AfricaLog vient d’obtenir le rapport sur évènements sanglants de N’Nzérékoré. Le vendredi 29 janvier 2010, aux environ de 12 heures locales (GMT), une jeune fille, Jeannette SAGNO, 28 ans, revenait de PKAYA, un village situé à 10km de Nzérékoré en allant à BEYLA, où se tenait un marché hebdomadaire. Arrivé près de la mosquée dénommée « FORET SACRE », située dans le quartier de Gonia 2, elle trouva la rue occupée par les musulmans qui célébraient la prière hebdomadaire de vendredi. Elle insista pour passer et se voit interdite de passage par un garde communal, Souleymane CAMARA. Une altercation s’en suivit puis la bagarre éclata entre les deux individus. Les sages se saisissent de la question et convoquent une assemblée réunissant la « communauté des ressortissants », les sages eux-mêmes et les « organes consultatifs » pour dénouer la crise. Les résolutions suivantes ont été adoptées et soumises à l’autorité pour exécution :
1- le remboursement des deux millions cinq cent mille francs guinéens (soit 250 euros) que la femme a déclaré avoir perdu ainsi que les quatre-vingt (80) kg de riz qu’elle a affirmé également avoir perdu pendant les heurts.
2- L’interdiction faite aux musulmans d’occuper la voie publique pendant les prières ;
3- La prise en charge des frais nécessaires pour les soins de santé de la fille ;
4- La présentation d’excuses publiques à la fille accompagnées de noix traditionnelles de colas ;
5- La prise de sanction par le conseil de mosquée contre les coupables.
Le vendredi suivant, le 05 février précisément, des forces de l’ordre ont été dépêchées sur les lieux pour faire respecter la décision de non occupation des voies publiques ; une corde de délimitation a donc été attachée à cette fin. Des jeunes musulmans mécontents de cette mesure ont réagi en coupant la corde et en envoyant des cailloux en direction des forces de l’ordre. De violents affrontements ont lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants faisant ainsi, cinquante et un (51) blessés parmi lesquels quatorze (14) militaires et huit (8) hospitalisations ; certains jeunes non musulmans seraient venus au secours des forces de l’ordre en envoyant des cailloux en direction des manifestants, ce qui expliquerait le bilan relativement lourd. La bataille se transporte dans les quartiers et opposent désormais les malinkés aux guerzés, deux ethnies qui se sont déjà affrontées dans les années 90 suite à des divergences politiques.
Ainsi, des morts sont à déplorer :
1- Le 06 février, Joseph BALAMOU, 38 ans, chauffeur, a été battu à mort ;
-Arafan KEITA, 50 ans, est porté disparu, puis retrouvé enfoui dans la terre derrière la concession Eugène Philipe LOUA, chef du quartier de Bama 2 une semaine plus tard.
2- Le 07 février, Yacouba KEITA, commerçant, 47 ans, mort brûlé vif dans sa maison et trois blessées.
3- Le 08 février, Djefadima KANTE, 60 ans, a été retrouvée égorgée dans sa maison, sa belle fille poignardée puis hospitalisée, une autre, Moussa KONATE, portée disparu et quatre blessés.
Le gouvernement a dépêché sur place une mission dirigée par l’ancien gouverneur de région et ministre de l’agriculture, Bouréma CONDE. La mission comprenait des religieux, musulmans et chrétiens qui ont réussi à faire baisser la tension, même si le calme est précaire. Je signale que le dimanche 08 février, seulement une heure après le départ de la délégation, une femme a été blessée avec son enfant et transportée d’urgence à l’hôpital.
