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La Guinée: cinquante ans après

Dec 09, 2008

Par Mori Diané*

Il aura fallu cinquante années à l’Union Soviétique pour passer d’un empire autocratique à la deuxième puissance militaire du monde. En cinq siècles, la petite île du Japon a émergé des décombres de la guerre pour devenir la deuxième puissance économique mondiale. L’exemple plus récent des tigres asiatiques, et même de certains pays Africains, démontre qu’en l’espace de quelques décennies une économie gérée par des cadres compétents peut offrir une paix et une prospérité durables à ses citoyens.

Pourquoi donc la Guinée, dotée de ressources légendaires, n’est toujours pas en mesure de créer, après cinquante années d’indépendance, un environnement économique décent, ses populations étant aujourd’hui plus appauvries qu’elles ne l’étaient à l’aube de son indépendance ? Certaines réponses sont enfouies dans le contexte même dans lequel cette indépendance est arrivée.

Un pays échappe difficilement à son passé. Son évolution est souvent intimement liée aux faits qui marquent son histoire. Pour bien comprendre le contexte actuel de la Guinée il est utile de se référer aux grands évènements et décisions politiques qui ont influencé les habitants de ce pays. Deux périodes distinctes encadrent l’histoire récente de la Guinée. Toutes deux émergent des circonstances de l’indépendance. Deux républiques, deux dictatures. Les seuls deux régîmes qui ont veuillé au destin de ce pays pendant cinquante années. Si tous les deux partagent la même conception brutale de l’exercice du pouvoir, ils se différencient principalement par le fait que là où le premier régime a utilisé la peur pour contenir les revendications, le deuxième régime va tolérer, et même encourager, la corruption pour sécuriser l’adhésion des élites administratives et commerciales dont le support est essentiel à sa survie.

L’Indépendance

L'indépendance de la Guinée est advenue dans une euphorie enivrante. Une naissance pénible, à l’aide de forceps. La nouvelle Guinée voit le jour à la suite de violents conflits entre les partis politiques. Des conflits qui font couler beaucoup de sang. Jour après jour, la “garre-voitures” situées en face du cinéma Vox est prise d’assaut par de véritables marées humaines qui se disputent les rares places dans les camions qui les emmèneront loin de la belle cité de Conakry, transformée pour l’occasion en champs de massacre. Durant les nuits lugubres, l'accalmie des torrides journées est chaque jour brisé par les gémissements des victimes de tortures et tueries. En rétrospective ces moments douloureux ont introduit une culture nouvelle dans le pays. La violence, sous une forme ou une autre, deviendra une constante compagne des Guinéens.

C’est suite à ces conflits que l’indépendance de la Guinée a été arrachée par le parti politique dominant, et imposée aux groupes minoritaires qui eux étaient manipulés, il est juste de le noter, par la France.

En Septembre 1958 la Guinée est, à juste titre, fier d’être le seul pays à défier le tuteur colonial en optant pour son indépendance. Une indépendance qui, apriori, apporte beaucoup de joie et d’espoirs, bien que tintée d'appréhension. Cette fierté définira, pendant longtemps, l’image que les Guinéens insisteront à associer à leur personnalité. C’est la source d’un profond nationalisme qui servira à motiver la ”révolution”, sous la première république, mais qui a tragiquement disparu sous la deuxième république.

La Première République

L'indépendance a surpris tout le monde, même les leaders qui ont pourtant emmener le peuple à croire au bien fondé de ce qui n’était autre qu’une aventure, à l’époque. La Guinée n'était absolument pas préparée à se diriger. Elle était le fleuron économique des colonies Africaines de la France. Ses vastes ressources minières, son potentiel agricole et aloétique étaient minutieusement gérés par une administration coloniale. Une pléthore d’administrateurs ”blancs” était supportée par quelques cadres Africains formés pour la circonstance. Pour punir le pays qui a ”osé” défier la France, cette dernière va subitement retirer ses administrateurs. En sabotant quelques infrastructures avant son départ, la France signale déjà son intention de pousser le pays à un échec certain.

Du jour au lendemain la Guinée est prise en charge par les cadres nationaux qui n’avaient pas été formés pour confronter les principales responsabilités de gestion d’un pays. Un début difficile pour un nouveau pays, surtout parce nous savons maintenant que plusieurs années durant, la France œuvreras clandestinement à dérailler leur rêve. Le monde était en pleine crise politique, pris dans l’étau de la guerre froide. Une jeune nation comme la Guinée était obligée de faire alliance avec un camp. Les dirigeants Guinéens ont choisi le camp du marteau et de la faucille.

