La conférence des amis de la Libye, qui s'est tenue jeudi à Paris pour discuter de l'avenir de la Libye post-Kadhafi, salue les plans de transition politique présentés par les rebelles libyens, qui ont promis un gouvernement "nouveau, démocratique et pluraliste" pour tous.
Néanmoins, des personnes plus prudentes se déclarent incertaines quant au grand nombre de défis à relever dans ce pays riche en pétrole.
Une réunion dominée par l’Occident
"Le peuple libye doit décider et déterminer son propre avenir", a déclaré le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, lors d'une conférence de presse à l'issue de la conférence qui a duré pendant une demi-journée.
A la demande du Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion libyenne, les participants ont convenu sur le rôle de leader de l'ONU dans le but d'aider le CNT à promouvoir la transition politique en Libye. Une mission civile sera déployée dans le pays après que le Conseil de sécurité de l'ONU soit parvenu à un mandat, a ajouté M. Ban.
Selon lui, les rebelles libyens ont présenté à la conférence de Paris toutes les urgences et priorités, allant de la justice de transition à l'élaboration de la constitution, en passant par les droits de l'Homme, une approche policière en vue d'aider à préparer les élections et l'établissement des institutions.
Les défis humanitaires sont les priorités les plus urgentes qui doivent attirer l'attention internationale, a souligné le secrétaire général de l'ONU.
La France et la Grande-Bretagne, qui soutiennent la prise de mesures militaires pour évincer le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ont mis l'accent sur l'importance d'une présence continuelle de l'OTAN dans le pays afin de protéger les Libyens.
Les Etats-Unis ont exigé le bon usage des avoirs libyens dégelés et ont mis en garde contre l'extrémisme et le terrorisme.
"La communauté internationale surveillera et soutiendra les leaders libyens dans leur processus de transition politique", a indiqué la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton lors d'une autre conférence de presse tenue à l'ambassade américaine.
La chef de la diplomatie américaine a même avancé des exigences pour la future constitution libyenne, disant que la constitution devra inclure l'égalité des droits pour les femmes et les hommes.
La conférence de Paris "est d'assez mauvais signe", car "commencer un processus de construction étatique et national par une conférence internationale qui donne le rôle principal aux puissances occidentales [..] rendra probablement encore plus difficile la mise en place d'un régime consensuel et accepté par la population" libyenne, a confié à l'agence Xinhua Bertrand Badie, expert en relations internationales de l'université SciencesPo de Paris.
Qui contrôle la nouvelle Libye?
"Il y a un risque que la transition échoue", a prévenu un responsable français, sous couvert d'anonymat.
Notant que l'opération militaire touche à sa fin, le Groupe de contact sur la Libye est désireux d'être utile pour l'ère nouvelle de la Libye. Pourtant, bon nombre de questions clés à la transition pacifique et démocratique restent en suspens.
La rébellion libyenne est "formée de courants politiques très contradictoires puisqu'on y trouve des démocrates, des libéraux mais aussi des islamistes", a souligné M. Badie, avant d'ajouter qu'ainsi il s'agit d'abord de savoir "qui va l'emporter à l'intérieur de cette coalition très mystérieuse [du CNT, ndlr] et dans quelle mesure ceux qui vont l'emporter vont imposer leur volonté à ceux qui auront connu la défaite".
La mise en garde de Mme Clinton reflète la préoccupation similaire bien que les hauts responsables du CNT aient promis à Paris que "tous les avoirs seront gérés au nom du peuple libyen et d'une manière responsable et transparente".
"A ce stade, nous ne demandons à personne s'il est extrémiste ou non", a dit Fathi Ben Shatwan, ancien ministre libyen de l'Energie lors d'un débat transmis à la chaîne de télévision France 24.
Il est plus facile de renverser une dictature que d'établir un nouveau régime, selon M. Badie, rappelant le chaos à ce jour en Irak après la chute du régime de Saddam Hussein il y a huit ans.
Au moment où la direction du CNT se déplacera à Tripoli, la gestion de la sécurité dans la capitale libyenne a déclenché des arguments parmi les tribus contrôlant l'ancien bastion du colonel Kadhafi.
Or, le colonel Kadhafi, dont la cachette reste toujours inconnue à ce jour, a exprimé sa résistance continue juste lorsque se déroulait la conférence de Paris.
"Que ce soit un combat long et que la Libye soit envahie par les flammes", a déclaré cet homme fort libyen dans un message diffusé à la chaîne de télévision libyenne Al-Rai.
Le colonel Kadhafi en fuite constitue "définitivement un facteur de déstabilisation. Nous devons le retrouver", a dit Waheed Burshan, membre du CNT, à la chaîne France 24.
Les forces rebelles ont suspendu leurs attaques près de Syrte, ville natale du colonel Kadhafi et le dernier bastion des forces pro-Kadhafi, tout en maintenant un ultimatum de reddition jsuqu'au 10 septembre.
Vivre sous l’influence étrangère
Selon le chef de la rébellion libyenne Mahmoud Jibril, une conférence nationale élargie sera chargée d'élaborer une nouvelle constitution et d'établir un gouvernement provisoire, et de surveiller les élections législatives et présidentielles à suivre.
Il est à espérer que les élections se tiendront dans un délai de quatre mois à compter de la date de l'adoption du projet de constitution par un référendum.
Ce sera un processus long accompagné d'éventuelles violences et chaos, tout comme la situation en Egypte et en Tunisie. Pourtant, contrairement à ces deux derniers pays, l'OTAN a le droit d'intervenir en Libye dans le cadre des résolutions de l'ONU, si les civils sont menacés par les violences.
Concernant le poids des puissances étrangères dans la Libye post-Kadhafi, M. Badie a constaté que ce pays pétrolier riche et stratégique, en tant que "trait d'union entre le Moyen-Orient et le Maghreb, entre le monde arabe et l'Afrique" et "lieu de transit pour l'immigration", intéresse beaucoup "tant la communauté internationale que les communautés régionales notamment la Ligue arabe et l'Union africaine".
Insatisfait de l'aggressivité des nations occidentales dans la question du conflit qui fait rage en Libye, le président sud-africain Jacob Zuma a boycotté la conférence de Paris, bien qu'il ait été activement impliqué dans la médiation en vue de trouver une solution politique au conflit. Jusqu'à présent, presque la moitié des membres de l'UA refusent de reconnaître la légitimité du CNT.
Appelant au dégel des avoirs libyens, les puissances occidentales, notamment la Grande-Bretagne et la France, sont suspectées d'avoir signé des accords secrets pour obtenir une partie des ressources pétrolières riches de la Libye. Le quotidien français Libération rapporte que le CNT a signé un accord avec la France, promettant plus d'un tier du pétrole libyen aux entreprises françaises en échange de son soutien.
Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a déclaré qu'il n'était pas au courant de cet accord, tout en ajoutant que "le CNT a dit très officiellement que dans la reconstruction de la Libye elle s'adresserait de manière préférentielle à ceux qui l'ont soutenue".
Outre les puissances occidentales, le Qatar, la monarchie du Golfe qui a participé à l'opération de l'OTAN, et l'Algérie, voisin de la Libye abritant les memblres de la famille du colonel Kadhafi, cherchent également à promouvoir leurs propres intérêts dans la transition politique libyenne. – AfricaLog avec Xinhua