RECIT :
Les émeutes qui ont ensanglanté la ville de N’Zérékoré sont partis du côté nord de la mosquée dite de la « forêt sacrée ». C’est cette route qui avait été occupée par les musulmans pour célébrer la prière de vendredi et c’est par là que désirait passer la demoiselle jeannette SAGNO. La mosquée se situe au quartier Gonia 2. Jeannette est une non musulmane de 28 ans et est originaire du quartier Gbagalaye ; son père, connu sous le pseudonyme de « ivoirien » est un ancien résidant de la Côte-d’Ivoire voisine. L’imam Sékou KOUROUMA affirme que la route a été occupée parce que le côté Nord qu’occupaient une partie des fidèles connaît des travaux actuellement et que tous les fidèles se sont retrouvés du même côté. Il a également expliqué que l’école primaire collée à la mosquée ouvrait sur la troisième voie et que les fidèles risquaient d’être dérangés a la fin des cours, raison pour laquelle ils préfèrent ne pas s’y installer.
Un responsable de la société civile a affirmé sous anonymat que les routes ont toujours été barrées pendant les prières de vendredi et que les travaux en cours n’étaient qu’un alibi.
Sékou Abassi KOUROUMA, dit « géographie », né le 28 mars1972 à Sibiribaro dans la préfecture de Kérouané. De Mory et de Wata Camara. Il est professeur d’arabe et est l’imam principal de la mosquée incriminée. C’est lui qui a conduit les négociations et s’est engagé à soigner Jeannette et à lui restituer ce qu’elle dit avoir perdu, c’est-à -dire les deux millions et demi de francs guinéens, soit environ deux cent cinquante euros, et quatre-vingt kg de riz. Il a adressé un rapport contenant sa version des faits à sa hiérarchie, la ligue islamique communale dont nous nous sommes procurés copie que vous trouverez à la page suivante :
Yacouba KEITA. 47 ans, commerçant à Nzerekore. De Mamadi et de Naromba Djoumessy, domicilié au quartier Astaldi où la plupart des pertes en vies humaines ont été enregistrées. Yacouba était polygame : sa première épouse s’appelle Nankoria KEITA et la seconde en se nomme Kadiatou KEITA et c’est dans la chambre de cette dernière que Yacouba aurait trouvé la mort, brûlé vif. Yacouba était père de quatre enfants dont deux filles. Nous avons recueilli beaucoup d’informations sur les circonstances de sa mort, mais celle qui nous a paru plus précises et plus détaillée est celle de sa seconde épouse, sous les yeux de laquelle toute la scène s’est déroulée jusqu’à l’instant tragique. Nous vous livrons fidèlement le contenu de son témoignage :
Kadiatou KEITA donc, la vingtaine, de Mandjou et de Mbalou CONDE raconte :
:Le samedi 07 février 2009, au lendemain des émeutes de vendredi à la mosquée de la « forêt sacrée », j’étais dans ma chambre avec mon mari et nous bavardions ; il était précisément 17 heures 20 minutes quand ma coépouse est venue l’informer de rumeurs qui circulaient dans le quartier et qui faisaient état de la décision de certains jeunes guerzé qui se préparaient à venir nous attaquer. Il se leva brusquement et alla à la porte, puis revint prendre son fusil et des munitions qu’il a soigneusement caché dans un sac qu’il déposa près de lui. Il nous demanda de ne pas nous affoler car de toutes les façons, nous n’avons pas d’échappatoire s’ils veulent s’attaquer à nous. Quelques instants plus tard, une moto passait avec un militaire derrière ; dès que le militaire aperçut mon mari, il sauta de la moto et se mit à le pourchasser. Des jeunes guerzés l’ont aidé et il a été rattrapé ; je ne sais vraiment pas ce qui est arrivé là -bas, mais j’ai vu mon mari revenir à la maison, blessé à la tête. Il est venu se coucher à nouveau dans ma chambre et je le voyais souffrir énormément. Ma coépouse avait disparu de peur, et moi je ne pouvais pas l’abandonner, bien que j’avais peur. Je décidai de le supporter et de mourir avec lui. Des hommes en tenue militaire sont venus s’introduire dans la maison et ils l’ont ligoté ; je criais et personne ne venait à notre secours.Quand je tentais de le détacher avant l’arrivée des parents que nous avions appelés au téléphone, j’ai vu entrer deux messieurs que je connais et qui sont des amis à lui. L’un s’appelle Siba et l’autre Pépé. Ils sont entrés et ont aspergé la maison d’essence avant de mettre le feu. J’ai tenté de tirer mon mari en vain et il m’a demandé avec force de partir vite et de le laisser mourir. J’ai pris la fuite en abandonnant mon pauvre époux dans la flamme. Alertées, les forces de sécurité sont allées, paraît-il soustraire son corps sans vie des cendres, et voilà comment s’achève ma vie de couple. Je veux la justice, rien que la justice, il faut la justice.
