Des centaines de milliers de petits épargnants béninois ont été ruinés, le scandale frappe le monde politique, religieux et économique.
Longtemps, le Bénin s'est cru à l'abri des turbulences de ce monde. Cotonou, la capitale économique de ce pays de sept millions d'habitants, cultivait des allures de gros village tranquille. Pourtant, même cette région d'Afrique presque dépourvue de richesses naturelles n'est plus à l'abri des soubresauts de la mondialisation. Un scandale financier d'une ampleur sans précédent vient d'éclater dans le «pays du vaudou».
Des Madoff made in Bénin sont accusés d'avoir ruiné des centaines de milliers de petits épargnants. Ils promettaient des rendements à 200%. Tellement alléchants que des paysans ont placé toutes leurs économies dans ces sociétés ayant pignon sur rue. Elles écumaient même les campagnes reculées. Plus de 100 milliards de francs CFA (152 millions d'euros) ont disparu. Une somme énorme dans un pays où une serveuse peut gagner l'équivalent de 20 euros par mois.
Le gouvernement est accusé d'avoir aidé à monter ce business. Des préfets avaient donné pour instruction de protéger les activités de collecte de fonds de ces sociétés, au premier rang desquelles l'Investment Consultancy and Computering Services (ICC-Services). Un ex-ministre de l'Intérieur, Armand Zinzindohoué, a été incarcéré. Il est accusé d'avoir fait mettre un garde du corps à la disposition d'Emile Comlan Tégbénou, considéré comme le cerveau d'ICC-Services.
Des dirigeants politiques sont soupçonnés d'avoir touché des pots de vin pour favoriser ces activités délictueuses. Le scandale est tel que l'opposition a tenté de faire traduire le président Boni Yayi devant une Haute Cour de justice. Il aura le plus grand mal à se faire réélire en 2011. Les Béninois sont d'autant plus en colère que leur chef d’Etat est un… banquier qui, en 2006, a remporté l’élection sur un programme de lutte contre la… corruption. Même dans les rangs de ses partisans, il n'a guère convaincu dans ce domaine.
Les Eglises sont aussi mêlées à ce scandale, notamment les mouvements évangéliques. «Ils nous disent: si Dieu vous aime, il veut que vous soyez riche. Et notre Eglise va vous donner les moyens de devenir prospère. Elle fera office de banque», explique Michel, un instituteur de Cotonou. «D'abord ouverts aux seuls fidèles d'une de ces Eglises, qui foisonnent et recrutent à tour de bras, les bureaux d'ICC-Services ont vite fait de pousser comme des champignons sur toute l'étendue du territoire», explique Le Bénin aujourd'hui. «Des familles entières se sont dépouillées de leur maigres ressources, ajoute l’hebdomadaire de Parakou, des hommes d'affaires se sont laissés tenter, des fonctionnaires ont mis la main dans les caisses de l'Etat…»
Les «419» du Nigeria
Au Bénin, la surprise est d'autant plus grande que le pays est passé très rapidement d'un système économique à l'autre. Jusqu'à la fin des années 1980, cette ex-colonie française était un régime maxiste-léniniste —que les populations locales avaient vite rebaptisé «laxisme-béninisme»— désormais converti au «capitalisme sauvage» sous l’influence du Nigeria voisin, pays de 150 millions d'habitants qui ne se contente pas d'être le principal producteur de pétrole de la région.
Le «géant de l'Afrique» y exporte aussi ses «419» (le terme «419», référence à l’article du code pénal nigérian relatif aux escroqueries fait tellement frémir au Nigeria que bien des hôtels n'ont pas de chambre 419. Personne n'a envie d'être le client de la 419: ça fait mauvais genre et ce n'est pas bon pour le «business»). A Lagos, bien des «419» connus des services de police se promènent librement, sans que personne ne songe à les inquiéter. Fréquemment originaires du pays Ibo (ex-Biafra), ils expliquent que leur ethnie a été marginalisée depuis la guerre civile. Et qu’ils sont obligés de «recourir à ce type d'activité pour gagner correctement leur vie».
Afin de palier la mauvaise réputation du Nigeria, bien des «419» ont «acheté» la nationalité béninoise. Et ils opèrent depuis Cotonou. L'influence du puissant voisin est telle que le Bénin est parfois qualifié de 37e Etat de la Fédération nigériane. Des Béninois ont aussi coutume de dire que «quand le Nigeria éternue, le Bénin tombe malade».
Dans un pays très pauvre comme le Bénin –près de 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté–, «l'argent fait tellement défaut que peu de gens s'interrogent sur sa provenance. Il n'a pas d'odeur...», ajoute Aïcha, une commerçante du marché Dantokpa à Cotonou. Dans ce pays qui est le berceau du vaudou, le fantôme de Madoff n'a pas fini de planer. Alors qu'elle découvre à peine le capitalisme, la société béninoise risque de s'en détourner.
«C'est dommage car les toutes institutions financières vont désormais susciter la méfiance. Même celles qui prêtent de l'argent dans les campagnes. Et qui sont très utiles à leur développement, explique l'écrivain Marcus Boni Teiga, également auteur de l’article du Bénin aujourd’hui. Les Béninois fuient ces établissements. A cause des “Madoff locaux”, ils recommencent à planquer leurs économies sous les matelas.» -Slate