Tout Washington décortique ses moindres paroles. Un jour, il paraît pencher vers une candidature; le lendemain, il douche les espoirs de ses amis. Le vice-président américain Joe Biden osera-t-il se lancer dans la course à la Maison Blanche face à Hillary Clinton?
Meurtri par la mort de son fils Beau, qui a succombé à un cancer en mai à l'âge de 46 ans, le septuagénaire habituellement si enthousiaste et chaleureux s'interroge publiquement sur sa force mentale et sa capacité à lancer une troisième candidature à la présidence. Des interrogations intimes qu'il a encore dévoilées jeudi chez l'animateur vedette Stephen Colbert.
Ceux qui connaissent et observent ce vétéran de la politique disent que la franchise et l'authenticité avec laquelle Joe Biden répond aux questions sur ses ambitions sont des qualités qui font mouche avec les électeurs, dans un monde de télésouffleurs et d'éléments de langage.
Politiquement, tous les feux sont au vert. La favorite Hillary Clinton ne cesse de perdre du terrain dans les sondages, empêtrée dans l'affaire de sa messagerie. Un effondrement qui a gonflé la cote de Joe Biden, que les sondeurs incluent dans leurs enquêtes. Il est à 20 % des intentions de vote en moyenne, derrière Hillary Clinton (46 %) et le sénateur Bernie Sanders (23 %).
Joe Biden lui-même, dans ses fonctions de vice-président, teste le terrain. Il serre les mains comme en campagne, et s'amuse des encouragements que les démocrates lui lancent à chaque sortie. Il s'est rendu ce mois-ci en déplacement officiel en Floride, l'un des États-clés des élections présidentielles. C'est là qu'il a déclaré que le premier facteur dans sa décision serait son niveau d'«énergie psychologique», et non sa capacité à lever des fonds.
La mort de Beau n'est pas la première tragédie à frapper Joe Biden. Sa première femme et leur petite fille ont été tuées dans un accident de voiture en 1972. Il s'est depuis remarié.
«L'hésitation de Joe est réelle. On avait envie de toucher l'écran pour le consoler», dit à Bill Pascrell, membre démocrate de la Chambre des représentants, et ami de Joe Biden depuis les années 1970, à propos de l'interview du vice-président jeudi soir avec Stephen Colbert.
«Ce n'est pas du cinéma. Il lutte vraiment intérieurement et c'est plus important pour lui que l'audience, les sondages, ou ce que les gens attendent de lui», dit l'élu.
Dans l'interview, Joe Biden a estimé que personne ne devrait se présenter à la fonction suprême sans être capable de «regarder les gens dans les yeux et de leur promettre qu'ils pourront compter sur tout mon coeur, toute mon âme, mon énergie et ma passion».
«Et je mentirais si je disais que j'étais prêt», a ajouté Joe Biden. «Je suis complètement honnête».
Cette image d'humilité et d'authenticité, qui lui a valu de commettre quantité de gaffes dans sa longue carrière, marque le contraste avec Hillary Clinton, dit Timothy Hagle, professeur de sciences politiques à l'Université de l'Iowa. La démocrate, 67 ans, est jugée par une majorité d'Américains comme indigne de confiance.
«L'affection pour lui est universelle dans notre camp», dit un autre membre démocrate de la Chambre. «Mais les gens sont sceptiques, ils ne savent pas s'il en est capable».
Bill Pascrell est d'accord. La compassion, le deuil, le sourire... ces qualités plaisent aux électeurs, mais «ça ne veut pas dire que vous êtes prêts à devenir président». Joe Biden connaît certes désormais les rouages de la Maison Blanche, où il travaille depuis 2009. Mais aux primaires de 2008, il n'avait jamais décollé.
En attendant, l'heure tourne.
Les primaires commenceront le 1er février 2016 et les candidats déclarés Hillary Clinton et Bernie Sanders ont déjà une solide infrastructure de campagne: des dizaines de salariés, des bureaux dans les États stratégiques, et des dizaines de millions de dollars dans les caisses.
Joe Biden avait dit qu'il se déciderait avant la fin de l'été. Puis des rumeurs prédisaient une décision au début du mois d'octobre. Le premier débat des primaires démocrates aura lieu le 13 octobre.
Il est possible que Joe Biden attende jusqu'au dernier moment, afin de voir si Hillary Clinton continuera sa chute. Il pourrait alors se présenter en recours pour le parti démocrate. - AfricaLog avec agence