Sur le tarmac brûlant, sept des fils du président Omar Bongo, vêtus d'un complet anthracite, attendent, ce jeudi 11 juin, le jet rapatriant à Libreville la dépouille mortelle du chef de l'Etat gabonais, décédé à Barcelone. Parmi eux, un homme à la démarche pesante de catcheur s'agite dans la fournaise, téléphone à l'oreille, entre les militaires de toutes les armes qui vont rendre les honneurs.
Quelques hymnes plus tard, Ali Ben Bongo, 50 ans, fils aîné du défunt président, se tiendra au pied de la passerelle, autant dire aux portes du pouvoir. Evoquer la succession du "vieux" ? "Il est trop tôt, c'est indécent. Ce qui nous préoccupe, c'est le recueillement", a seulement déclaré l'intéressé. Depuis près de vingt ans, son père a favorisé la carrière du seul de ses garçons à être entré en politique, sans jamais en faire explicitement son héritier. Et depuis l'annonce officielle du décès du "doyen de l'Afrique" après quarante et un ans de règne, Ali Ben Bongo, ministre de la défense, semble avoir pris les rênes du Gabon. Certes, devant les caméras, la présidente du Sénat trône dans le fauteuil doré du président de la République, en vertu de la Constitution. Mais c'est lui qui, à la télévision, a appelé les Gabonais au calme peu après que la nouvelle du décès a été finalement officialisée. Lui qui, dans la foulée, a décrété la fermeture des frontières. Lui le patron de l'armée dont quelques véhicules blindés patrouillent en ville. Lui dont la très probable candidature à la prochaine élection présidentielle agite le pays. Lui enfin que la France cajole discrètement au nom de la stabilité. Au risque de favoriser une succession héréditaire, déjà vue au Togo ou au Congo-Kinshasa, qui révulse nombre de Gabonais. La France, Ali Ben Bongo y a été formé. Il se prénommait Alain-Bernard, jusqu'à la conversion à l'islam de son père en 1973, au moment du choc pétrolier. Selon sa biographie officielle, il est né en 1959 à Brazzaville (Congo français), où son père était militaire. Envoyé très jeune comme pensionnaire dans un collège protestant des Cévennes, il a poursuivi un cursus des plus classiquement huppés : études secondaires au collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine, puis droit à l'université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) avant d'intégrer, à Libreville, le cabinet de son père, qui s'est hissé au pouvoir en 1967. Il n'a que 29 ans lorsque "Papa Bongo" lui offre rien de moins que le ministère des affaires étrangères. Le mur de Berlin vient de tomber et, au Gabon comme ailleurs en Afrique, le régime du parti unique est contesté. En 1990, le gouvernement Rocard envoie les parachutistes rétablir l'ordre et la production pétrolière, après des émeutes. Ali Ben Bongo devient alors le chef de file des jeunes loups du Parti démocratique gabonais (PDG) présidé par son père. Avec son contemporain André Mba Obame, il affronte les caciques du PDG rétifs à l'habillage pluraliste souhaité par le président Bongo. "Ali s'est battu pour l'ouverture démocratique. Son père nous chargeait de dire à la vieille garde du parti ce qu'il ne pouvait dire lui-même", dit M. Mba Obame, aujourd'hui ministre de l'intérieur, qui affiche un soutien indéfectible à Bongo junior. La carrière éclair de ces deux mousquetaires du régime reflète la volonté du président de leur préparer le plus brillant des avenirs. En 1991, les deux compères se font éjecter du gouvernement après le vote par les caciques du parti d'une réforme instaurant un âge minimum de 35 ans pour devenir ministre. Les voilà étiquetés "rénovateurs", une appellation qui désigne moins une intention réformiste que l'appartenance à l'une des écuries en selle pour la succession. Bongo fils et Mba Obame personnifient aujourd'hui la face répressive du régime, celle qui a placé en détention des opposants de la société civile en décembre 2008 et tenté de riposter aux plaintes déposées à Paris contre les "biens mal acquis" par la famille Bongo, en dénonçant une agression française. Député dans le berceau paternel rebaptisé "Bongoville", Ali Ben Bongo avait reçu un nouveau présent pour ses 40 ans, en 1999 : le très stratégique ministère de la défense. Il ne l'a jamais quitté depuis, choyant les militaires en les équipant totalement de véhicules Mercedes et, à chaque élection, d'uniformes neufs. Pour réaliser cette promotion filiale, Bongo père a été jusqu'à écarter un général, Idriss Ngari, rétrogradé de la défense aux travaux publics, puis à la santé. Il est aujourd'hui l'un des innombrables rivaux d'Ali Ben Bongo au sein même du PDG. Mais l'irrésistible ascension, jusqu'au firmament présidentiel, de l'enfant gâté surnommé "Baby Zeus", est tout sauf écrite. L'homme, aux allures pataudes, est loin d'avoir hérité du charisme paternel. A la différence du président disparu, il ne maîtrise pas les langues locales. Perçu comme méprisant et peu en phase avec une population largement plongée dans la misère, Ali Ben Bongo représente aussi la perpétuation d'un système opaque et corrompu dont bien des Gabonais se disent las. "Il ne connaît pas les Gabonais et inversement, reconnaît un de ses proches. Seule la campagne électorale pourra corriger son image." Aux rumeurs faisant de lui un fils adoptif et non biologique d'Omar Bongo, il a répondu récemment en faisant raconter son accouchement à Patience Dabany, la première épouse d'Omar Bongo, sur les ondes de la télévision nationale. En 2008, l'enquête sur les "biens mal acquis" révèle qu'il possède un appartement avenue Foch à Paris et deux Ferrari, ce qui ne l'a probablement pas rapproché du peuple. Pas plus que l'article publié en 2007 dans la presse britannique décrivant son ex-femme, Inge, intéressée par l'achat d'une demeure à Hollywood, au prix de 25 millions de dollars. Pourtant, l'imposant ministre de la défense, aujourd'hui marié à Sylvia Valentin, fille d'un important assureur français de Libreville, a accumulé tant d'atouts politiques qu'il part en pole position dans la course à la succession paternelle. Outre la maîtrise de l'armée et des élections grâce à son ami ministre de l'intérieur, Bongo junior a la haute main sur la mécanique du parti, dont il est l'un des vice-présidents depuis peu. Il préside le conseil supérieur des affaires islamiques et il est réputé proche des pétroliers américains et arabes. Son rendez-vous avec Nicolas Sarkozy à l'Elysée, en décembre 2008, a été perçu comme un adoubement. Pour gagner l'élection, dont l'enjeu majeur reste le partage de la manne pétrolière, "Monsieur Fils" devra impérativement disposer du soutien de sa soeur Pascaline, gardienne du trésor des Bongo. Défi politique, la succession du patriarche s'annonce surtout comme un casse-tête patrimonial. Depuis la mort de leur père, Ali et Pascaline affichent ostensiblement une tendresse mutuelle. - Libération