Des excuses officielles, une indemnité de 30 000 francs suisses (20 000 euros) à verser à l'Unicef (Fonds des Nations unies pour l'enfance), et des sanctions contre les policiers qui s'en sont pris à Hannibal Kadhafi (quatrième fils du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi) et son épouse, interpellés, en juillet, à Genève pour avoir frappé leurs domestiques. C'est ce que Tripoli réclame à Berne pour clore un dossier devenu ultrasensible.
A la mi-juillet, une plainte pour maltraitance, contrainte et menace avait été déposée par deux employés des époux Kadhafi, un Marocain et une Tunisienne, lors d'un séjour dans un palace genevois. Sur la base d'expertises médicales et de témoignages concordants de femmes de chambre employées de l'hôtel, un juge genevois ouvrait une instruction.
Le 15 juillet, Hannibal Kadhafi était arrêté et emprisonné durant trois jours. Sa femme, Aline, enceinte de huit mois, assignée à résidence à l'hôpital. Après paiement d'une caution, le couple s'envolait pour Tripoli. Le régime libyen, par la voix d'Aïcha Kadhafi, la fille du Guide suprême de la révolution, lançait alors un rageur "Œil pour oeil, dent pour dent."
Depuis, deux hommes d'affaires suisses, emprisonnés au plus fort du scandale, ne peuvent toujours pas quitter le territoire libyen, inculpés pour infraction à la loi sur le séjour. Le retrait de la plainte par les domestiques des Kadhafi, en septembre, n'y aura rien fait. François Membrez, leur avocat, rappelle que le frère du domestique marocain a disparu le 27 juillet à Tripoli, "probablement assassiné". "Il est indécent que les Libyens protestent contre le traitement infligé à deux personnes suspectes d'infractions au code pénal, alors qu'ils n'ont vraisemblablement pas hésité à exécuter un innocent", ajoute-t-il.
RAPPORTS CONTRADICTOIRES
La querelle suisso-libyenne se focalise maintenant sur l'interpellation du couple Kadhafi. Une commission d'enquête indépendante ad hoc, composée d'un juriste suisse et d'un juge libyen, s'est réunie en août et en novembre, auditionnant des témoins. Deux rapports contradictoires ont, en partie, été révélés dans les médias.
Selon Lucius Caflisch, l'expert helvétique, les forces de l'ordre genevoises ont agi dans la légalité, mais les recommandations du ministère fédéral des affaires étrangères d'agir avec précaution n'ont pas été suivies. Menotter Hannibal Kadhafi était "inutile, inapproprié et surtout humiliant", écrit-il, et il aurait été préférable que les époux Kadhafi soient convoqués et non interpellés par une vingtaine de policiers.
A l'époque, la justice genevoise avait fait valoir que, resté en liberté, le couple pouvait faire pression sur les témoins. L'expert libyen Mohamed Werfalli affirme, quant à lui, que l'arrestation était "contraire à la législation suisse et internationale" ainsi qu'"à la convention de Vienne", exigeant de Berne et Genève des excuses, assorties d'une indemnité à verser à l'Unicef. Les conclusions des deux juristes sont censées se fondre dans une synthèse finale.
En attendant, les autorités helvétiques refusent de communiquer sur ce dossier. Mise à part l'interdiction de vol en Libye pour la compagnie Swiss, les menaces de représailles "économiques" (retraits des avoirs libyens et arrêt des livraisons de pétrole) sont restées lettre morte. Mais le sort des deux ressortissants et les tracasseries faites aux entreprises suisses implantées en Libye inquiètent. – Le Monde