Joyce Mulama
Le continent africain est riche en ressources naturelles; mais les contrats sous lesquels les sociétés multinationales exploitent ces ressources signifient que les gouvernements – et les peuples d’Afrique – jouissent seulement d’une infime partie des bénéfices. Une législation favorable, qui s’associe aux contrats de l’exploitation minière – souvent négociés à huit clos – qui accordent couramment aux sociétés davantage de concessions fiscales et des exonérations sur 25 ans, a instauré de faibles taux de royalties. En plus de cela, l’Afrique perd d’importantes sommes d’argent chaque année du fait de la corruption et de l’évasion fiscale illégale de la part des compagnies multinationales. Le Réseau de justice fiscale pour l’Afrique (TJN-A), ActionAid, 'Southern Africa Resource Watch' (Organisation de défense des ressources de l’Afrique australe), 'Third World Network Africa' (Réseau tiers monde Afrique) et 'Christian Aid' – toutes des Organisations non gouvernementales ayant un intérêt pour un système commercial mondial équitable qui favorisera le développement – viennent de publier un rapport intitulé : "Rompre la malédiction : Comment une imposition transparente et des taxes équitables peuvent transformer la richesse minière de l’Afrique en développement". Ce document s’appuie sur des preuves de sept pays riches en minéraux comprenant le Ghana, la Tanzanie, le Malawi, la Zambie, l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo (RDC) et la Sierra Leone, pour révéler des pratiques comptables suspectes des sociétés multinationales qui cachent la vraie valeur de leurs opérations alors qu’un mélange de secret et de lois erronées votées par des parlements à travers le continent privent davantage les peuples d’Afrique de recettes. Par exemple, la loi sur l’exploitation minière de la Zambie autorise le ministre en charge à donner des droits d’exploitation minière à une société sans consulter personne. "A coup sûr, le ministre est ouvert à la corruption parce que ces contrats ne sont sujets à aucune forme d’examen minutieux. Cela ouvre la voie aux transactions non transparentes", a déclaré à IPS, un haut responsable du ministère de l’Environnement du pays, qui a requis l’anonymat. De même, le rapport est critique à l’égard des lois adoptées sous la pression de la Banque mondiale, qui a exigé des taux d’imposition faibles afin d’attirer l’investissement étranger dans l’exploitation minière. "Des gouvernements africains ont promulgué des lois accordant des subventions fiscales à l’industrie et les sociétés d’exploitation minière sont en train d’exiger des allègements fiscaux dans des contrats d’exploitation minière secrets, équivalant à une stratégie d’évasion fiscale agressive", indique la publication. Elle cite le Ghana et la Tanzanie, où des taux de faibles royalties ont coûté au trésor 68 et 30 millions de dollars respectivement en 2008. Pour l’Afrique du Sud, le chiffre est de 359 millions de dollars. Les allègements fiscaux accordés au Malawi coûtent au trésor 16,8 millions de dollars; en Sierra Leone huit millions. L’allègement fiscal sur un seul contrat d’exploitation minière en RDC peut avoir coûté au trésor 360.000 dollars l’année. "Les mêmes gouvernements continuent d’emprunter au monde développé, presque à des proportions alcooliques; ils empruntent afin de financer l’éducation, l’eau et l’assainissement. Ils empruntent en réalité pour fournir des services de base", a observé Brian Kagoro, le directeur de politique de développement pour 'ActionAid International'. Cela contraste avec la situation des années 1960 et 1970, lorsque les entreprises essentiellement publiques amassaient des bénéfices substantiels de l’exploitation minérale. Dans certains cas, ces recettes ont alimenté seulement une corruption massive de la part des dirigeants africains comme Mobutu Sese Seko dans ce qui est maintenant la RDC, mais en Zambie par exemple, elle a permis un important investissement dans l’agriculture, la santé et l’éducation. "Quand vous regardez les recettes potentielles perdues comme conséquence des concessions fiscales, vous constatez que ce qui a été emprunté