Après avoir analysé les différents témoignages, nous sommes surpris de l’acharnement dont a été victime Yacouba et qui a conduit à sa fin tragique ; aussi, nous pensons que quelque chose de précis devait être reproché à tort ou à raison à Yacouba. Nous avons eu l’impression que le militaire était à la recherche de Yacouba, pourquoi ? Pourquoi Yacouba s’est-il armé de fusil ? Savait-il qu’il était recherché par ceux qui voulaient le tuer ? Yacouba aurait-il fait usage de son arme ?
Voilà autant de questions qui méritent d’être répondues. Ce qui nous a marqué durant cette enquête est l’appel à la justice lancé par la pauvre veuve et nous sommes d’avis avec elle.
Cette pauvre dame égorgée ( sur la photo) s’appelle Djéfadimah KANTE, 60 ans, née à Bodou dans la préfecture de kérouané ; de Djèba et de Djessona KOUYATE, épouse de Sidiki DOUMBOUYA, commerçant à Nzerekoré ; elle était mère de quatre enfants dont deux filles. Domicilié au quartier Manangbolo derrière Astaldi , elle reçut la visite de ses bourreaux au moment elle était seule à la maison avec sa belle fille, Gnalen KOUROUMA, épouse de son fils Laye KOUROUMA, en voyage au moment des faits.
C’était le dimanche 08 février 2009, à 11 heures du matin, selon Gnalen, qu’un groupe de jeunes guerzés est entré à la maison et sans dire mot, j’ai vu ma belle-mère terrassée et immobilisée ; l’un a sorti son couteau et l’a égorgé comme un mouton avant de me poignarder au dos quand je tentais de m’échapper. Je précise que Gnalen était le seul témoin oculaire de cette tragédie et au moment où nous diligentions l’enquête, elle était hospitalisée au lot numéro 15 de la salle une de l’hôpital principal de Nzerekoré, assistée de sa mère Fatouma KOUROUMA. Gnalen est mère de trois enfants dont deux filles et elle ignore son âge, de même que sa mère. Des connaissances pensent néanmoins qu’elle aurait entre vingt et vingt-cinq ans. Fille d’un commerçant très connu de la place nommé Fodé KOUROUMA, Gnélen disait vouloir être évacuée à Conakry pour recevoir des soins.
Le voisin de la famille, Karamo KONATE, affirme avoir été alerté par les cris de détresse et au moment de son arrivée sur les lieux, les criminels avaient déjà pris la fuite et le corps sans vie de Djessona gisait sur le sol. Il n’est donc pas capable d’apporter des témoignages sur le déroulement de la scène macabre.
Le vendredi 05 février 2009, Arafan KEITA est porté disparu. Ce cultivateur de soixante cinq ans, marié à trois épouses et père de dix-huit (18) enfants dont neuf filles est originaire de Babilla dans la préfecture de Kouroussa en haute Guinée. De Setoh et de Nountenin KEITA, il vivait avec son frère Adama KEITA, bigame d’une soixantaine d’années et père de dix-sept enfants dont sept filles.
Nous avons interrogé une dizaine de témoins, celui qui a retenu notre attention est venu de sa fille Séré KEITA, une jeune collégienne de dix-neuf (19) ans qui se prépare à affronter le BEPC. Séré est fille de la dernière épouse de Arafan, Djenabou KABA.
