Un huissier s'est présenté, lundi 28 septembre à l'Elysée, pour y délivrer à "Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa, président de la République, demeurant Palais de l'Elysée, 55 rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris" une assignation à comparaître devant le tribunal de grande instance de Paris, pour atteinte à la présomption d'innocence.
Le dépôt de cette plainte avait été annoncé, mercredi 23 septembre, par les avocats de Dominique de Villepin, après la diffusion, sur TF1 et France 2, des propos du président de la République affirmant, à propos de l'affaire Clearstream : "Au bout de deux ans d'enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être traduits devant un tribunal correctionnel." Selon le texte de l'assignation, ces propos sont une "atteinte aussi flagrante qu'extrêmement grave" à la présomption d'innocence de M. de Villepin, qui est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour complicité de dénonciation calomnieuse, complicité d'usage de faux, recel d'abus de confiance et de vol. Rappelant que, selon l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme, "tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable", la défense de M. de Villepin observe que les propos de M. Sarkozy sont "l'affirmation brutale de la culpabilité des prévenus dans le procès Clearstream" et que cette affirmation "concerne nécessairement M. de Villepin". Elle estime en outre que la suite de la déclaration du chef de l'Etat – "les juges décideront qui a fait ça, pourquoi on a fait ça, qui sont les opérateurs et qui sont les commanditaires" – confirme et "amplifie" cette atteinte. "En effet, relève le texte de l'assignation, selon , la culpabilité des prévenus dans ce procès ne faisant aucun doute, les juges n'auront plus qu'à décider de la répartition des rôles" entre opérateur et commanditaire. Les avocats de M. de Villepin ajoutent que l'heure de diffusion – les journaux télévisés de 20 heures – et les fonctions de M.Sarkozy, président de la République et, à ce titre, garant de l'indépendance de la justice, "confèrent à cette atteinte une intensité exceptionnelle". L'issue judiciaire de cette démarche est d'ores et déjà connue puisque l'immunité pénale dont bénéficie le chef de l'Etat rend impossible toute poursuite à son encontre pendant la durée de son mandat. Comme ce fut le cas avec une procédure similaire intentée par Yvan Colona, le tribunal ne peut que constater l'immunité et renvoyer l'examen de cette plainte à l'échéance d'un mois après la cessation des fonctions présidentielles de M. Sarkozy. Mais la démarche des avocats de M. de Villepin est avant tout destinée à alimenter le débat sur le problème que pose, selon eux, la constitution de partie civile du chef de l'Etat, en matière de rupture du principe de l'égalité des armes devant la justice. Après les divisions suscitées par les propos présidentiels au sein de la majorité, notamment lors des journées parlementaires de l'UMP au Touquet, jeudi et vendredi, M. Sarkozy a reçu le soutien de François Fillon. Interrogé dans le Journal du dimanche, le premier ministre a indiqué : "Dans cette affaire, il y a une victime principale, le président de la République. Et on ne doit pas transformer les victimes en coupables." La ministre de l'économie et des finances, Christine Lagarde, a, pour sa part, observé, lors de l'émission "Le grand jury RTL-Le Figaro-LCI" : "J'ai été avocate. L'adage dit que quand la politique entre dans un prétoire, la justice en sort." Elle n'a pas précisé lequel de ses deux confrères avocats – M. de Villepin, prévenu, M. Sarkozy, partie civile – cet adage visait. – Le Monde