Du brigadier au colonel, les quatre militaires français jugés à Paris pour le meurtre de l'Ivoirien Firmin Mahé en 2005 ont évoqué mardi avec amertume leur sens de la mission et de l'honneur, tout en reconnaissant avoir "franchi la ligne rouge".
Firmin Mahé, 29 ans, avait été étouffé avec un sac plastique alors qu'il était transporté dans un blindé français.
Les accusés, qui affirment avoir agi sur ordre, faisaient partie de la force française Licorne déployée en soutien de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci), un pays alors coupé en deux par une guerre civile.
Pour eux, Mahé était un "coupeur de route", un bandit terrorisant les populations dans la "zone de confiance" qu'ils étaient chargés de surveiller.
Pour les proches de Mahé, les militaires l'ont pris pour un autre. "On a tué un innocent!", a tonné l'avocat de la famille, Fabien Ndoumou.
Interpellé le 13 mai 2005 près de Bangolo (ouest), après avoir été blessé à une jambe lors d'un accrochage avec des militaires français, Mahé avait été conduit vers la ville de Man sur ordre du général Henri Poncet, commandant de la force Licorne. C'est en route qu'il était mort.
A l'ouverture du procès, mardi matin, Me Ndoumou avait déploré que les proches de Mahé n'aient pas encore obtenu de visas pour assister à l'audience: "J'estime que c'est une question de volonté politique."
L'adjudant-chef Guy Raugel, 48 ans, qui a reconnu avoir étouffé Mahé, a de son côté réaffirmé à la presse sa conviction que la victime était un criminel.
Il a aujourd'hui encore "le sentiment d'avoir fait son devoir, tout en ayant dépassé la ligne rouge". "J'attends une certaine délivrance de ce procès", a-t-il dit à l'audience, consacrée à l'examen des curriculum vitae des accusés.
"ce qui a fait de nous de mauvais soldats..."
"Ce qui a fait de nous des mauvais soldats, ce n'est pas le fait d'avoir rempli cette mission, c'est que cette affaire soit sortie, six mois après", a déclaré Guy Raugel, bras croisés, cheveux ras et pull marine.
Comme pour ses co-accusés, le président de la cour d'assises, Olivier Leurent, a lu des appréciations extrêmement élogieuses de ses états de service, formulées par ses supérieurs avant les faits, mais aussi après.
Deux des quatre accusés avaient effectué entre quatre et six mois de détention provisoire en 2005-2006. Mais tous n'ont quitté l'armée que plusieurs années plus tard.
Avec Guy Raugel se trouvaient dans le blindé le brigadier-chef Johannes Schnier, 35 ans, qui maintenait Mahé, et le brigadier Lianrifou Ben Youssouf, 32 ans, le chauffeur.
Pour eux aussi, il a été question mardi d'amour de l'armée, de sens du service, d'envies de voyages... Avant la Côte d'Ivoire, ils avaient participé à des opérations au Kosovo, en Afghanistan...
Le quatrième accusé est Eric Burgaud, 50 ans, colonel et chef de corps à l'époque.
Issu de la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr, officier dans les chasseurs alpins, catholique pratiquant, le colonel, grand, mince, costume sombre, a parlé du "sens sacré de la mission". Sacré, "ça veut dire que c'est au-dessus de tout". Il a quitté l'armée en 2008: "Le ressort était cassé".
Eric Burgaud reconnaît avoir transmis à ses hommes l'ordre implicite que Mahé n'arrive pas vivant à destination. Mais il assure avoir tenu cet ordre du général Poncet, qui lui aurait dit: "Roulez lentement, vous me comprenez...". Le général a démenti avoir donné un tel ordre et a bénéficié d'un non-lieu.
Henri Poncet est attendu comme témoin le 4 décembre, de même que l'ancienne ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie.
Le procès est prévu jusqu'au 7 décembre. – AfricaLog avec agence