Selon Séré, son père aurait quitté la maison pour la prière de vendredi vers 12 heures de la journée et il n’y est plus revenu. Arafan fut retrouvé mort dans une fosse, presque en état de décomposition derrière le domicile du chef de quartier de Bama 2, Eugène Philippe, le jeudi suivant. Les autorités ont refusé que le corps soit rendu à la famille sous prétexte que cela pourrait donner lieu à des émeutes. La fosse dans laquelle le corps a été découvert a été transformée en tombe comme le montre la photo suivante :
Moussa KONATE, dit Koffi, 25 ans, de Malick et de Fanta KOUROUMA est époux de N’nassona KEITA. Ce commerçant résidant au quartier Gboyoba sous la tutelle de Moussa DOUMBOUYA, est introuvable depuis le vendredi 05 février 2002 à 12 heures locales après avoir quitté sa famille pour la prière de vendredi. Probablement tué comme Arafan, les chances de retrouver son corps s’amenuisent chaque jour et ses proches pensent que les autorités seraient en train de dissimuler l’information sur le lieu où serait caché le corps pour ne pas susciter de nouveaux soulèvements.
Moussa KONATE, 25 ans, porté disparu
De notre point de vue, le refus de rendre le corps de Arafan à sa famille après que le corps ait été découvert par des proches suscite de nombreuses interrogations. Que cherche à cacher l’autorité ? Arafan aurait-il reçu une balle tirée par les forces de l’ordre ? Que se cache-t-il derrière la disparition de Moussa KONATE ? Aurait-il été également tué par balle ?
Nous savons de toutes façons que des tirs auraient eu lieu. De la part de qui ?
Pour preuve, la dame Fatoumata SOUMAORO, épouse de Lancéï CONDE, mère de cinq enfants dont quatre fille, résidant au quartier Bohma a été transportée d’urgence à l’hôpital principal de Nzerekoré, blessée à la tête par balle ainsi que son bébé d’une année qu’elle portait au dos.
De Mamoudou et de Kadiatou CONDE, cette ménagère se trouvait dans un état difficile au moment où nous voulions lui parler au téléphone. Une infirmière de l’hôpital qui a requis l’anonymat a confirmé que la dame a été blessée par balle.
Après examen de tous les dossiers relatifs à ce malheureux épisode de la vie sociale de Nzerekoré, nous avons pu nous faire la conviction suivant laquelle, des causes plus profondes pourraient être prises en compte pour mieux cerner toutes les dimensions du conflit.
CAUSES PROFONDES OU LOINTAINES DU CONFLIT
1-LES SEQUELLES DU CONFLIT DES ANNEES 90 :
En 1990, après l’adoption de la loi fondamentale instituant le multipartisme en Guinée, une reforme engagée par le gouvernement du général Lansana CONTE, devait aboutir à la suppression des sous-préfectures au profit des communes urbaines : les sous-préfets nommés devaient être remplacés par des maires élus au suffrage universel. Il faut noter qu’à Conakry, les sous-préfets sortants n’ont pas été autorisés à se présenter aux élections communales. A Nzérékoré, le sous-préfet Ibrahima Khalil KEITA, se porte candidat et selon lui, un message serait passé à la radio pour informer que les sous-préfets pouvaient désormais se présenter comme candidat. Cette version des faits a été confirmée par le ministre de l’intérieur de l’époque, docteur Allassane CONDE qui dit : « Ibrahima Khalil avait bien le droit de se présenter et sa candidature respectait les normes légales en vigueur. ».
