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Chers amis africains, excusez-les!

May 13, 2009

Par Thomas Hofnung

Des propos sentencieux du président Sarkozy sur «l’homme africain» «pas assez entré dans l’Histoire» aux excuses à usage interne de Ségolène Royal, vous avez quelques raisons de vous indigner. Que se joue-t-il entre les deux anciens rivaux de la présidentielle de 2007 sur le dos de l’Afrique ?

L’un entendait livrer, aux dires de sa plume (Henri Guaino), sa vision du continent et des relations franco-africaines pour mieux, au cours de la suite de son quinquennat, rebâtir une relation polluée par des années de coups tordus et d’affairisme. L’autre a voulu dénoncer des propos pour le moins maladroits, et même jugés «racistes» par certains. Résultat, les excuses de la socialiste ont rapidement tourné au pugilat franco-français. Pour le débat sur la rénovation nécessaire des liens entre Paris et son ancien pré carré, on repassera. Et pendant qu’on s’étripe joyeusement dans l’Hexagone, les puissances économiques de demain peuvent conquérir tranquillement de nouvelles parts de marché : la Chine, bien sûr, mais aussi l’Inde, le Brésil, les monarchies du Golfe…

A Dakar, Ségolène Royal a donc demandé «pardon» pour des «paroles humiliantes» qui «n’auraient jamais dû être prononcées et qui n’engagent pas la France». On observera au passage qu’elle a prononcé son «contre-discours» de Dakar un 6 avril, soit le jour du quinzième anniversaire du déclenchement du génocide au Rwanda. Dans son intervention, pas un mot sur cette tragédie dans laquelle la France a été impliquée. Auparavant, elle avait dénoncé le système colonial : «Une entreprise systématique d’assujettissement et de spoliation.» Des propos qui ressemblent étrangement à ceux prononcés par… Nicolas Sarkozy, à Dakar, le 26 juillet 2007. S’il refuse toute idée de repentance, le président français condamnait sans ambages dans son discours cette période : «Ce fut un crime contre l’homme, un crime contre l’humanité.» Plus loin, en parlant des colonisateurs, il déclarait : «Ils ont cru qu’ils étaient supérieurs, qu’ils étaient plus avancés, qu’ils étaient le progrès, qu’ils étaient la civilisation… Ils ont eu tort.» Et d’ajouter : «Ils croyaient briser les chaînes de l’obscurantisme, de la superstition, de la servitude. Ils forgeaient des chaînes plus lourdes.» On est donc très loin du projet de loi sur les «bienfaits de la colonisation» envisagé il y a quelques années par la famille politique du chef de l’Etat.

Mais cette première partie du discours de Dakar, qui mérite mieux que la caricature qu’on en a faite, a été totalement occultée par la seconde, incongrue et pour tout dire hors de propos. Son idée directrice est simpliste : nous, Français, reconnaissons nos fautes, à vous, Africains, de cesser de ressasser le passé et de vous plaindre. Sous prétexte que nous, Français, aimons et prétendons connaître le continent noir, on peut dire leurs quatre vérités aux Africains. Autrement dit : au lieu de regarder la paille qui est dans l’œil de l’ancien colonisateur, ils feraient mieux de regarder la poutre qui est dans le leur. Dans la version écrite de l’allocution du président Sarkozy, ce dernier était même censé tutoyer la «jeunesse africaine». Entre amis, voire entre frères, on peut tout se dire, n’est-ce pas ? Mais Nicolas Sarkozy n’a pas osé, optant à l’oral pour un vouvoiement plus respectueux. «La réalité de l’Afrique, c’est celle d’un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu’il n’arrive pas à se libérer des mythes», y affirmait Sarkozy, citant notamment l’idée que la colonisation serait responsable de tous les maux actuels de l’Afrique.

Cette considération résulte - justement - d’une vision passéiste d’une Afrique qui serait campée sur ses traditions, arc-boutée sur un imaginaire «où tout recommence toujours» et où «il n’y a pas de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès». Sait-il seulement qu’une grande partie de la population du continent vit en milieu urbain, notamment dans des mégapoles où la télévision et le téléphone portable sont omniprésents ? Les jeunes qui sont prêts à tout pour s’inventer un avenir meilleur, y compris à braver la mer, sont-ils si passifs et si résignés que cela ? Ils sont bien loin de la caricature de ce «paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature […]».

L’ElysĂ©e tente, depuis lors, de faire oublier ce discours originel en forme de pĂ©chĂ©. Sans succès. La «rupture» promise par le candidat Sarkozy, et qui reste Ă  mettre en Ĺ“uvre, passe d’abord par un changement de vision Ă  Paris. L’Afrique ne veut pas qu’on la tutoie, ni qu’on lui fasse la leçon, ni mĂŞme qu’on s’excuse. Elle veut ĂŞtre traitĂ©e d’égal Ă  Ă©gal. - LibĂ©ration 

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