La France s'affiche comme première de la classe en matière de lutte contre la délinquance financière internationale, mais "elle est bonne dernière à l'heure de saisir ou de restituer les avoirs et biens mal acquis qu'elle abrite".
En lançant cette pique dans un rapport publié mercredi 24 juin, le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire) écrit en connaissance de cause. C'est sur la base de la version précédente de ce document dénonçant les "biens mal acquis" publié en 2007 qu'ont été déposées deux plaintes contre des chefs d'Etat africains, dont le Gabonais Omar Bongo, récemment décédé, et le Congolais Denis Sassou Nguesso, et leurs familles. La première plainte a donné lieu à une enquête de police qui a révélé leur considérable patrimoine immobilier, avant d'être classée sans suite. La seconde a été déclarée recevable en mai, mais l'ouverture d'une information judiciaire reste suspendue à un appel du parquet, qui dépend du ministère de la justice. Le CCFD voit dans ces tentatives de "mettre des bâtons dans les roues", un signe de la "complaisance (de la France) envers les dictateurs et leurs héritiers". "Si la France braquait aujourd'hui les projecteurs sur les biens et avoirs des dictateurs sur son sol, indique le rapport, elle devrait également expliquer pourquoi elle est si longtemps restée leur terre d'asile" et leur protectrice, au nom de la défense des "intérêts français". Au palmarès des "principaux dictateurs" corrompus, le CCFD place en tête Saddam Hussein et le chah d'Iran renversé en 1979. Mais plusieurs protégés actuels de la France figurent en bonne place, comme le Congolais Sassou Nguesso, le Gabonais Bongo et le Camerounais Biya. "105 MILLIARDS DE DOLLARS" De fait, si la France se targue de disposer d'un arsenal législatif exemplaire, elle l'actionne peu efficacement, au point de n'avoir "procédé à la restitution d'aucun bien ou avoir mal acquis" aux populations spoliées. Trois propriétés en France de l'ex-empereur centrafricain Bokassa ont été vendues aux enchères... au profit d'une banque. Et les demandes de restitution formulées par des autorités haïtiennes, togolaises, nigérianes et irakiennes se sont heurtées à des refus français. "Il est piquant que ce soit grâce à la Suisse, note le CCFD, que l'ambassade d'Irak à Paris soit parvenue à récupérer (...) la somptueuse villa près de Cannes du demi-frère de Saddam Hussein, Barzan Al-Tikriti." Au niveau mondial, seuls dix Etats ont pu bénéficier de telles restitutions. Pourtant, la restitution des biens détournés est un principe juridique internationalement reconnu depuis la signature, en 2003, de la Convention de l'ONU contre la corruption. Le CCFD note que la lutte contre le terrorisme et la crise financière ont encouragé "la montée en puissance de la lutte contre la corruption comme sujet majeur des relations internationales". Pour autant, il ne s'agit pas seulement de mettre en oeuvre des principes. Le CCFD considère les restitutions comme "un véritable enjeu de financement du développement". Le document estime le montant des spoliations de "105 milliards à 180 milliards de dollars" pour trente "kleptocrates", soit "plusieurs fois" le montant de l'aide internationale. Et précise que seuls "1 à 4 % des avoirs détournés" ont été restitués. Face à un bilan aussi "pathétique", le CCFD appelle l'Europe à "montrer l'exemple", et la France à accomplir "un geste politique fort". – Le Monde