Par Faya L. Millimouno
Et pourtant, durant la dernière campagne électorale pour les présidentielles, des voix patriotiques, éprises de paix et de justice, et conscientes de la longue traversée du désert qu’a connu notre pays, avaient averti afin que nous ne nous trompions pas une fois de plus. Malheureusement, nous avions pensé avoir un résultat différent cette fois en agissant comme nous l’avions toujours fait. Aujourd’hui, le réveil est brutal et douloureux.
En 1958, un discours et un NON ont suffit pour l’acquisition de notre l’indépendance. En 1984 et 2008, ce sont des groupes d’officiers mal préparés qui ont fait des coups d’état contre des fauteuils vides. En 2010 par contre, les élections présidentielles étaient le résultat d’une lutte âpre menée par tout le peuple de Guinée pour l’instauration de la démocratie et d’un Etat de droit dans notre pays. Cette lutte a couté à la Guinée la vie de nombreux de ses valeureux fils et filles, des violences inouïes, des dégâts matériels importants ainsi que l’honneur de plusieurs de ses files. L’erreur était la chose à éviter au maximum. Mais, hélas ! Ce fut encore une occasion manquée.
Nous étions surtout mis en garde contre le retour du «socialo-communisme» avec le Professeur Alpha Condé. Le changement que nous ambitionnions, celui pour lequel nombreux de nos compatriotes ont fait le sacrifice ultime en payant - de leur sang et de leur vie - notre liberté et notre prospérité, s’est transformé brutalement en cauchemar. Pourtant le Professeur Alpha Condé nous avait dit qu’il prendrait la Guinée là où le PDG-RDA l’avait laissée. Cela voulait clairement dire que le changement prôné par le Professeur Alpha Condé est le retour vers le passé « glorieux » fait de grands discours fleuves et de « bouc- emisserisation ». Très bientôt, il faut s’attendre au retour des normes, des brigades, des FAPAs, des milices, du camp Boiro, de complots permanents, de cinquième colonne, etc. Déjà, à travers le nouveau gouvernement pléthorique de près de 50 ministres, les guinéens ont assisté au retour en force de ceux et celles qui ont incarné l’échec des années Lansana Conté.
Idéologiquement, Alpha Condé et ses supporters croient en l’Etat providence. Ils pensent que l’Etat devrait être le créateur de richesses, le pourvoyeur de tout. Ils ne croient pas que c’est l’Etat qui dépend de nous et non le contraire. Ils pensent que les chinois, les russes, les cubains et tous les autres pays anciennement à tendance socialo-communiste ont eu tort de s’orienter vers l’économie de marché.
Pour la petite histoire, déjà en 1938, Ludwig Von Mises prédisait ce qui fut, parlant du socialisme. Cet auteur avait prédit que seules les nations socialistes seraient condamnées à la décadence. Cela s’est vérifié. Tous les efforts tentés pour instaurer le socialo-communisme ont abouti à la destruction de la société. Il y a juste quelques années, les fabriques, les mines, les chemins de fer se sont arrêtés ; les villes étaient devenues désertes dans tout l’espace de l’Union Soviétique d’alors et dans tous les pays de l’Europe de l’Est d’alors. Plus près de nous, il suffit de se rappeler le désert créé par le PGD-RDA en Guinée pendant 26 ans pour s’en convaincre.
Le Professeur n’ignore peut être pas que, dans une société, les uns ne sont pas pauvres parce que d’autres sont riches. Il n’y a pas de lien de cause à effet entre le fait que certains soient pauvres et d’autres riches. Il sait tout autant, peut être, que puisque les pauvres sont ceux qui manquent de pouvoir économique, il est raisonnable de penser qu'une société libre serait plus à leur avantage que le contraire; car seule la liberté permet la créativité. C’est pourquoi la lutte pour instaurer la démocratie et l’Etat de droit en Guinée est à l’avantage de toutes couches sociales. C’est aussi pourquoi, chaque guinéen s’est impliqué pour promouvoir ces idéaux que le Professeur est maintenant entrain de fouler au sol.
