Par Louis Alseny Camara
Ce dimanche 27 juin 2010, les guinéens de par le monde se sont rendus aux urnes pour élire leur prochain président et enfin clôturer cette phase de transition qui, pendant plus d’un an a mis le pays au grand plan des débats politiques locaux et internationaux. Tant au pays qu’à l’extérieur, la fièvre de cet événement a donné l’impression d’être à son pic, et les dispositions ça et là semblaient être au point pour aboutir à des élections crédibles en matière de suffrage universel. Tout comme en guinée, les guinéens du monde entier se sont donnés le loisir de fièrement exercer leur droit de vote ; un droit que beaucoup avaient d’ailleurs préféré ne pas réclamer pendant de longues décennies. Ici à Washington et certainement dans d’autres états de l’union, les jeunes guinéens ont manifesté leur appui au processus électoral en organisant des barbecues, des débats entre amis et même des soirées dansantes à l’occasion.
Individuellement, nous semblions tous être prêts et comptions les heures qui nous séparaient du dimanche, sauf que des attitudes peu plaisantes et douteuses dans les locaux de l’ambassade de guinée à Washington obligeait à penser autrement.
Il y a en fait plusieurs mois qu’une équipe de recensement est passée à Washington DC pour se rassurer du nombre de guinéens en âge de voter. Comme cela se fait généralement à l’approche de toutes les élections, l’ambassade de guinée vit défiler un grand nombre de guinéens dans ses locaux pour une longue période. Pendant ce processus, l’équipe de recensement se trouvait devant un travail qui devait se montrer satisfaisant puisque le matériel à son actif était plus ou moins moderne s’il faut le comparer au système de recensement habituel: photos, empreinte digitales, adresses physiques et électroniques, numéros de téléphone et autres. C’était le top dirait-on. Sans trop s’intéresser à la rémunération qui accompagnait cette équipe, tout laissait croire que les dispositions nécessaires avaient été réunies pour la réussite du travail.
La question que beaucoup se posaient après avoir livré leurs informations était « quand et comment allons-nous recevoir nos cartes d’électeur ? » Ma réponse à moi était venue d’une femme qui avait relevé mes empruntes digitales et pris ma photo d’identification. « On vous amènera un courriel (e-mail) pour vous informer de la suite, et après vous recevrez la carte d’électeur par le poste » me rassura t-elle. Laissant derrière certains compatriotes représentants de partis politiques qui décidément étaient résolus d’y installer leurs tentes de sentinelle, je parti de l’ambassade convaincu que je serai alerté au moment opportun.
Quelques semaines plus tard, des rumeurs commencèrent à courir dans certaines causeries entre guinéens, spéculant qu’un groupe ou peut-être même des membres d’un parti politique auraient infiltré des ressortissants d’autres pays dans le recensement pour donner l’avantage à leur candidat. Pour un bout de temps, je me suis dit que ca ne pouvait arriver et qu’avec la grande rivalité entre les partis politiques, il est possible que certains s’attèleront à ficeler des histoires pour nuire. Je ne fus donc pas trop intéressé à connaitre la suite de ses rumeurs. Plusieurs mois passèrent, les campagnes présidentielles furent officiellement lancées en guinée, certains ressortissants y compris ma propre personne ne reçurent ni e-mail promis par l’équipe de recensement ni carte d’électeur dans les boites à lettre. C’est dans cette attente que mon attention fut récemment attirée par une autre causerie dans laquelle un jeune guinéen demandait comment récupérer sa carte d’électeur vue que les élections sont proches. Son interlocuteur lui répondit vite en disant de se rendre à l’ambassade ou de rencontrer un autre compatriote qui avait certainement pris soin de récupérer les cartes de son quartier. Connaissant virtuellement ces individus, je m’approchais de la causerie et demanda si celui qui détenait ces cartes d’électeur en dehors de l’ambassade était de l’équipe diplomatique de guinée. « Non, c’est le représentant d’un parti politique » me dit-il. « Et l’ambassade lui a permis de prendre des cartes d’électeur dont il n’est pas le propriétaire? » continuais-je curieusement. Notre informateur reprit en me disant que le monsieur avait juste récupérer les cartes des membres de son parti. Je commençais donc à remettre en question toute la crédibilité du processus de vote et à réfléchir sur les rumeurs d’infiltration de non citoyens dans la liste électorale à Washington et même dans d’autres états comme New York puis que les mêmes rumeurs y courraient aussi.
