règles de l’art, dans le strict respect des principes sou tendant les droits de l’homme.

La justice Guinéenne doit réussir cette mission, même si l’ampleur et la puissance du phénomènes requièrent que la lutte contre la narco criminalité soit désormais concertée comme celle menée à travers le monde contre les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique qui ne peut plus exclure ni grandes puissances, ni pays en développement.
Cette action doit regrouper autour de conventions internationales comme celle de Kyoto et susciter des sommets comme celui de Copenhague.
Je reste alors convaincu que les juges Guinéens rendront des décisions de justices naturellement puisées de notre droit positif et qui, par leur vocation à l’universalité seront considérées comme un apport de qualité, une contribution positive à l’édification d’un droit nouveau depuis longtemps enserré dans un vieux débat doctrinal.
Le faisant, la Guinée , par sa justice, apportera force et vigueur à des initiatives comme celles prises en 1978 par la France , initiatrice du rapport Monique Pelletier sur l’ensemble des problèmes de la drogue, des initiatives comme celles que les Etats-Unis d’Amérique ont défendues sous la conduite de Monseigneur Brent à la Conférence de Shanghai.
Les juges Guinéens doivent alors contribuer par notre droit national à soutenir des conventions comme celle de la Haye de 1912 ou encore celle de Genève de 1925.
Nous, juges Guinéens devons avoir vocation à apporter notre contribution au programme de Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID) et que par notre action, même nos officiers de police judiciaire et surtout eux entretiennent une collaboration efficace et moderne avec l’organisation Internationale de police criminelle (OIPC) Interpol.
 

Chers Collègues

Pour réussir notre mission nous devons dans le secret de nos délibérations n’écouter ni fa haine, ni la passion, ni la rancœur, ni l’effet médiatique. Nous devons sans relâche rechercher la preuve en plaçant sur les deux plateaux d’une même balance le riche et le pauvre, le chef et le citoyen ordinaire pour que la loi soit la même pour tous.
C’est de cette façon et seulement de cette façon que la justice Guinéenne donnera l’onction légale à des actes, des gestes et des faits accomplis au nom et pour le compte de la République. Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,
Dans la vie des peuples et des nations, il est des événements qui génèrent l’ère du temps. L’ère du temps génère à son tour un mode de vie, un langage, un vocabulaire spécifique et tout cela campe une époque de l’histoire.

Aujourd’hui, on parle de transition en Guinée. Pour longtemps que durera cette phase historique, chaque chose portera la marque de ce mot par ce que la transition est entrée dans la vie des Guinéens.
 

Cela veut dire que le navire « Rivière du Sud» battant pavillon Guinée Conakry est à l’escale sur le territoire appelé Espérance.
Les Passagers sont dans le navire dont ils ne descendent même pas parce qu’ils connaissent les règles du jeu. Ils prennent leurs désirs et leurs souhaits en patience, sachant que le transit n’est pas leur destination.
Ils bavent en outre d’où ils viennent et où ils veulent aller. Ils savent que leur point de départ et les étapes qu’ils ont parcourues sont marqués par des mots comme Indépendance, Révolution, Socialisme,
Redressement National, Démocratie, CNDD et maintenant TRANSITION Ah! Quel long chemin? ...

L’ autonomie, contrôles d’usage pour mieux prendre l’envol et la vitesse de croisière afin de parvenir à la destination qui s’appelle République du bonheur, de la paix , du développement, de l’Etat de droit réel, de la sécurité et de la démocratie vraie. Ils savent que tout cela dépend intimement des dispositions concrètes qui seront prises sur (le territoire du transit. C’est en des périodes exceptionnelles que se bâtissent les grandes Nations.)
Ils ont surtout confiance, rassurés que leur navire est piloté par un des plus grands soldats de notre pays qui s’appelle SEKOUBA KONATE qui est général de Brigade et que le copilote s’appelle Jean Marie DORE, un homme d’Etat qui a une réputation de républicain.
Ils ont confiance et acceptent de continuer le voyage sous la conduite d’un homme d’arme et d’un homme d’Etat.

