De violents affrontements opposaient mercredi pour le cinquième jour d'affilée la police à des milliers de manifestants réclamant le départ des militaires au pouvoir, malgré la promesse du chef de l'armée d'organiser une présidentielle mi-2012 pour un retour au pouvoir civil.
Dans une prise de position d'une fermeté inédite, le grand imam d'Al-Azhar, plus haute institution de l'islam sunnite, qui siège au Caire, a appelé la police à ne pas tirer sur les manifestants et l'armée à éviter les affrontements «au sein d'un même peuple».
Ces déclarations interviennent quelques heures après que des médecins ont pour la première fois fait état de décès par balles réelles au cours de violences qui ont officiellement fait 35 morts depuis samedi.
Dans le centre du Caire, les affrontements violents se poursuivaient en début de soirée dans la rue Mohamed Mahmoud qui relie la place Tahrir au ministère de l'Intérieur, a constaté une journaliste de l'AFP.
La police anti-émeute, derrière des barricades, tirait des grenailles et du gaz lacrymogène sur les manifestants, qui brandissaient d'imposants drapeaux égyptiens, tandis que des ambulances allaient et venaient pour transporter de nombreux blessés.
Ailleurs, des affrontements ont été notamment signalés dans les villes d'Alexandrie et Port-Saïd (nord), Suez, Qena (centre), Assiout et Assouan (sud), dans le delta du Nil et à Marsa Matrouh (ouest).
Le haut commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Mme Navi Pillay, a réclamé une enquête «rapide, impartiale et indépendante» sur les violences, tandis que les militants égyptiens accusent les policiers de viser les manifestants au visage, plusieurs d'entre eux ayant perdu l'usage d'un oeil.
Le Parti de la liberté et de la justice, organe politique des Frères musulmans, a demandé au Conseil suprême des forces armées (CSFA) de «présenter ses excuses au peuple égyptien», alors qu'Amr Moussa, ancien chef de la Ligue arabe et candidat déclaré à la présidentielle, a exhorté le CFSA à faire cesser «immédiatement» les violences et à en juger les responsables.
Les États-Unis ont condamné «l'usage excessif de la force» par la police et demandé au gouvernement de protéger le droit de manifester, tandis que trois Américains ont été arrêtés «en relation avec les manifestations», selon le département d'État.
Berlin a également condamné ces violences, Londres dénonçant une «violence inacceptable» et «disproportionnée» contre les manifestants avec des «balles réelles et des gaz dangereux».
L'Organisation de la coopération islamique (OCI) a pour sa part appelé «à la retenue».
Sous la pression des manifestants, le maréchal Hussein Tantaoui, chef d'État de fait, s'est engagé mardi soir à organiser une présidentielle avant fin juin 2012, se disant prêt à remettre le pouvoir immédiatement si un éventuel référendum en décidait ainsi.
Mais les protestataires disent ne pas croire un mot des paroles du maréchal, ministre de la Défense sous le régime de Hosni Moubarak déchu le 11 février.
«Il est désormais clair que celui qui écrivait les discours du président déchu Moubarak est le même que celui qui écrit les discours de monsieur le maréchal», ironise le «mouvement des Jeunes du 6-Avril» dans un communiqué.
«Tantaoui, c'est Moubarak copié/collé. C'est Moubarak en tenue militaire», assure un manifestant, Ahmed Mamdouh, un comptable de 35 ans.
Selon un sondage annuel de l'université américaine du Maryland, 43% des Égyptiens pensent que l'armée «travaille à ralentir ou à remettre en cause» les acquis de la «révolution».
La détermination de la rue, qui a déjà provoqué la démission du gouvernement mis en place par le pouvoir militaire, laisse présager un bras de fer de longue durée, alors que les premières législatives depuis la chute de M. Moubarak doivent débuter lundi.
«Le discours (de Tantaoui) montre que l'armée ne cède sur rien et en même temps la violence renforce la détermination des protestataires», a estimé Heba Morayef, chercheuse pour Human Rights Watch au Caire.
Si les manifestants de Tahrir ne représentent pas la majorité de la société égyptienne, ils ont une véritable influence, pour les analystes.
«L'effusion de sang a un effet. Des jeunes de la classe moyenne sont tués et cela mobilise du monde dans les villes et les provinces», estime Nabil Abdel Fatah, chercheur au Centre Al-Ahram d'études politiques et stratégiques.
«Une deuxième révolution», titrait mercredi le quotidien gouvernemental Al Akhbar, tandis qu'Al Ahram notait: «plus la période de transition se prolonge, plus la crise de confiance s'approfondit».
«Le conseil (militaire) est le problème et pas la solution», avançait dans un éditorial le quotidien indépendant Al Masri al Yom.
Ce contexte de crise fait craindre que les législatives ne soient émaillées de violences. – AfricaLog avec AFP