Les premiers échecs ne tardent pas à s’annoncer. Les enseignants s’élèvent contre les nouveaux programmes scolaires; les commerçants s’opposent aux nouvelles contraintes administratives; une monnaie neuve déséquilibre la fragile économie ; des nouveaux projets de société, élaborés par des conseillers récemment venus des pays de l’est, effarouchent les normes sociales. Les élites Guinéennes se trouvent de plus en plus en conflit ouvert avec la nouvelle direction politique du pays.

La notion d’élitisme est un concept difficile à défendre parce qu’elle impute des privilèges innés à des groupes restreints. Cependant l’évolution des sociétés est en grande partie le résultat de l’engagement des élites du pays. Ce sont les élites intellectuelles qui font germiner la réflexion dans une communauté, à travers leurs débats, leurs positions, leurs goûts. Les élites financières accélèrent la croissance économique à travers leurs initiatives commerciales ; ils créent l’emploi et contribuent aux ressources que l’état à son tour utilise pour ériger et entretenir les infrastructures (écoles, routes, hôpitaux etc.). Cette notion d’élitisme est d’ailleurs présente aussi dans les sociétés Africaines qui attribuent des responsabilités bien définies aux guerriers, aux griots, aux forgerons, aux enseignants et autres.

Le premier régime va sous-estimer la contribution vitale des élites dans l’épanouissement de la Guinée. Bien au contraire, il voit très tôt en eux des adversaires qui pourraient défier son pouvoir. Le régime va progressivement neutraliser cette classe en prétextant des complots périodiques, fictifs ou réels. De 1960 à 1984, le tristement célèbre Camp Boiro va accueillir certains des meilleurs intellectuels, commerçants, artistes et gestionnaires. Le régime va progressivement durcir son autorité et cultiver à cette fin une psychose générale qui va aboutir sur un exode massif. Près d’un quart de la population, les mieux éduqués, va émigrer ou fuir vers les pays voisins.

Face a à une carence de compétence, le régime confie l’intendance de l’administration a des personnes jugées politiquement acquises à sa cause, sans considération pour leurs formation scolaire ou leur capacité de gestion. L’échec d’une telle décision était inévitable surtout quand, même des personnes illettrées ont été promues à la tête des entreprises d’état, des institutions scolaires et même à des postes ministérielles.

Le manque de cadres, à une période aussi critique de son histoire, va irréparablement affaiblir la Guinée. Une économie jadis florissante va céder le pas à un déficit alimentaire chronique, à des pénuries de toute sortes et au rationnement des produits de consommation de première nécessité. Une contraction progressive des ressources humaines et la dégradation des infrastructures économiques vont finir par épuiser les Guinéens et conduire le pays à une ruine totale. Mais plus regrettablement, après 26 ans de gestion archaïque, le pays est dans un état de dégradation matériel et moral lamentable. Les populations sont totalement épuisées. Les repères moraux sont tragiquement effrités. Le respect pour le travail correct à disparu, la rectitude morale, la discipline, l’honnêteté, sont toutes des valeurs que les Guinéens ont été obligés d’hypothéquer pour survivre. L’instinct de survie réclamait aux habitants de paraître engagés quand ils ne croyaient plus aux sermons politiques, de sembler heureux même dans la tristesse, de sacrifier leur amour propre pour échapper aux vicissitudes d’un pouvoir devenu contraignant. Cet état de désespoir explique l’explosion spontanée de joie, à l’annonce du coup d’état qui a mis un terme à cette période, immédiatement après la mort du ”chef suprême de la révolution”.

La Deuxième République

La deuxième république commence, après un coup d’état, avec un collège d’officiers militaires. Peu de temps après la formation du Conseil Militaire de Redressement National (CMRN), certains des membres sont accusés de fomenter un coup d’état. Durant une sombre nuit de printemps, l’ancien Premier Ministre du CMRN et près de deux cent autres personnes sont exécutés dans les casernes. Les victimes sont les “dignitaires“ du premier régime et la majorité des officiers supérieurs militaires Malinkés, l’ethnie du premier président. Comble d’audace ces exécutions sont annoncées la veuille, par le nouvel homme fort. Son discours sert aussi de plateforme pour féliciter les foules qui avaient virulemment détruit les propriétés et biens de leurs compatriotes Malinkés.

Si la peur a disparu de l’âme des Guinéens, sous la deuxième république, par contre la violence qui lui avait servi de guide, demeure ancrée dans les meurs du pouvoir. Cette fois-ci cependant la brutalité prend des formes plus perverses. Elle est cruelle et, fait inédit, prodiguée au grand jour. Car au delà des exécutions dans les casernes, durant les vingt dernières années, les Guinéens vont assister à de véritables fusillades publiques. Des manifestants sont abattus en pleine rue. Le pouvoir n’hésite pas à réprimer les marches pacifiques constituées pour revendiquer une amélioration des conditions de vie. Plusieurs rapports annuels du Département d’Etat Américain fait état de vagues d’arrestations, de détentions, de tortures et même d’exécutions sommaires d’opposants politiques. Comme quoi la violence est devenue un instrument banalisé de contrôle des masses. Les gouvernants y ont recours sans crainte apparente d’être responsabilisés un jour.

