Sa langue lui aurait encore fourché. Devenu coutumier des frasques, il a brûlé cette fois-ci toutes les règles de politesse et de courtoisie, du bon traitement de l’étranger dont l’Afrique a le secret. Il n’a pas eu ce brin de retenue utile à un chef. Des propos à dérouter les spécialistes de la diplomatie.
Oui, Abdoulaye Wade a tancé publiquement l’ambassadrice des Etats-Unis d’Amérique au Sénégal. Motif invoqué : elle a osé donner des leçons à l’exécutif sénégalais, ce qui serait, à en juger par la réaction de Wade, un crime de lèse-président. L’ambassadrice a signé une tribune dans laquelle elle a invité le gouvernement sénégalais à accentuer la lutte contre la corruption . Au pays de Wade, pardon, au pays dirigé par Maître Wade, cela est inacceptable, mieux, mérite une réponse fracassante et publique à la hauteur de l’affront. Cette attitude est tout de même déplorable à plus d’un titre. L’ambassadrice n’est-elle pas dans son bon droit, elle, dont le pays met l’argent de ses contribuables à la disposition du Sénégal pour accompagner ses efforts de lutte contre le sous-développement, la pauvreté ? N’est-elle pas dans son bon droit de demander à ce pays de prendre des dispositions à même de garantir une bonne gestion de ces fonds ? Elle a fait son devoir.
La colère de Wade, si elle ne l’est, ressemble fort à un aveu de culpabilité. Les nombreuses rumeurs qui entourent la gestion opaque de certains de ses proches collaborateurs ne militent pas en sa faveur en matière de gestion saine de la chose publique. On a encore fraîchement en mémoire cette fameuse mallette d’argent remise par Wade en guise de cadeau d’au revoir à un responsable du FMI qui quittait Dakar et qui n’a pas, à juste titre, manqué de faire des gorges chaudes ayant valu même une demande d’explication adressée à Wade par le Directeur du FMI.
Et quand Wade évoque la corruption qui existe aux États-Unis en brandissant comme preuve l’escroquerie de Bernard Madoff, on se rend compte qu’on semble vraiment avoir perdu le nord au sommet de l’Etat sénégalais pour les simples raisons que le cas Madoff n’est pas une affaire liée intrinsèquement à la bonne gouvernance des affaires publiques américaines. Au demeurant, pour cette escroquerie, l’intéressé a été condamné à la prison à vie. Quel présumé auteur de malversations dans l’exécutif sénégalais a déjà été appelé à s’expliquer en dehors des feuilletons politico-judiciaires entre le président et son ex-Premier ministre, qui ont d’ailleurs donné les résultats que l’on connaît ?
Abdoulaye Wade n’a pas réagi de façon élégante, galante et comme disait une des responsables du Parti socialiste sénégalais, cette réaction n’est pas sans rappeler le "Dadis Show" . Et comme dirait les juristes, il n’en a eu cure du parallélisme des formes.
En effet, s’il estimait que l’ambassadrice américaine avait fait ou dit des choses déplacées, la tradition diplomatique commande en pareille circonstance, qu’il instruise le ministre des Affaires étrangères sénégalais pour convoquer la diplomate et lui exprimer toute la réprobation du gouvernement sénégalais et cela, à huis clos. Cette réaction de Wade a tout l’air d’un abus de pouvoir. Et qu’on n’aille pas dans le cas d’espèce nous ressortir ce vieux refrain de l’ingérence des Occidentaux dans les affaires de nos Etats. Il n’ y a aucun mal à ce que les partenaires techniques et financiers invitent les Etats à améliorer leur gouvernance s’ils estiment -ce qui est hélas très souvent bien-fondé que les fonds qu’ils envoient ne participent pas suffisamment à soulager les braves populations. Le "vieux" a donc manqué de sagesse. C’est le moins que l’on puisse dire.
Cela est grave au regard de l’amitié entre les Américains et les Sénégalais, et surtout, du lien affectif que les Noirs Américains ont avec le Sénégal notamment à travers l’île de Gorée. On en vient à se demander si le chef de l’Etat sénégalais n’a pas quelque contentieux secret, inavoué et peut-être inavouable avec l’Oncle Sam, quelque dent contre Barack Obama qui préfère plaider pour l’instauration d’institutions fortes en Afrique en lieu et place d’hommes forts. Aveuglé par sa volonté d’humilier la diplomate, le président sénégalais s’est en réalité humilié lui-même tellement son comportement ne fait honneur ni à son rang, ni à son âge. – Le Pays