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Guinée-Bissau: Une querelle d’ego perd le Président

Mar 03, 2009

Après un attentat meurtrier contre le chef d’état-major, ses partisans abattent Joao Bernardo Vieira. Le pouvoir décapité sur fond de rivalités ethniques. Il a fini comme il a commencé, par un putsch. Le président Joao Bernardo Vieira, surnommé "Nino" ("le petit"), a été assassiné lundi matin à son domicile, par des soldats.

Selon le récit d’un journaliste local, les insurgés ont commencé à assiéger la résidence, une villa du centre de Bissau, un peu avant l’aube. Après une longue fusillade avec les gardes du corps et des tirs de roquettes, les mutins ont pénétré la résidence. "Le Président était encore vivant, selon cette source. Ils lui ont dit qu’ils venaient venger leur chef d’état-major, Batista Tagmé Na Waie. Puis ils l’ont abattu".

Plus tard, le corps de Nino Vieira a été chargé dans un véhicule pour être emmené à l’hôpital. La nonchalante capitale de la Guinée-Bissau a vécu, ces dernières 48 heures, l’une de ces poussées de fièvre dont elle est coutumière, aussi violente que soudaine. Bombe sous l’escalier

Dimanche soir, le vieux chef d’état-major rentre au quartier général de l’armée, dans ce qui lui tient lieu de bureau, une pièce nue aux murs écaillés avec un vieux bureau tout usé. De toute façon, Tagmé Na Waie, un homme rude de 65 ans, dont une bonne partie en brousse, s’en servait peu : il ne savait ni lire, ni écrire A peine a-t-il posé le pied dans l’escalier, qu’une explosion secoue le bâtiment. La bombe, de forte puissance, était placée sous l’escalier. Il n’a pas survécu à ses blessures. Ses partisans, fous de colère, auraient alors monté le raid contre la présidence.

Depuis plusieurs semaines, la tension montait entre les deux hommes. En décembre et janvier, le Président et le chef d’état-major avaient été visés dans des tentatives de meurtre non élucidées. Ils se connaissent depuis la guerre d’indépendance. L’un comme l’autre avaient rejoint au début des années 60 le maquis fondé par Amilcar Cabral contre la férule coloniale portugaise. Le père de l’Indépendance, tué en 1973, n’a jamais vu le départ des Portugais, un an plus tard. Ni la suite de l’histoire de son pays, une longue litanie de coups d’Etat, réussis ou ratés.

Épuration des Balantes

"Nino" Vieira était, lui-même, arrivé au pouvoir en 1980 à la faveur d’un putsch. Au début, "primus inter pares", il n’a eu de cesse, tout au long des années 80, d’épurer le haut état-major pour éviter d’être lui-même victime d’un coup de force. C’est, d’ailleurs, en 1985-1986 que se noue le drame qui lui a sans doute coûté la vie lundi. A l’époque, Vieira agite la menace d’un putsch des Balantes pour se lancer dans une sanglante épuration. Les Balantes sont l’ethnie la plus nombreuse et la plus méprisée de Guinée-Bissau, surtout par les "côtiers", qui se sont plus volontiers mélangés aux colons. Ils se sont donc engagés en masse dans la guérilla indépendantiste, noyau de la future armée nationale.

Les officiers balantes n’ont jamais pardonné à Vieira cet épisode. Une décennie plus tard, ils se rangent au côté du chef d’état-major Ansoumane Mané, qui tente de renverser Vieira. Moins de deux ans de guerre civile (1998-1999), où le Sénégal et la Guinée-Conakry interviennent pour sauver Vieira, suffisent à détruire le peu d’infrastructures du pays. Rien, ou presque, n’a été reconstruit à ce jour, même le palais présidentiel, envahi par les herbes folles et les oiseaux. A la fin de la guerre, Vieira s’enfuit au Portugal et Mané se fait assassiner peu après.

Les Balantes croient leur heure venue : leur champion, le politicien Kumba Yala, est triomphalement élu en 2000 lors de la première élection réellement démocratique de l’histoire du pays. Mais sa gestion calamiteuse lui vaut d’être déposé par le nouveau chef d’état-major, Verissimo Saebra Correia, un général proche de "Nino" alors en exil. Correia se fait lui-même tuer par des officiers balantes, dont Tagmé Na Waie, qui prend sa place en 2004. L’année suivante, l’insubmersible Vieira rentre au pays et se fait élire Président à la régulière. Yala, converti à l’islam et soutenu par Kadhafi, échoue.

Depuis, c’était la paix armée entre le renard "Nino" et les crocodiles de l’état-major. Dans un pays où la politique ressemble à un jeu d’échec mortel entre de vieux joueurs qui se connaissent par cœur, chacun guette le moindre faux pas de l’autre. Vieira réussit à convaincre les Européens de financer un plan de démobilisation de l’armée, vécu comme une provocation dans les casernes.

Tout s’accélère en août lorsque le chef d’état-major de la Marine, Bubu Na Tchuto, un Balante, convaincu de trafic de drogue à grande échelle, est démis. Sa tentative de coup d’Etat déjouée, il s’enfuit en Gambie. Vieira est soupçonné, lui aussi d’avoir trempé dans le trafic de cocaïne colombienne vers l’Europe, mais il a su rester discret. De la drogue, des armes, des rancœurs politiques, ethniques et personnelles.

Il ne manquait plus qu’une fin digne d’un polar. C’est fait. – La Libre

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