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Impressions de voyage et choix politique

Aug 12, 2010

Par Professeur Lansiné Kaba

Je viens de rentrer d’une tournée à l’intérieur de la Guinée. Elle m’a aidé à prendre contact avec les réalités du pays à travers des dialogues avec des leaders et des militants régionaux ainsi que des représentants de la société civile et, ce faisant, à sentir le pouls des électeurs et des électrices avant le second tour des élections présidentielles. Un tel voyage révèle aussi bien l’état délabré des infrastructures routières et l’état vétuste des bâtiments publics que celui de l’administration régionale et des services publics, contribuant ainsi à avoir une appréciation objective de la gestion gouvernementale et administrative sur les conditions de vie des populations. De plus, une tournée en période de campagne électorale s’avère utile pour juger de la véracité de la propagande des candidats à la magistrature suprême.

Force est d’admettre, dès le départ et à la décharge des vingt quatre candidats au premier tour des présidentielles, que l’enjeu est de taille. Cela est normal puisqu’en démocratie il convient que les compétiteurs s’alignent nombreux à la ligne de départ. Plus les concurrents sont nombreux, plus le choix tend à être pertinent et sage. Tel est le premier sens du pluralisme démocratique et le premier signe de la maturité des électeurs.

Le scrutin du 27 juin 2010 opposait un riche tableau de compétences individuelles. En apparence, les populations n’eurent point de peine à choisir leurs préférences. De prime abord, on apprécia la manière paisible et ordonnée dont les consultations s’étaient déroulées. Mais vite, par la suite, il s’avéra qu’un système sophistiqué de fraudes scandaleuses et de trucages massifs avait été mis en place pour produire un certain résultat prévisible escompté. Les anomalies et autres irrégularités consistaient en bourrage et vol des urnes, installation des emplacements des bureaux de vote plus ou moins loin de la résidence des électeurs selon les régions administratives, absence d’enveloppes pour sécuriser le scrutin et refus de transmettre à la Cour suprême les procès-verbaux des bureaux de vote de Kankan, Ratoma, Siguiri, Mandiana et Lola. Ces actions s’apparentent à des actes délictuels.

Il est évident que la Commission électorale autonome indépendante (CENI) aurait pu se décharger de sa mission d’une manière plus satisfaisante, nonobstant la novicité en Guinée et du système de contrôle électoral et des opérateurs de cette instance. Les électeurs estiment que la CENI a failli à sa tâche de diriger les élections dans un esprit de compétence, de transparence et d’intégrité auquel ils s’attendaient. Bien de ses actions telles que la rétention des procès-verbaux étaient inadmissibles et contraires au déroulement juste et équitable du processus démocratique. Ces anomalies troublantes posent des questions sur les intentions des membres de la CENI; de surcroît elles érodent la confiance des populations et même risquent de provoquer un conflit ainsi qu’un danger de l’anarchie et du retour des militaires au pouvoir. Car les populations croient désormais mal aux institutions de gouvernance et de justice. Toutes ces irrégularités doivent donc être corrigées et de toute urgence avant la tenue du second tour des présidentielles; c’est une affaire de patriotisme et de rectitude.

Pour rassurer les populations, renforcer le mouvement démocratique et mériter une grande place dans l’histoire, le Président de la République par intérim, le général Sékouba Konaté, qui est connu pour son absence d’ambition politique, doit faire preuve de leadership. Son semblant d’indifférence frappe. Mais qu’est-ce qu’un leader ? Un leader, c’est celui sur lequel on peut dépendre en toutes circonstances, qui fait preuve d’initiative et de responsabilité, de capacité organisationnelle et d’équité, de bon jugement et d’honnêteté. En la circonstance, la tâche du Président Konaté est de veiller sur une transition honnête et impartiale. Il s’avère donc nécessaire et urgent qu’il s’adonne à rétablir ce qui est honorable, à savoir imposer la justice dans les urnes. Le remaniement de la CENI devient indispensable. La nation s’y attend.
Fort heureusement, les Guinéens restent conscients de leur histoire et attachés à un certain idéal de la Guinée qui repose sur l’unité nationale. Aussi, la fièvre électorale se répand-elle dans le pays. Son intensité prouve l’amour que les habitants ont pour leur terroir natal et leur nation. En juin, la fièvre s’accompagnait d’une polarisation entre les candidats principalement originaires de la même région. Le vote révéla, cependant, un degré de monolithisme communautariste d’un taux particulièrement élevé en Moyenne Guinée où le parti de Cellou Diallo récolta, comme dans un système de parti unique, plus de 95 % des votes.