Entre mars et avril 2009, le général Lansana CONTE est venu à Nzérékoré où il a annoncé « qu’on ne peut pas prétendre être maire là où on n’est pas autochtone. » ; ainsi donc, la candidature de Ibrahima Khalil fut annulée le 04 juin 1990, c’est-à -dire cinq (05) jours avant le scrutin. A ce propos, un responsable de la société civile de la région affirme : « ces propos ont sonné le glas de la cohabitation pacifique entre les communautés malinkés et guerzés dans la région. C’est le début de l’intolérance et du repli identitaire à Nzerekore. » ; Interrogé sur la question, le ministre de l’intérieur d’alors confirme : « La candidature de Ibrahima Khalil a été annulée pour des raisons de positionnement politique et d’ailleurs, il n’y a pas eu d’acte administratif car c’est moi qui devait en prendre et je ne l’ai pas fait parce qu’il ne se justifiait nullement. L’annulation a été verbale et le principal intéressé s’y est soumis pour éviter d’être la cause de violences politique et j’ai salué son courage à l’époque. L’autochtone qui l’a remplacé sur la liste des candidats a d’ailleurs été égorgé par les populations locales. ».
Les élections tenues donc comme prévu le dimanche 09 juin 1990 a consacré la victoire de Michel GUELY, le candidat potentiel originaire de la région. Des scènes de joie éclatent et tournent à l’affrontement entre ceux qui étaient mécontents de l’annulation de la participation de leur candidat et ceux dont le candidat avait été élu. Demba KEITA fut alors poignardé et l’auteur est immédiatement mis aux arrêts par la police militaire et détenu au commissariat.
Des manifestants réclament sa libération et Djibril BANGOURA, chef de la sûreté ordonne sa mise en liberté immédiate ; le commissaire obtempère et les proches de Demba décident de se faire justice à eux-mêmes et le domicile de nouveau maire est incendié. De violents affrontements s’en suivirent pendant plusieurs jours à Nzérékoré et environs.
Le bilan est lourd, plus d’un millier de vies humaines sont détruites et autant de blessés et des dégâts matériels inestimables.
CONCLUSION PARTIELLE 1 :
Ces affrontements ont eu pour conséquence de diviser les populations de la région sur des bases ethniques et religieuses ; ainsi, la société de cette région s’est retrouvée avec le groupe mandingue (malinkés, konias, toma manias) qui ont en commun l’usage de la langue et les « autochtones », principalement les guerzés. C’était le but recherché par le général Président Lansana CONTE qui avait besoin de cette division pour éviter la mainmise de son opposition politique sur la région car, cette région voisine du Libéria en guerre (depuis dix ans à l’époque) était stratégique pour la stabilité du pays.
Aussi, nous remarquons que malgré cette ethno stratégie du pouvoir, on aurait pu éviter le pire si la justice du pays fonctionnait correctement ; autrement dit, si l’autorité politico administrative n’avait pas ordonné la libération de celui qui a fait usage de l’arme blanche contre son camarade pour régler une divergence politique. Si, la justice avait joué son rôle, la famille de Demba n’aurait pas recours à la vengeance pour se faire justice à elle-même, et si celle-ci s’était référée à la justice, on n’aurait pas décompté plus d’un millier de morts dans les deux camps. Et après ces douloureux évènements, les blessures seraient guéries si l’Etat avait tiré les leçons du passé pour faire fonctionner correctement la justice en consacrant l’indépendance des magistrats. Puisque rien n’a été fait pour corriger les défaillances de la justice, les séquelles sont restées, la méfiance est née entre les communautés et la peur de l’autre est devenue la règle fondamentale des relations sociales dans la région. Vingt ans après donc, les vieux démons de la haine, de l’intolérance et de la violence ont refait surface pour faire dégénérer un conflit opposant deux individus en affrontements meurtriers entre communautés. Ceci est une preuve évidente du fait regrettable que les dirigeants guinéens ont toujours entretenu les dysfonctionnements du système judiciaire pour en tirer des bénéfices politiques.
