A la fin du débat de plus de deux heures retransmis par la télévision nationale, ils se sont serrés la main et même donné l’accolade. Déjouant tous les pronostics, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara se sont affrontés, jeudi soir, de manière on ne peut plus courtoise, sans invective ni éclats de voix, se tutoyant le plus souvent. A trois jours du second tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, ils ont ainsi adressé un signal d’apaisement à leurs partisans qui, au cours des derniers jours, se sont opposés violemment à plusieurs reprises. Jeudi, un supporteur du président sortant, Laurent Gbagbo, a d’ailleurs été tué dans l’ouest du pays dans des heurts entre les deux camps.
C’était la première fois qu’un tel débat était organisé dans cette ancienne colonie française et, si l’on en croit Laurent Gbagbo, il s’agirait même d’une première en Afrique de l’Ouest. Debout derrière des pupitres transparents, les deux candidats qui se faisaient face prenaient la parole à tour de rôle par tranche de trois minutes.
Dans l’ensemble, les échanges ont été urbains. Originaire du nord du pays, et longtemps ostracisé dans son propre pays au nom de l’ivoirité, Ouattara n’a cessé de donner du « mon frère » ou du « Laurent » à son adversaire, comme pour mieux souligner leur appartenance commune à cette nation indépendante depuis cinquante ans. A la manière d’un François Mitterrand en 1988 face à Jacques Chirac, Gbagbo a, de son côté, constamment donné du « Premier ministre » à son rival.
Alors que le président sortant avait axé sa campagne des derniers jours sur la dénonciation du « candidat de l’étranger », il avait remisé hier soir cette thématique. Gbagbo a, toutefois, accusé une nouvelle fois son adversaire d’être à l’origine des onze années de crise et de violence qui ont secoué la Côte d’Ivoire. Exigeant des preuves pour étayer ces accusations, Ouattara a plaidé pour la mise en place d’une Commission Vérité et réconciliation à la sud-africaine, et promis de faire la lumière sur le coup d’Etat de 1999 et la tentative de renversement de Gbagbo en 2002. La question des relations avec la France a été totalement absente des débats.
Une grande partie de l’émission a été consacrée aux questions économiques. Ancien directeur adjoint du FMI, Ouattara s’est montré très à l’aise sur ce terrain, érigeant l’emploi des jeunes au rang de priorité. Gbagbo a semblé plus hésitant, cherchant à plusieurs reprises ses mots.
Au final, les deux candidats ont promis de respecter le résultat des urnes, et de ne pas se proclamer vainqueur au soir du 28 novembre. Ouattara a assuré que s’il gagnait, il nommerait un Premier ministre issu des rangs du parti de Bédié (le PDCI), l’ancien président éliminé au premier tour, mais aussi des ministres membres du mouvement de Gbagbo (le FPI).
Ce dernier, affirmant agir « encore en tant que président » (sic), a annoncé la réquisition de l’armée pour assurer l’ordre et l’instauration d’un couvre-feu dimanche soir à partir de 22 heures. « Pas pour effrayer, mais pour rassurer », a-t-il lancé. - Libération