Le Professeur Alpha Condé n’a donc pas besoin de continuer à jouer au machiavélisme en divisant pour régner, en faisant d’une ethnie un bouc-émissaire, le tout dissimilé sous l’expression « commerçants mafieux insensibles à la cause des pauvres». Si le Professeur Alpha Condé pense qu’un commerçant peut se procurer du dollar américain sur le marché noire à 8000 GNF pour aller acheter le riz en Chine - au Vietnam ou ailleurs, le transporter en Guinée et le vendre à 20000 GNF le sac de 50 kilos, comme il l’a fait avec les fonds publics grâce à Sékouba Konaté et Jean Marie Doré la veille du scrutin du 7 novembre 2010, pourquoi n’a -t-il pas continué de le faire maintenant qu’il est le Président de la République de Guinée ? Les guinéens vous comprennent tout à fait, et soyez en sur qu’ils ne vous laisseront pas faire.
Il y a aujourd’hui pire avec le pouvoir naissant du Professeur Alpha Condé. En effet, en un mois, l’immoralité et « l’illégimité » qui ont caractérisé la montée au pouvoir de M. Alpha Condé ont donné lieu à la banalisation de l’illégalité ; ce qui nous éloigne encore plus dangereusement de l’objectif d’instaurer un Etat de droit en Guinée. On compte déjà huit violations graves de la constitution et des lois organiques depuis l’investiture de M. Alpha Condé le 21 décembre 2010.
1. L’alinéa 4 de l’Article 10 de notre Constitution ne dit-il pas que « Tous les citoyens ont le droit de s’établir et de circuler sur le territoire de la République, d’y entrer et d’en sortir librement » ? L’on se rappelle des interdictions de sortir du territoire guinéen dont ont été victimes certains compatriotes sous prétexte qu’ils ont assumé des fonctions ministérielles ou autres au même moment que le Professeur Alpha Condé ramenait en force ceux et celles qui symbolisèrent l’échec des années Lansana Conté. Savez-vous que le passage de l’état de Ministre au citoyen lambda, pour un communiste convaincu comme le Professeur Alpha, n’est qu’un pas facile à franchir ? Dans un Etat de droit, seul le juge peut décider de restreindre la liberté de mouvement d’un citoyen.
2. L’Article 7 de la Loi Organique 003 du 22 juin 2010 ne dit-il pas que le Président de la Haute Autorité de la Communication (HAC) est élu par ses pairs sous la supervision de la Cour Constitutionnelle, et que cette élection et la nomination des autres membres sont entérinées par un décret du Président de la République ? Quel organe de nos valeureux medias et des autres organes concernés a désigné ses représentants à la Haute Autorité de la Communication selon les dispositions de la Loi ? Quel organe représente la Présidente actuelle de la HAC, nommée, non élue, par le Président de la République ?
3. L’Article 36 de notre Constitution ne dit-il pas qu’ « Après la Cérémonie d’investiture et à la fin de son mandat, dans un délai de quarante huit (48) heures, le Président de la République remet solennellement au Premier Président de la Cour Constitutionnelle la déclaration écrite sur l’honneur de ses biens?» L’alinéa 2 du même article ne précise-t-il pas que « Les Ministres avant leur entrée en fonction et à la fin de celle-ci déposent à la Cour Constitutionnelle la déclaration sur l’honneur de leurs biens ?» A part quelques propagandes des supporters de M. Alpha Condé sur internet, personne ne peut encore mettre le doigt sur les preuves du respect de cet article de la Constitution par le Professeur Alpha Condé et son gouvernement.
4. Le remplacement du gouverneur de la Banque centrale n’est-il pas en violation de l'article 46 de la Constitution ? En effet, l’article 46 de la Constitution précise que le Président de la République: « nomme en Conseil des Ministres aux emplois civils dont la liste est fixée par une loi organique ». Les postes de gouverneur et de vices gouverneurs de la Banque Centrale ainsi que de directeur de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale n’en font-ils pas partie de ces postes? A l’affirmatif, les dernières nominations à la tête de ces organes ne sont-elles pas une violation de la constitution quand on sait que le premier Conseil des Ministres n'a eu lieu que le 13 Janvier 2011, bien après ces nominations et de surcroit ce Conseil n’a procédé à aucune nomination?
5. L’Article 57 de la Constitution ne dit-il pas qu’« Après sa nomination, le Premier Ministre fait une Déclaration de la Politique Générale suivie de débats sans vote devant l’Assemblée Nationale, aujourd’hui représentée par le CNT selon l’Article 157 de la Constitution ? Depuis la nomination du Premier Ministre il y a plus de trois semaines, les guinéens attendent encore sa déclaration de politique générale suivie de débats entre nos parlementaires provisoires.
