Opinion de Mohamed Nasser CAMARA
Il m’a été rapporté qu’il y a plus de trois décennies, un maire de Paris, la capitale de la France dont il devint plus tard Président de la république, a tenu des propos qui amènent à lui accorder des prouesses prophétiques à chaque fois qu’on a un œil sur la gouvernance politique en Afrique. Très imprégnés des milieux du pouvoir africain, francophone en particulier, Jacques CHIRAC – je crois c’est son nom- avait prononcé, avec la grandiloquence gauloise qu’on lui connait, une phrase qui avait alors résonné comme un injurieux diminutif dans beaucoup d’oreilles africaines : « l’Afrique n’est pas prête pour la démocratie!»
En riposte, beaucoup lui avait prêté des gênes afrophobes ; d’autres lui avaient tout simplement concédé la nostalgie européocentriste, voire colonialiste.
Comme le temps est le meilleur témoin de l’Univers, j’étais puérile au moment du propos incriminé, mais la nuit dernière, le cœur révolté, je me suis décidé à faire le tour d’Afrique de la démocratie, avec pour seul indicateur les élections, dans le discret espoir de faire mentir à l’injurieux petit-fils des colonisateurs de mon pays.
Des heures durant, je me suis rué sur des archives, j’ai croisé des informations, dressé des tableaux, comparé des pays, rejeté des déclarations, farfouillé des journaux, puisé dans ma mémoire, refoulé des hypothèses, critiqué des données, mais je suis parvenu à un dénominateur commun : la désolation ! Prenant pour repère la date de l’injure du Gaulois, j’ai compté le nombre de Présidents morts ou toujours au pouvoir; j’ai passé en revue le nombre de constitutions révisées, de codes électoraux changés ou raturés ; j’ai essayé de dénombrer le nombre de morts pour les urnes, de blessés, de villages incendiés chaque fois qu’il s’est agi d’élection en terre africaine.
Qu’ont changé les élections en Afrique?
Avec ses 53 Etats, soit le ¼ des souverainetés de la planète, le morcèlement du continent oblige à procéder par région, tout en excluant les 3 Royaumes (Maroc, Lesotho et Swaziland). Partons alors du principe qu’un Président mort au pouvoir ou qui en est chassé par guerre, révolte populaire, coup d’Etat ou assassinat n’est pas changé par les urnes. Négligeons aussi les Gouvernements de transition en ne validant que les élections qui ont effectivement vu les Chefs sortants prendre part à la compétition, mais admettons que le respect de la limitation du mandat est une alternance démocratique acceptable.
L’Afrique central est un mauvais élève du tableau : sur 10 pays en 30 ans, aucun Président n’y a perdu les élections, à part la « pause » de Sassou en 1991 au Congo et Kolingba en RCA (1993) : on comprendra que c’est dans la logique de la fièvre de 1990.
En Afrique du Nord, le pire élève de la démocratie sur le contient, c’est pratiquement une tradition : les élections, lorsqu’elles existent, sont une simple formalité et aucun Chef d’Etat n’y a cédé par les urnes !
La Tanzanie se targue l’unique bonne place en Afrique de l’Est qui compte 8 pays, suivi du controversé Kenya avec Arap Moï. La région abrite des phobies électorales que sont le Soudan, l’Ethiopie, l’Erythrée, le Djibouti et l’inclassable Somalie.
La zone la plus contraste est l’Afrique australe. Alors qu’elle peut se vanter des meilleurs élèves de l’alternance sur le continent (Afrique du Sud, Mozambique, Namibie, Zambie, Botswana, Malawi), elle abrite deux régimes trentenaires, les plus vieux de l’Afrique sub-saharienne de nos jours (Angola et Zimbabwe).
Dans l’Océan Indien, qui regroupe le Madagascar, les Seychelles, les Comores et Maurice, il ya plutôt de l’alternance électorale, bien que souvent très mouvementé avec la Grande Ile et les Comores notamment.
L’Afrique de l’Ouest bouge avec d’énormes difficultés. Le Benin, le Ghana, le Sénégal, le Cap-Vert, le Mali, la Sierra Leone et même le Nigeria ont connu des alternances respectables, même si 3 Présidents seulement y ont cédé le pouvoir alors qu’ils sont en plein exercice : Kérékou, Soglo, et Diouf. En revanche, la Guinée, le Liberia, la Cote d’Ivoire, le Togo, la Gambie, le Burkina, le Niger n’ont jamais connu de changement de chef par élection.
Comble du désespoir, dans mon propre pays,la Guinée, après une demi-douzaine d’élections, la plupart des compatriotes conviennent –et là encore sans convaincre une importante minorité-, sur la dernière comme « la première élection démocratique du pays »
Après mes fouilles, confronté à la réalité et surtout à l’actualité, je me suis retrouvé en face de l’amer constat de reconnaitre que Chirac avait fait une prédication juste et que cela devait lui avoir été annoncé par le Seigneur des mondes.
Mais puisque l’histoire est le refuge des expériences vécues des sociétés humaines, je me suis tourné vers elle pour demander : y a-t-il un moment où un peuple a été « prêt » et a réalisé un changement parfait?
J’ai découvert qu’après la révolution française, la plus mémorable pour le droit des humains, les Français avaient connu l’Empire alors qu’ils avaient guillotiné Louis XVI pour bannir le Royaume. J’ai trouvé que l’une des rares nations nées dans la démocratie, les USA, avaient connu la guerre civile, pire la sécession, après la déclaration d’indépendance ! Il m’a même été certifié qu’après que les Français et Américains soient morts pour la phrase « les hommes naissent libres et égaux », les premiers ont pratiqué la colonisation, les autres n’ont reconnu le droit de vote aux Noirs que près de deux siècles après.
J’en ai donc conclu que l’histoire des peuples obéissait à une dynamique et que la démocratie est un plat de céréales acquis d’un long processus. Il a fallu débroussailler, labourer, semer, désherber, surveiller des oiseaux pillards, fauciller et engranger avant que ce ne soit dans la marmite de la ménagère qui le rendra « prêt» : chaque étape a sa valeur !
J’ai finalement compris : Chirac n’avait pas tort. L’Afrique, comme partout d’ailleurs, n’était pas prête pour la démocratie, mais elle était prête de commencer, sinon elle aurait été obligée de commencer plus tard. La démocratie, on n’est jamais fin prêt pour elle: elle se construit, souvent brique après brique!
Mohamed Nasser CAMARA
Citoyen d’Afrique