L'enquête sur Christine Lagarde pour "complicité de détournement de fonds publics et de faux" visant un arbitrage en faveur de l'homme d'affaires Bernard Tapie en 2008 a été officiellement ouverte mardi.
Le parquet général de la Cour de cassation a annoncé aux agences de presse avoir signé le "réquisitoire introductif", formalité indispensable pour le lancement concret de cette procédure décidée le 4 août à l'encontre de l'ex-ministre de l'Économie, devenue en juillet directrice générale du Fonds monétaire international (FMI).
"J'ai saisi la commission d'instruction par un réquisitoire qui leur a été porté ce matin pour informer contre madame Christine Lagarde", a déclaré la magistrate Cécile Petit. Les trois membres de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République (CJR), Daniel Farge, Michel Arnould et Henri Blondet, vont désormais commencer leur travail.
Bientôt mise en examen ?
Christine Lagarde sera nécessairement entendue, voire mise en examen, dans un délai qui n'est pas connu. Elle nie toute malversation et exclut de démissionner. Elle est mise en cause pour avoir, en 2007, contre l'avis de ses services, choisi de solder par un arbitrage privé un litige judiciaire concernant la revente en 1993 d'Adidas, contrôlé par Bernard Tapie, par le Crédit lyonnais, alors banque publique.
Cette décision a été prise alors même que l'État en charge du passif du Lyonnais via des entités publiques, avait gagné en 2006 devant la Cour de cassation, plus haute juridiction française, et se dirigeait donc vers une victoire définitive.
Au lieu de cela, les arbitres - dont un au moins semble avoir été lié à Bernard Tapie - lui ont accordé en 2008 285 millions d'euros. Christine Lagarde, malgré l'avis de ses services, n'a pas contesté ce résultat. Une modification en cours de route de la convention d'arbitrage, qui a permis d'accorder 45 millions d'euros au seul titre du "préjudice moral", est aussi visée, fait que la commission instruira sous le chef de "complicité de faux".
Stéphane Richard interrogé ?
L'affaire pourrait perturber les premiers mois de Christine Lagarde au FMI, même si l'institution a estimé que la procédure ne l'empêchait pas de remplir ses fonctions.
La procédure pourrait connaître des développements, puisqu'une autre enquête pour abus de pouvoirs sociaux est conduite actuellement par le parquet du tribunal de Paris à l'encontre des hauts fonctionnaires impliqués dans l'arbitrage.
L'un d'entre eux, Bernard Scemama, a mis en cause dans la presse Stéphane Richard, directeur de cabinet de Christine Lagarde au moment des faits et actuel P-DG de France Télécom. Ce proche de Nicolas Sarkozy aurait été la cheville ouvrière de l'arbitrage, à en croire Bernard Scemama.
Formation de jugement
Stéphane Richard a répliqué en justifiant l'arbitrage et en assurant que Nicolas Sarkozy n'était pas intervenu. L'opposition socialiste estime que Bernard Tapie, ex-ministre de la Ville de François Mitterrand, a en fait été récompensé de son soutien à l'actuel chef de l'État lors de sa campagne victorieuse de 2007.
Le P-DG de France Télécom ne peut être mis en cause devant la CJR, réservée aux ministres, mais peut y être auditionné en tant que témoin et être poursuivi dans l'enquête de droit commun.
Un régime d'immunité très élargi ayant été établi pour les actes présidentiels, il est par contre juridiquement très douteux que Nicolas Sarkozy puisse un jour être mis en cause, même s'il quitte l'Élysée en 2012. À l'issue de l'instruction de la CJR, Christine Lagarde pourrait être traduite devant sa formation de jugement, composée de douze parlementaires et de trois juges. Elle encourrait jusqu'à 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende.
Bernard Tapie a conservé plus de 200 millions d'euros après le solde de son passif fiscal et social. – avec Reuters