Economiquement le pays a encore manqué une opportunité historique. Elle n’a pas participé à la croissance économique que le monde a connu les deux décennies précédentes. Le niveau de vie du Guinéen moyen s’est encore effondré. Les infrastructures de base sont cruellement absentes. Même dans la capitale, l’eau et l’électricité font défaut et sont rationnées dans tous les quartiers. Certains restent plusieurs mois d’affilés sans être alimentés. Les hôpitaux manquent d’équipements et d’outils les plus essentiels, amenant les mieux nantis à s’envoler vers Dakar, Abidjan et Paris pour des soins même bénins. Un spectacle révoltant pour un pays dont la dette extérieure, contractée auprès des institutions bilatérales et internationales, s’est accru de plusieurs milliards de dollars. Mais là, la responsabilité n’est pas à imputer au Président seul. Au contraire lui même, et l’ensemble de Guinéens, ont été victimes d’un groupe de cadres de l’administration, issus des écoles de l’ère “révolutionnaire“. Ayant d’abords servi de suppléant aux premiers gouvernants ils sont aujourd’hui maitres de l’administration Guinéenne.

Aujourd’hui la plus grande contrainte au développement du pays est le comportement de ces cadres. Ils ont progressivement mis en place un système de gestion, exclusivement destiné à alimenter une corruption démesurée, qui a fini par gangréner l’économie toute entière. Ces cadres entretiennent de véritables organisations mafieuses avec des tentacules dans tous les services. Ainsi l’administration Guinéenne est la proie de combines les plus astucieuses, élaborées dans le seul bût de canaliser les recettes de l’état vers des comptes personnels. Ils ont recours à diverses alliances tissées à l’aide de nominations des membres de leurs clans à des postes stratégiques. Ils scellent des pactes avec des soi-disant hommes d’affaires auxquels ils octroient des contrats fictifs, des concessions exclusives et des marchés qui ne respectent aucune législation ou déontologie.

Le spectacle des affrontements publics que ces clans se livrent, anime l’essentiel de la presse locale. Toutes les intrigues autours de la formation des divers gouvernements, de l’attributions des grands marchés (license de télécommunications, concessions minières, droits pétroliers), et même les tensions ethniques profondes qui ont resurgi, trouvent leurs origines dans les guerres que ces clans se livrent. Des hommes, pour la plupart sans grand amour pour leur pays, cherchent à contrôler les rouages de l’administration et des partis politiques, non pas à cause de leurs convictions, mais dans le but exclusif de divertir les ressources qu’ils seront amenés à contrôler, pour s’enrichir d’avantage.

La Troisième République

Il est improbable que dans l’immédiat un changement de leadership intervienne à la suite d’élections, ou comme conséquence d’une revendication populaire. Les partis politiques, qui ont toujours été aux élections en rang dispersés, n’ont pas la capacité d’imposer un changement par les urnes. De toutes les façons la force d’une administration tentaculaire, tel l’état Guinéen, est difficile à affronter. L’argent et la fraude sont des outils imparables dans les élections en Afrique. En toute probabilité seul Dieu décidera de l’opportunité d’un changement en Guinée. Vu l’état de santé du Président, cette décision pourrait ne pas tarder à venir. La question est de savoir quel sera le prochain scénario du pouvoir, sous une troisième république.

Pour que la Guinée aie une chance quelconque de sortir de son marasme, il faudrait qu’elle hérite prochainement d’un leader qui soit suffisamment courageux pour confronter la corruption, la désorganisation administrative et la déficience des infrastructures. Une chose est certaine, l’effort gargantuesque requis pour une rapide transformation de l’administration, ne pourra se faire dans une atmosphère purement consensuelle. Face au vaste réseau de corruption et à la dépravation morale qui a envahit toutes les couches du pays, seul un leader providentiel, un ”Jerry Rawlings”, ferait la bonne fortune de la Guinée. Un homme qui serait en mesure de suspendre, sans équivoque, les pratiques antécédentes et imposer de nouveaux comportements à travers des règlementations bien définies et des sanctions, même les plus sévères.

Les Guinéens feraient bien de prier souvent, d’abord pour exorciser les démons de toutes les morts inutiles qui jonchent l’histoire de ce pays, ensuite pour que le Bon Dieu leur accorde la grâce d’un tel leader. Si une fois de plus le sort ne leur est pas clément, alors il sera difficile de prédire quelle est la forme de violence qui accompagnera la troisième république.

*L’auteur est un contributeur de Africalog.com qui rĂ©side Ă  Potomac, Maryland, USA    

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