6. La suppression de l’impôt personnel (l'impôt minimum de développement local) par le président juste après son investiture n’est-elle pas une violation de l’article 72 de la Constitution ? En effet, dans toute République qui se respecte, seule l’Assemblée nationale est habilitée à créer ou supprimer l’impôt. Certes, certains guinéens peuvent se dire, même s’ils ne le tiennent des populations, que la suppression de l’impôt correspond à la volonté de ces dernières. Cette mesure, malgré l’avantage politique que pourraient tirer le RPG et Alpha Condé est non seulement antiéconomique, mais surtout illégale et irresponsable. Quand la Guinée reçoit des dons ou des dettes des pays développés, n’est ce pas que ce sont les contributions en impôts et en taxes faites par les citoyens de ces pays qu’elle reçoit ? A moins que cette suppression soit un appât électoraliste (les législatives sont à nos portes) pour contrôler tous les pouvoirs avant d’instaurer l’impôt en nature (les normes comme on les appelait au temps du PDG-RDA).
7. La nomination du Général controversé Facinet Touré en qualité de Médiateur de la République en remplacement de Dr. Sékou Kouressy Condé n’est-elle pas une autre violation de la Constitution ? Quoique l'article 129 de la Constitution prévoie que c'est le Président de la République qui nomme le Médiateur, le poste était déjà occupé pour un mandat de sept ans. Si le Président Alpha Condé pense que la nomination faite par le Président par intérim était anticonstitutionnelle et/ou que Dr. Kouressy Condé a commis une faute grave à part d’avoir été Ministre de la Sécurité du Général Lansana Conté au moment d’arrestation d’Alpha Condé en 1998 à Pinet, rien ne l'empêche de mettre en œuvre une procédure de révocation ; au lieu de justifier la violation de la loi par une autre violation.
Sans compter que le personnage du Général Facinet Touré qui a pris ouvertement position durant la campagne pour le second tour contre la présidence d’un peulh sous prétexte que « les peulhs contrôlent l’économie » et donc ne devaient pas avoir le pouvoir politique, n’est pas la personne indiquée pour assurer la médiation. Au delà du caractère ridicule de sa position, le Général Facinet Touré est l’un de ceux qui ont contribué à saper les fondements de la nation guinéenne en encourageant la division ethnique au nom du concept d’alliance naturelle. On se rappelle aussi qu’il a été celui qui demandait aux concitoyens soussous de ne pas suivre les consignes de vote de Sidya Toure au second tour parce que, selon lui, celui-ci n’est pas Soussou, mais Djakanke. En quoi le fait d’être un Djakanke est-il un problème ? Un tel personnage peut-il assurer les fonctions de médiations de la République ? Aux guinéens d’en juger !
8. L’annulation du contrat de bail de la ferme avicole de Dubreka n’est-elle pas une violation flagrante et dangereuse de l’article 13 de la Constitution qui stipule que « Le droit de propriété est garanti. Nul ne peut être exproprié si ce n'est dans l'intérêt légalement constaté de tous et sous réserve d’une juste et préalable indemnité ». Dans un État de droit, aucun contrat ne peut être annulé par une simple signature, fut-elle celle du Président de la république. Ce rôle revient exclusivement aux juridictions de la République. Même en cas d’utilité publique comme le prétend le décret, c'est encore et seulement aux juridictions qu'il appartient de vérifier la pertinence de la réclamation et le montant d'indemnisation dans le cas d'une expropriation, en suivant rigoureusement les procédures prévues par la loi. Le caractère dangereux de tels actes illégaux se justifie par le fait qu’ils risquent de décourager tout investisseur (national ou étranger) à s’aventurer sur le sol guinéen.
Compte tenu de ce qui précède, un appel est lancé à tous les compatriotes de rester débout et mobilisés pour combattre avec courage et détermination l’arbitraire qui se renforce dans notre pays, sous l’œil irresponsable des institutions de la République (CNT, la Cour Suprême, etc.) qui auraient dû servir de chiens de garde pour contrer les intentions dictatoriales du Professeur Alpha Condé. L’objectif à court terme est le contrôle du parlement qui doit véritablement jouer son rôle de chien de garde pour arrêter toute tentative d’abus de pouvoir.