pourrait avoir été financé par une structure fiscale équitable et des royalties équitables", a ajouté Kagoro. L’instauration des régimes de taxes d’exploitation minière, qui favorisent si fortement les compagnies multinationales, date du début des années 1990 lorsque la Banque mondiale a demandé à l’Afrique d’ouvrir son secteur de l’exploitation minière aux investisseurs étrangers privés. Des gouvernements confrontés à de lourdes charges de d’endettement, et incapables d’accroître directement les capitaux pour l’investissement dans ce secteur, ont été persuadés d’offrir des termes favorables aux compagnies d’exploitation minière – entrant fréquemment dans des accords à long terme qui ont laissé les bénéfices élevés issus de l’essor des produits de base de 2002 à 2008 dans les poches de ces compagnies. La corruption par le leadership africain se poursuit, bien sûr, mais le rapport "Rompre la malédiction" souligne un aspect moins remarqué : des pratiques comptables nettes qui leur permettent d’échapper au fisc en surévaluant les importations et en sous-évaluant les exportations puisque l’équipement et le minerai extrait sont transférés entre les filiales de la même société dans plusieurs pays, ou en exagérant les coûts d’exploitation. Afin de pouvoir utiliser les bénéfices réalisés dans l’exploitation minière pour le développement, le rapport indique que le continent doit réformer ses lois pour avoir des taux d’imposition uniformes et des périodes d’exonération fiscale, de même qu’il doit embrasser une législation qui assure que les contrats d’exploitation minière sont minutieusement examinés par le parlement, pour éviter la corruption. Mais des critiques affirment que la responsabilité de combattre la corruption revient non seulement à l’Afrique, mais également aux pays développés, d’où viennent les compagnies d’exploitation minière et où est stockée la fuite des capitaux venus d’Afrique. "Un acte de corruption implique deux parties. Les pays développés doivent également jouer leur rôle. Nous devons tous agir ensemble pour mettre fin à la corruption", a souligné le professeur Olusanya Ajakaiye du Consortium africain pour la recherche économique. Pour régler la question de l’évasion fiscale illégale des multinationales de l’exploitation minière, le rapport demande au Conseil des normes comptables internationales d’adopter un nouveau système comptable obligeant les industries minières à établir des déclarations claires sur leurs bénéfices et leurs dépenses ainsi que sur les taxes payées dans chaque année financière sur une base de pays par pays. Cela prendra du temps pour régler le défi auquel est confrontée d’administration fiscale dans la plupart des pays d’Afrique. Jack Ranguma, un ancien commissaire de l’impôt local au Kenya, indique que les données fiscales continuent d’être collectées et traitées manuellement, ce qui veut dire qu’attraper les sociétés qui dissimulent des bénéfices ou qui fixent mal les prix des transferts entre leurs filiales est presque impossible. Un grand projet d’exploitation de titane dans le district de Kwale, sur la côte kenyane, met en lumière nombre de problèmes couverts par ce rapport. Les gisements de titane dans cette zone s’élèvent à 3,2 milliards de tonnes – 14 pour cent des ressources de titane dans le monde. Cette mine sera exploitée par ‘Tiomin Resources’, une entreprise basée au Canada, qui a bénéficié des droits d’exploitation minière depuis plus de 10 ans, mais des désaccords parmi ses actionnaires retardent le démarrage des opérations minières. "L’arrangement est que Tiomin est supposée être installée comme une Zone franche de transformation de produits d’exportation (EPZ), ce qui signifie que si elle devait commencer les opérations, elle bénéficierait d’une gamme variée d’incitations fiscales, y compris des exonérations fiscales de 10 ans, une exonération de prélèvement de taxes, entre autres", a déclaré Mosioma. Des activistes demandent au gouvernement kenyan de tirer des leçons des expériences ailleurs, d’un autre pays sur le continent, et de réviser les termes du contrat au profit du peuple du Kenya lorsque le projet démarrera. - IPS