Au motif de cette confiance Monsieur le Premier Ministre, je suis en charge d’un message pour votre honneur. Un message que les juges de mon pays m’ont chargé de vous communiquer avec humilité, sagesse, courtoisie et déférence, sans jamais trahir les vertus de la vérité auxquelles ils m’ont enjoint de rester fidèle. Ils m’ont rassuré d’ailleurs que vous êtes un homme de vérité.
Dans le premier volet de ce message, les juges saluent avec beaucoup de bonheur votre élévation à la dignité de Premier Ministre, Chef du Gouvernement et vous souhaitent toutes les chances de succès. Votre profil d’homme de droit est pour eux un motif d’espérance. Ils vous remercient d’avoir honoré de votre haute présence cette cérémonie.

Le second volet de ce message est un cahier de doléances, des doléances qui vous interpellent, vous et les membres de votre Gouvernement.
En ouvrant ce cahier, vous aurez l’excuse et la grâce de vous réfugier derrière le nom et parfois fa mémoire de tous ceux qui ont assumé une part de responsabilité Gouvernementale, dans notre pays depuis 1984 et pourquoi pas de penser aux héros du CMRN, ceux qui ont édifié les fonds baptismaux de concepts comme démocratie, Etat de droit, multipartisme, droit de l’homme dans notre chère Guinée.

De quoi s’agit —il alors Monsieur le Premier Ministre?

Il s’agit d’assurer l’indépendance de la Magistrature, de la rendre effective, une Indépendance exigeant l’application su Statut de ce corps.

Depuis le 23 décembre 1991en effet, deux lois ornent le paysage législatif Guinéen. La Loi LI 9IIIOICTRN portant Conseil Supérieur de la magistrature et la Loi L /91/11/CTRN portant Statut de la Magistrature.

Depuis deux décennies donc ces deux lois jumelles souffrent malheureusement de leur maladie contagieuse d’inapplication chronique. Les juges, en désespoir de cause, cherchant les raisons de la maladie suspectent une anémie, un manque de volonté politique longtemps entretenue par des hauts cadres de ce pays qui, faisant légion ont été appelés à des fonctions Ministérielles et qui ont pu tenir au nom du peuple un minimum légal de 6 935 conseils ordinaires de Ministres sans jamais réussir à trouver une voie pour la justice Guinéenne.
Prenons simplement l’article 2 de la loi organique sur statut de la magistrature qui dispose: « Les Magistrats sont nommés par Décret du Président de la République, sur position du Ministre de la justice, après avis du conseil supérieur de la Magistrature ».
Pendant 19 ans, ni Président de la République , ni aucun ministre de la république n’a pu mettre cette disposition en application, même si, à la réalité certains s’y sont essayés.
La raison est très simple, il faut dominer la justice, car dompter cette force est conforme à la démocratie prônée sous les tropiques où le pouvoir est fondé à l’origine sur la chefferie traditionnelle, difficile à concilier avec le principe de la séparation des pouvoirs légué par Montesquieu.

La justice doit être à la solde de l’exécutif. Elle doit faire ce que veut l’exécutif, comme il (e veut, dans les circonstances qu’il veut et au moment voulu.
On pense que la justice n’est belle que lorsqu’on a le pouvoir d’obtenir sa décision par télécommande. Quel anachronisme après la chute du mur de Berlin et la disparition du bloc Soviétique.

La stratégie consistait à maintenir le magistrat sous l’épée de Damoclès, le déporter par un ukase à la moindre résistance. Voila une réalité de notre système judiciaire qui a connu mutations de Magistrats, même du siège par note de service, par arrêté et même à la limite de la vexation et du mépris de la loi par simple radio message, en toute violation des dispositions de l’article 9 du statut. Les lois sur la Magistrature doivent s’appliquer même dans l’intérêt de la répression des fautes professionnelles telles la corruption et l’incompétence.
Voila Monsieur le Premier Ministre, une situation que vous devez changer pour sauver une République où tous les décrets relatifs à la mutation des magistrats depuis 1991 sont entachés de nullité absolue.

