La décision était attendue. Le ministre écossais de la Justice a annoncé jeudi la libération pour raisons humanitaires d'Abdelbaset Ali al-Megrahi, condamné à la prison à perpétuité pour l'attentat de Lockerbie en 1988, atteint d'un cancer en phase terminale. Une décision que Washington a immédiatement dit "profondément regretter".
Al-Megrahi, seule personne jamais condamnée pour cet attentat, souffre d'un cancer de la prostate en phase terminale. Il a été "autorisé à rentrer en Libye pour y mourir". Quelques heures plus tard, sur l'aéroport de Glasgow, Al-Megrahi a monté, lentement, les marches d'un avion de la compagnie aérienne libyenne Afriqiyah, qui s'est envolé à destination de Tripoli. L'attentat contre le Boeing 747 de la Pan Am au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie avait fait 270 morts, 259 personnes à bord, des Américains pour la plupart, et 11 au sol. Ancien officier des services de renseignement libyens, Abdelbaset Ali al-Megrahi, arrêté en 1991 en Libye et assigné à résidence, avait été livré à la justice écossaise en 1998. Condamné en 2001 à la perpétuité avec une peine de sûreté de 27 ans par un tribunal spécial écossais siégeant aux Pays-Bas, il n'en aura purgé que huit. Son coaccusé Amin Khalifa Fhimah a lui été acquitté. "Notre croyance est que justice doit être faite mais que la clémence doit exister", a déclaré le ministre, Kenny MacAskill, en annonçant sa décision, qui fait polémique aux Etats-Unis mais également en Ecosse. "Certaines blessures ne peuvent jamais guérir, certaines cicatrices jamais s'atténuer. On ne peut pas attendre de ceux qui ont été atteints qu'ils oublient, ni qu'ils pardonnent. Cependant, M. Al-Megrahi fait désormais face à la sentence imposée par un pouvoir supérieur", a-t-il ajouté. Kenny MacAskill a noté que Lockerbie était certes "la pire atrocité terroriste jamais commise sur le sol britannique", mais que, les médecins ayant donné pas plus de trois mois à vivre à Al-Megrahi, ce dernier pouvait bénéficier d'une remise en liberté pour raisons humanitaires. Un avis qui n'est pas partagé outre-Atlantique. "Comme nous l'avons déjà dit à maintes reprises à des représentants du gouvernement du Royaume-Uni et des autorités écossaises, nous continuons de penser que Megrahi devrait purger sa peine jusqu'au bout en Ecosse", a ajouté le porte-parole de la Maison Blanche Robert Gibbs, faisant part à de "profonde sympathie" envers les familles des victimes qui souffrent chaque jour. La secrétaire d'Etat Hillary Clinton avait auparavant téléphoné à MacAskill, l'exhortant à ne pas libérer Al-Megrahi. Sept sénateurs américains lui ont écrit une lettre avec la même réclamation. La libération d'Al-Megrahi, considéré comme un héros et un bouc-émissaire de l'Occident en Libye, intervient à quelques jours des 40 ans de la révolution qui porta Moammar Kadhafi au pouvoir, le 1er septembre 1969. Le procès et la condamnation d'Al-Megrahi ont fait partie d'une vaste négociation entre les Occidentaux et la Libye: après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le colonel Kadhafi a renoncé au terrorisme et démantelé son programme secret d'armement nucléaire, se refaisant ainsi une virginité sur la scène internationale. Deux ans plus tard, la Libye reconnaissait sa responsabilité dans l'attentat et acceptait de verser des compensations aux familles des victimes, geste qui débouchait sur la levée des sanctions internationales. Depuis, les compagnies pétrolières occidentales ont repris pied en Libye, notamment la Britannique BP. "Je trouve ça dégoûtant et tellement écoeurant que je trouve à peine mes mots", déclarait l'Américaine Susan Cohen, qui a perdu sa fille de 20 ans, Theodora, dans l'attentat. "Qui parle de libération compassionnelle? Il s'agit plutôt de donner à Kadhafi ce qu'il veut pour que nous puissions avoir le pétrole", s'est-elle insurgée. "Je ne comprends pas les Ecossais", a renchéri Kara Weipz, qui a perdu son frère, Richard Monetti, à bord du vol 103. "Je n'ai pas de compassion pour quelqu'un qui n'a montré aucun remords." Le pasteur britannique John Mosey, dont la fille Helga, 19 ans, est morte dans l'attentat, a quant à lui trouvé "juste qu'il rentre chez lui mourir dans la dignité" avec sa famille. "Je pense que c'est notre devoir de chrétiens de faire preuve de clémence." AP