Après la proclamation du premier tour, la fièvre s’est transformée en une cristallisation binaire autour des candidats Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo. Pour emprunter la pensée d’un lucide observateur, il y a comme un soupçon de polarisation à caractère ethnique qui ne s’avoue pas, mais qui influence le choix électoral. Malgré tout, ce serait une erreur que de donner une coloration purement ethnique au duel entre Alpha Condé et Cellou Diallo, d’autant plus qu’Il n’y a pas de problèmes entre les Peuls et les Malinkés. En effet, l’histoire démontre que les populations des quatre régions naturelles ont toujours tissé des rapports d’interdépendance et de collaboration étroits et fraternels. Les Guinéens ont toujours eu, ont encore et doivent avoir un sens de la nation. Ils constituent une seule et grande famille solidaire envers et contre tout dont les membres ont toujours accepté, acceptent et doivent accepter leurs différences.

Le choix, simple et clair, indique deux genres de leadership remarquables, mais différents. Objectivement, les deux candidats n’ont pas le même profile ni la même envergure. Néanmoins, chacun d’eux mérite le fauteuil présidentiel, s’il gagne la confiance de la majorité des électeurs; alors, il pourra et devra aussi avoir le respect qui d’ordinaire accompagne cette dignité. La légitimité du pouvoir présidentiel émane du choix de la majorité et de l’acceptation totale et franche de ce choix par l’ensemble des citoyens. Le président, une fois élu, sera la figure emblématique de la Guinée, sans considération du nombre de votes obtenu dans chacune des régions du pays. Ces points méritent l’attention des électeurs.

On peut, cependant, constater et dresser un contraste entre les parcours voire les physionomies des candidats Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo.

Cellou Diallo offre l’image d’un leader calme et affable, posé et révérencieux, patient et attentif. Jeune et souriant, Il réveille un grand enthousiasme dans sa région et dans certaines couches de la population. Cellou est le produit de l’université guinéenne dont les diplômés gèrent les affaires du pays depuis les premières décades de l’indépendance nationale. À maints égards, il apparaît comme le prototype de la nouvelle élite sûre de son expertise. Son expérience de la chose publique se manifeste dans les secteurs de la gestion et des transports. Son acheminement dans l’administration lui a sans doute permis de créer son parti, l’Union des forces démocratiques guinéennes (UFDG). Il a en effet pris possession des rênes des deux grands partis, ceux des regrettés Siradiou Diallo et Ba Mamadou. D’aucuns se demandent si le premier ministre Cellou Dalein fut d’une grande efficacité pendant les moments difficiles des grèves de 2005.

Le candidat Diallo sera-t-il capable d’engager et de conduire le changement tant souhaité et réclamé par les populations dont la grande majorité croupit dans la pauvreté ? Cellou peut-il aussi contrôler l’appétit vorace des grands commerçants et cadres qui lui portent leur soutien monétaire ? Les alliances électorales que l’UFDG est en train de nouer avec d’autres partis peuvent-elles améliorer le score de Cellou Dalein dans la course à la présidence ?

Quant à Alpha Condé, depuis longtemps, il impressionne par ses succès académiques ainsi que par la longévité de son engagement politique qui remonte à ses années d’étudiant militant à la direction de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). Il fit de brillantes études à Paris, en effet. De plus, c’est un véritable professionnel de la politique qu’on voit, à juste titre, à l’instar d’Abdoulaye Wade au Sénégal et Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire d’il y a dix ans, comme le « grand opposant » de la scène politique guinéenne. En d’autres termes, Alpha Condé a l’image de quelqu’un dont le courage et la politique attirent bien des gens. Littéralement, le mythe « Alpha Condé » est ancré profondément en terre guinéenne. C’est l’origine de son magnétisme auprès des foules. Il pense en homme d’action et de théorie. Son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), une des premières grandes formations politiques nationales, a conquis l’âme et l’enthousiasme de beaucoup de ses compatriotes de toutes origines.

Le professeur Alpha Condé a certainement encore à acquérir une expérience de l’administration guinéenne. Néanmoins, par sa maturité, il rassure ceux qui rêvent d’une alternative à l’expérience de souffrance et de tragédie des décennies précédentes. L’alliance du RPG avec d’autres partis apporte à Alpha des soutiens valables et des compétences nationales.

En somme, la compétition pour les élections présidentielles est serrée. Quel que puisse être le résultat final, tout le monde reconnaît que la Guinée est entrée dans une phase critique de son histoire vers la réforme, la démocratie et le développement. C’est pourquoi il est important que cette amorce soit menée à bien, par un processus transparent et équitable et par des équipes compétentes et intègres, en vue d’instaurer un système de droit, démocratique et durable. Les deux candidats révèlent des images et des visions opposées. Par conséquent, les électeurs peuvent objectivement et rationnellement confier la gestion de leur pays au leader de leur choix pour réaliser le potentiel énorme dont est dotée la Guinée et en faire un État pilote, prospère et décent. Ce sera alors une victoire de la démocratie, outil par excellence de transformation qualitative de la société.

Professeur Lansiné Kaba
Professeur émérite, Chicago
Professeur Carnegie Mellon University à Doha, Qatar
Le 5 août 2010

 

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