Monsieur le Premier Ministre,

Votre chantier dans le domaine de la justice est vaste. Il est institutionnel, infrastructurel et de divers ordres. Fort heureusement, compétence «rationae loci» vous relevez du Tribunal de Première Instance de Dixinn qui est abrité par une maison en location et susceptible d’être assigné en déguerpissement par un particulier. Cela signifie tout.
Nous savons tous que le Tribunal de Première Instance de Kaloum est situé dans une ancienne permanence du Partie Démocratique de Guinée PDG. Cela est révélateur. Le plus troublant est que ce problème infrastructurel est dédoublé à fa cour d’Appel de Conakry par sa combinaison avec un problème institutionnel préoccupant par la cohabitation de cette cour avec le Département de la justice dans le même immeuble, le Ministère en haut et la cour en bas, offrant ainsi l’image du judiciaire ployant sous le faix de l’exécutif.
Cette image chasse l’investisseur de notre pays, rebute le touriste même lorsqu’il a été fasciné par la beauté de la presqu’ile de Kaloum, des chutes de la Soumba ou par la particularité de la Dame de Mali qui fait oublier les chutes du Niagara ou le plateau de Guizèh.
Cette image empêche que le Guinéen de l’étranger revienne au pays même si on a crée un Département Ministériel pour lui.

Monsieur le Premier Ministre,

Nous souhaitons ardemment, nous demandons humblement, nous espérons vivement que vous changerez cette situation avant la fin de cette session sans attendre les fouilles de GUICO PRESS pour que, par votre action l’initiative qui avait été prise par le gouvernement Lansana KOUYATE sorte de son état de projet.

Nul ne s y opposerait, même pas le Ministre de la justice, le Colonel Siba LOHALAMOU, lui-même Officier de police judiciaire qui, dans un esprit démocratique et républicain marque quotidiennement son adhésion à toute transformation heureuse du système judiciaire. Il faut corriger cette image largement diffusée à travers le monde par le journaliste Laurent Koro de Radio France Internationale comme pour compliquer fa tâche à son confrère Abdoulaye Djibril DIALLO qui sait que RFI est écouté à Bagdad, à Téhéran ou Rangoon.

Au Barreau

Je veux vous rendre hommage et à travers vous à tout le barreau de Guinée pour les efforts quotidiens que vous ne cessez de fournir dans l’intérêt de l’Etat de droit en Guinée.
Appelez pour partager cet hommage les anciens bâtonniers dont vous êtes digne héritier et qui ont beaucoup fait pour l’évolution de la jurisprudence en Guinée...

Continuez à cultiver la déontologie de votre métier pour que chacun de vos confrères sache et répète qu’à côté des honoraires il ya les honneurs de votre profession.
A cet honneur mérité je veux associer la presse Guinéenne en général et la presse privée en particulier, cette autre sentinelle de l’Etat de droit en Guinée qui a encouru la prison, la menace et les vexations pour Obtenir les résultats d’aujourd’hui.

A vous Huissiers de justice, Notaires, Commissaires priseurs, soyez rassurés du soutien de la cour d’Appel de Conakry qui comprend vos difficultés et vos efforts pour que force reste à la loi dans notre pays. Mesdames et Messieurs, Chers invités,
La Cour d’Appel de Conakry vous remercie d’être venus à cette fête du droit et elle me charge de donner l’assurance à tous nos compatriotes, à tous les Diplomates en poste dans notre pays, à toutes les organisations de défense de droit de l’homme en Guinée et dans le monde que la présente session ne sera gouvernée que par le droit et la procédure.

Nous venons de donner à la Cour Pénale Internationale les gages de notre compétence technique qui doivent être complétés par la volonté politique de nos dirigeants.
Aucun innocent ne sera condamné à cette session. Si un accusé était libéré, tous les hommes et toutes les femmes du monde dont le très déterminé Felipé Calderon, Président de la République du Mexique devront se lever pour dire : « il ya des juges en Guinée mais vraiment cet autre accusé a vraiment mérité d’être condamné ».

C’est à ces mots Mesdames et Messieurs qu’en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la loi, je déclare ouverts les travaux de la première session de la Cour d’Assises de Conakry pour l’année 2010.

Je vous remercie. »
 

 

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