Persuadé donc que je n’allais recevoir ni l’e-mail ni la carte d’électeur dans ma boitte à lettre ; et après avoir appelé sans succès toutes les extensions téléphoniques du numéro central de l’ambassade du lundi 21 au Jeudi 24 juin, je m’y rendis donc le vendredi 25 pour récupérer ma carte. Arrivé dans les locaux de l’ambassade, une femme me dirigea affectueusement vers la petite salle d’attente où la personne chargée de la situation devait s’occuper de moi.
Sur le siège à coté, une compatriote présentait un visage de dégout. Elle était dans la même situation que moi et sa patience paraissait être à ses limites. Après une dizaine de minutes, la dame qu’on attendait se présenta avec des enveloppes en main et nous lança un bonjour négligé. « Mais vous ! Vous n’avez pas encore récupérer vos cartes ? » nous lança t-elle. Et comme par hasard, l’autre compatriote et moi répondîmes en même temps « Mais vous aviez promis de nous les amener par la poste pendant le recensement ! ». Avec un rire suffisamment moqueur, elle répliqua en s’adressant à sa collègue dans la salle à coté «Ecoute ces gens, ils pensent qu’on allait leur envoyer les cartes par la poste ahahahahaha !! CA VA PAS NON ? ». Dévastée, la femme à cote répondit « de toutes les façons vous recevez des fonds pour ça ! L’on se demande ce que vous en faites ». « Et ça ne sert à rien de dire aux gens qu’elles leur seront envoyez par la poste si vous savez que ça n’allait pas être le cas, parce que beaucoup risquent de ne pas pouvoir voter à cause de cela» rétorquais-je. La conversation pris vite de l’ampleur, mais notre interlocuteur la clôtura brusquement avec ceci « Savez-vous combien de guinéens y a-t-il si nous devons amener toutes les cartes par la poste? Et de toutes les façons, si nous recevons ce genre de montant, on se serait payés d’abord avant de penser à ce que vous nous racontez !! ». Le coup était un choc et le silence qui suivit était fatidique.
Notre bonne dame continua donc son service en nous étalant toutes les cartes sur la table devant elle, et nous demanda de chercher les nôtres dans le lot et ensuite signer devant nos noms sur une liste qu’elle tenait. On pouvait donc voir et même lire les informations sur toutes les cartes, une bonne cinquantaine ou peut-être plus. Pendant que l’autre compatriote réalisait que sa carte n’était pas dans le lot, j’avais déjà la mienne et attendais mon tour pour la signature. La dame de l’ambassade lui lança que si elle ne voit pas sa carte c’est quelle est avec quelqu’un de son parti. « Dans quel quartier habitez-vous? » demanda t-elle à la dame « Greenbelt » répondit cette dernière. Celle de l’ambassade continua « Mais si vous habitez Greenbelt, votre carte à été récupérée par (un nom que je me réserve de citer, mais le même qui m’avait été mentionné des jours avant) ainsi que celles de tous les guinéens qui habitent Greenbelt ».
Pour moi, la véracité des rumeurs de fraude venait de se révéler car jusque là je croyais que la carte d’électeur était un document personnel, et qu’aucune autre personne extérieur à la famille n’avait le droit de les récupérer pour quelques raisons que ce soit. Il se trouve que c’est tout autre chose qui s’est passé dans les locaux de notre ambassade à Washington. Les représentants d’un ou peut-être de tous les partis politiques ont eu à récupérer les cartes d’électeur des personnes dont ils estiment bénéficier le vote, et cela avec la totale complicité du personnel de l’ambassade. Les questions qui découlent de ces actes sont évidement de savoir comment savons-nous qui votera pour qui, et de quel droit l’ambassade a à livré les cartes d’électeur à ces représentants de partis politiques sachant que ce sont des documents privés.
Tout porte à croire que quelque chose de louche et d’irresponsable c’est produit pendant le recensement et qui oblige à remettre en question la crédibilité du processus de vote à Washington. D’abord, pendant tout le processus de recensement, aucune documentation légale (passeport guinéen, carte d’identité nationale guinéenne, extrait de naissance guinéenne, ancienne carte d’électeur ou autres) n’avait été exigée ou même demandée avant de se faire recenser. La méthode principale de vérification de nationalité guinéenne à Washington était de présenter deux témoins guinéens qui attesteraient votre nationalité devant l’équipe de recensement, et du coup, vous êtes guinéen. Un total laisser-aller et un coup très bas prouvant le niveau d’irresponsabilité de l’ambassade et la continuation de la culture de corruption dont elle est habituée.