2- LA DIMENSION ECONOMIQUE ET CULTURELLE DU CONFLIT
Nzérékoré est la principale ville de la Guinée forestière ; elle est située à mille (1000) km de Conakry la capitale ; et l’ethnie guerzés en est l’ethnie autochtone. Les guerzés se sentent envahis par ceux qu’ils considèrent comme étrangers, c’est-à -dire les guinéens originaires d’autres régions du pays. Il faut dire que l’essentiel des activités économiques et politiques échappent au contrôle des autochtones qui sont pour la plupart des agriculteurs sans moyens et pratiquement sans assistance ; ils sont numériquement dominés par les autres qui leur ont imposé leur langue (le malinké est la langue de commerce en Guinée forestière).
Un autre fait très important est que les forestiers d’origine sont chrétiens ou animistes pour l’essentiel, mais l’islam reste la religion dominante de la région. Il faut reconnaître que l’Islam est moins tolérante avec les pratiques animistes auxquelles les guerzés sont très attachés ; les sermons contre les fétiches, la consommation d’animaux non égorgés selon les rites musulmans, notamment la consommation des animaux comme le porc sont constamment dénoncés dans les mosquées et tendent à rabaisser les non musulmans qui, de fait sont de guerzés, au rang d’êtres inférieurs ou de citoyens méprisable. Les familles musulmanes n’acceptent pas de voir leurs filles avec des non musulmans tandis que leurs fils ont accès aux filles non musulmanes. Les éléments de culture de la forêt, basés sur des pratiques non musulmanes sont sérieusement menacés. Ces agissements réduisent les originaires de la forêt à des citoyens de seconde zone dans leur propre pays et cela crée une frustration qui les révolte. Aujourd’hui, les guerzés tentent d’affirmer leur hégémonie ainsi celle de leur culture sur la région de Nzérékoré et ils usent parfois de la violence pour exprimer leur rejet de ce qui leur paraît être une négation. Et tant que les musulmans ne feront pas preuve de plus de tolérance à l’endroit des autres religions de la forêt, ce besoin d’estime va toujours conduire les non musulmans à revendiquer leur droit de culte et, puisque la justice demeure identique à elle-même, les revendications se feront dans le sang.
CONCLUSION PARTIELLE 2 :
La tolérance et l’acceptation de l’autre dans le respect de la différence demeure l’option de la cohabitation pacifique en région forestière. L’islam ne doit plus constituer une menace pour les religions et même la culture des autochtones en Guinée forestière. Les guerzés ont été poussés dans un repli identitaire qui les met constamment sur la défensive et les tient prêts à user de la violence pour faire face à tout ce qui apparaîtra à leurs yeux comme une menace pour ce qu’ils considèrent aujourd’hui comme une question de vie ou de mort.
Il est clair aujourd’hui qu’une voie intermédiaire mérite d’être définie par les dignitaires musulmans pour faire de la Guinée forestière, une région d’exception dont la stabilité dépend en partie de la reconnaissance de leur choix religieux et le respect de ce choix. Tant que les originaires de la forêt continueront d’être stigmatisés dans leurs pratiques religieuses et culturelles, tant qu’ils se sentiront assimilés à des sauvages, ils donneront leur vie et en détruiront pour faire prévaloir leur droit à la dignité, à la considération et à l’estime, ne serait-ce que sur la terre de leurs ancêtres, et ce sans être obligés de renier leur identité.
Nous suggérons alors que soit organisé un débat national pour délimiter les frontières au-delà desquelles tout religieux sera redevable devant la justice. La culture de la stigmatisation, de la diabolisation et de la peur de l’autre doit disparaître des sermons religieux dans les mosquées et les lieux publics.
3-LA DISQUALIFICATION DU CAPITAINE MOUSSA DADIS CAMARA, CHEF DE LA JUNTE GUINEENNE
CONCLUSION GENERALE :
Le manque d’indépendance de la justice a créé chez les guinéens un sentiment de vide qu’il faut combler par la violence ; la loi de la jungle est perçue en Guinée comme le seul moyen de se protéger contre les injustices.