Il est irrationnel de penser organiser des élections crédibles et transparentes sans un système fiable de vérification de citoyenneté des électeurs, surtout quand il s’agit d’un peuple dont la ramification ne se limite pas à son territoire national. Pour celui qui observe bien la géopolitique Ouest africaine, l’on peut savoir que le Teminet de la Sierra Leone se fera facilement passer pour un Baga ou un Soussou vu qu’ils parlent presque la même langue, utilisent pratiquement les mêmes noms de famille et affichent certainement la même présentation physique. Ceci est vrai entre le Peuhl de la guinée et celui du Sénégal, de la Sierra Leone, de la Cote d’ivoire, du Mali, du Niger et ainsi de suite ; entre le Malinké de la guinée et le Dioula de la Cote d’ivoire, le Bambara du Mali, le Kouranke de la Sierra Leone et du Liberia etc. Le même phénomène est visible entre certaines ethnies de la guinée forestière et ceux du Liberia, de la Sierra Leone, et du Nord-ouest de la Cote d’ivoire. Ces réalités de la sous région Ouest-africaine doivent être connues et tenues en compte par toute la mission diplomatique et tout son personnel pour précisément éviter les déboires communautaires comme les fraudes électorales.
Le jour du vote, après m’être retrouvé dans le groupe de décompte comme scrutateur à la demande d’un des membres de la commission électorale, on se rendit compte à la fin que le nombre de vote était supérieur au nombre de personnes enregistrées sur la liste d’émargement. En fait, les dispositions de la CENI voulaient qu’avant de voter, l’identité de l’électeur sur sa carte corresponde à celle de la liste électorale finale que possédaient les membres de la commission électorale et du bureau de vote. Et tout cela devait se clôturer par une signature sur la liste d’émargement et l’ancre indélébile. Cette méthode fut vite abandonnée dès les premières heures du vote, et cela pour aller plus vite selon le discours de l’ambassadeur. Le contrôle d’identité sur la liste électorale finale fut abandonné et les électeurs n’avaient qu’à montrer leurs cartes et aller tout droit dans les isoloirs. C’était clair que certains individus avaient trouvé un moyen de voter plus d’une fois après cette décision.
Pour une entité gouvernementale dont l’une des charges est de s’assurer du bon déroulement du scrutin de ses ressortissants, il faut dire que l’ambassade de guinée est clairement passée à coté de certaines de ses responsabilités. La preuve est qu’elle a même étouffé les cas de fraudes enregistrés devant tout le monde le dimanche, et laissé filler les individus appréhendés à la tache sans aucune forme de suivi comme si rien n’était. Malgré mon insistance et celle du rapporteur représentante de la société civile de clarifier la différence entre le nombre qui a voté et celui sur la liste d’émargement avant de passer à l’étape suivante, certains dans la salle y compris monsieur l’ambassadeur lui-même ont trouvé que c’était négligeable. On pouvait donc continuer et se passer d’une dizaine de votes frauduleux dirent-ils. Et ma‘grande gueule’n’y avait pas trop sa place de toutes les façons.
Ces faits doivent être jugés par le peuple guinéen lui-même car nous ne pouvons pas réclamer le changement des autres sans changer nous-mêmes, et la démarche démocratique qui nous mènera à ce point demande un certain niveau de probité et de responsabilité professionnelle. Les vieilles habitudes de corruption et de trafiques d’influence doivent s’en aller si nous voulons installer un esprit de confiance et de liberté. Les guinéens avaient besoin d’aller fièrement et de manière limpide à ces élections sans se soucier de quelque mascarade que ce soit. Mais hélas, il fallait que ces attitudes viennent de ceux là même qui vivent au cœur de la plus grande démocratie que nous connaissons. Pauvre de nous !
L’espoir ici est qu’on obtienne le minimum de résultats transparents avec le reste de nos missions diplomatiques et consulaires de par le monde et dans le pays lui-même.
Il est peut être aussi temps que celle de Washington regroupe ses officiels, les représentants des partis politiques, sa commission électorale et la societe civile pour tirer cette affaire au clair vue qu’un deuxième tour s’avère inévitable dans ces élections. J’ai décidé de mettre ces faits sur papier pour appeler tous les guinéens qui le liront à réfléchir sur les différentes attitudes vis-à-vis de ces élections et sur ce qui peut advenir quant à la relation entre les ressortissants et les ‘’diplomates’sensés de gérer leurs affaires administratives. Ils nous diront certes qu’ils n’ont pas été payés depuis des mois, mais on devrait peut-être aussi demander comment ils s’en sortent aux états unis sans un salaire. Je souhaite qu’un des officiels de la mission diplomatique de Guinée à Washington ou monsieur l’ambassadeur lui-même puisse lire cet article et d’y apporter des explications ou des critiques. C’est ensemble que nous y arriverons.
Louis Alseny Camara
WON TANARA