Si les guinéens avaient confiance en leur système judiciaire, ils y auraient eu recours et c’est certains que les musulmans se seraient soumis à la décision de justice ; si les jeunes ont contesté la décision de contrôler le périmètre de la prière à l’aide d’une corde par les autorités militaro-politique, c’est parce qu’ils ont perçu la décision comme arbitraire, parce non prise à la suite d’un procès contradictoire qui auraient mis chacun devant ses responsabilités dans la plus grande transparence. Encore le manque de justice faute à la non indépendance des magistrats.
Les affrontements ont cessé grâce à la médiation menée par l’équipe déléguée par le Président par intérim et dirigée par Bouréma CONDE, ministre sortant de l’agriculture et ancien gouverneur de Nzérékoré redevenu depuis cette semaine, gouverneur de Nzérékoré. C’est une paix très précaire car les circonstances qui ont réveillé les vieux démons du mal existent encore et le capitaine Dadis reste à Ouagadougou sous la menace d’une inculpation par la cour pénale internationale suite à ses responsabilités dans les massacres du 28 septembre.
Nous sommes certains que dans les semaines ou les mois à venir, des nouveaux affrontements plus sanglants et inimaginablement meurtriers sont à prévoir.
Il est à signaler que si la région de Nzérékoré n’est pas pacifiée, elle pourrait constituer une épine dans les pieds de la transition. Nous serons surpris d’aller à des élections libres et apaisées dans ces conditions, où même à des élections tout court. D’autres prétextes seront rapidement trouvés pour justifier des troubles pouvant entraver la marche déjà très pénible du peuple de Guinée vers des élections libres et apaisées dans les meilleurs délais.
RECOMMANDATIONS:
1- la création d’un cadre de dialogue regroupant la société civile, les sages, les religieux, les jeunes y compris l’Association Saint Robert (ASARO) qui est un élément essentiel de la recherche d’une paix durable dans la région, les femmes, les médias, les forces de défense et de sécurité tel que celui qu’elle a organisé en juillet 2009 à Nzérékoré et dans toutes les régions administratives du pays ;
2- Financer les projets d’assistance judiciaire et juridique pour redonner confiance aux populations quand à la possibilité d’obtenir un procès juste et équitable sans distinction aucune et quelque soit son rang social ;
3- Tout mettre en œuvre pour que la COUR PENALE INTERNATIONALE prenne ses responsabilités dans les massacres du 28 septembre afin de faire comprendre aux dirigeants guinéens qu’ils ne peuvent disposer impunément du droit à vie et de mort sur leurs populations.
4- Accélérer la mise en place du bureau des Nations-unies pour les Droits de l’Homme en Guinée et faciliter la mise en place rapide du Plan d’Action National contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance tel que préconisé dans la recommandation finale du séminaire sous-régional tenu à Lomé au Togo du 07 au 10 décembre 2010.
5- Appuyer la RADDHO-Guinée pour la formation d’au moins cinq observateurs locaux pour permettre à la population de s’approprier les élections et d’être juge pour ne pas se faire instrumentaliser après les élections pour avoir un poste de premier ministre ;
6- La communauté des bailleurs de fonds ne devra financer le gouvernement guinéen que pour des actions entrant dans la préparation des élections et conditionner ces aides l’organisation des élections dans les délais requis car rien ne peut justifier que la Guinée ne puisse pas aller à des élections crédibles avant six mois.
7- Les élections dans un délai de six mois devra être la préoccupation majeure du gouvernement, de la communauté nationale et internationale ; même en cas de trouble n’affectant pas la moitié du territoire nationale, le pays doit pouvoir se doter d’institutions légitimes élues car les élections demeurent la condition sine qua non d’une réforme réussie et durable des armées et du système judiciaire qui, elle-même constitue la condition de la stabilité nécessaire à la rupture d’avec les pratiques répugnantes d’impunité et de violations répétées des droits humains plusieurs fois réclamée dans le sang par le vaillant peuple de Guinée.
Fait à Conakry, le 18 février 2010
LE PRESIDENT, RADDHO- Guinée, MAMADI KABA