« Vous pouvez m'enterrer au fond de Manhattan. Je me lèverai. Mon peuple viendra me chercher. Je me lèverai des huttes de la honte de l'histoire. » Maya Angelou, 2003
C'est ce qu'avait déclaré l'auteure et poétesse afro-américaine renommée Maya Angelou, à propos de l'esclavage et du mauvais traitement des Africains à l'époque coloniale et aux premiers temps de l'histoire des États-Unis, notamment dans ce qui devint New York, lors d'une cérémonie spéciale tenue en 2003 sur le site de ce allait devenir en 2006 le Monument national du cimetière africain de New York. Aujourd'hui, ces paroles sont suspendues à un chevron du nouveau centre d'accueil érigé pour ce cimetière. Inauguré en février, le centre offre un panorama de la vie des Noirs sur l'île de Manhattan, où fut fondée la ville de New York, aux XXVIIe et XXVIIIe siècles.
À New York, comme dans les autres colonies du Nouveau Monde, les esclaves africains restèrent attachés à leurs traditions culturelles et aux rituels de leurs communautés, y compris ceux relatifs à l'enterrement. Les gouvernements coloniaux de New York, d'abord néerlandais puis britannique, interdisaient l'enterrement d'Africains, qu'ils soient affranchis ou esclaves, dans les limites de la ville ; c'est pourquoi les Africains et leurs descendants inhumèrent leurs morts dans un terrain de deux hectares et demi situé au nord de la colonie primitive de Manhattan. De 1626 à 1794, les Africains de New York pleurèrent et honorèrent leurs proches disparus au « Cimetière des Nègres » comme celui-ci était dénommé sur un plan datant de 1755.
Quand ce cimetière fut fermé en 1794, des spéculateurs financiers divisèrent le site en parcelles de terrain à vendre. C'est ainsi que débutèrent deux cents ans d'agrandissement de la ville et de construction sur cette terre sacrée.
En 1991, l'US General Services Administration (l'Administration des services généraux du gouvernement des États-Unis ou GSA) découvrit et exhuma 419 sépultures lors de travaux d'excavation entrepris pour la construction d'un nouvel immeuble fédéral. Tenant compte des sentiments de la population locale quant au respect dû au cimetière et à la mémoire de ceux qui y avaient été enterrés, la GSA décida de suspendre le projet en cours pour permettre aux architectes de modifier les plans du bâtiment afin de créer un espace commémoratif devant le bâtiment.
Ce site en plein air fut proclamé « monument national » en février 2006. Il est administré par le Service des parcs nationaux des États-Unis (NPS), qui en gère aussi le nouveau centre d'accueil situé dans l'entrée du bâtiment fédéral aujourd'hui achevé. Le centre et le monument commémoratif célèbrent les traditions africaines et offrent un endroit pour rendre hommage à ceux qui y ont été enterrés.
Le rappel d'un passé troublant
Parmi les Africains qui furent enterrés dans ce cimetière figurent d'anciens esclaves de la Sierra Leone, du Nigeria, du Cameroun, du Ghana, du Mozambique, de Madagascar et d'autres pays, de même que des esclaves affranchis. Selon la Société historique de New York, les esclaves africains représentaient à l'époque coloniale le cinquième de la population de cette ville, dont 41 % des ménages étaient propriétaires d'esclaves.
New York comptait alors un marché florissant d'esclaves, le deuxième du pays, fait que les chercheurs tentent de mettre en exergue quand ils expliquent l'histoire de la ville aux visiteurs et aux écoliers qui se rendent au cimetière en sortie scolaire. Les Américains des treize premières colonies du pays possédaient des esclaves ; les États du Nord abandonnèrent l'esclavage avant ceux du Sud, mais dans les années 1770, New York était considéré comme un point central de cette pratique.
« Un grand nombre de personnes pensent que l'esclavage n'existait que dans le sud du pays. Et elles sont très étonnées d'apprendre qu'il existait également dans le Nord », a dit à America.gov M. Jordan Wright, conservateur au NPS qui travaille au cimetière.
En effet, le centre d'accueil et le monument commémoratif ouvrent les yeux à ceux qui s'y rendent. Selon M. Wright, ce centre accueille environ 140 personnes par jour tandis que de 180 à 200 autres rendent visite au cimetière chaque jour. Christopher Chambers, Alexandria Norton et David Briggins sont trois élèves âgés de 12 ans qui se sont rendus à ce monument commémoratif lors d'une randonnée organisée en 2010 par leur école du quartier de Queens, à New York.
« Nous apprenons l'histoire de notre pays », a dit Mlle Norton dans une interview. « C'est triste que pendant si longtemps on ait construit des bâtiments au-dessus des gens enterrés », a-t-elle poursuivi.
Bien qu'ils soient atterrés par le rôle qu'avait joué leur ville dans l'esclavage, les étudiants étaient tous d'accord pour dire que l'exposition au musée était « très intéressante » parce qu'elle leur a donné un sens de la vie réelle des ancêtres africains.
Au milieu du musée se dresse une maquette représentant une cérémonie d'enterrement, accompagnée de sons rappelant les coups de pelle dans le sol, le vent qui souffle, les chants des oiseaux et le bourdonnement des insectes autour des personnes rassemblées à l'occasion. La voix d'une femme dirige le chant du groupe en l'honneur de la personne décédée. Comme l'explique la description fournie par le musée, la cérémonie visait à intégrer les traditions africaines des pays d'origine de cette communauté à celles de la culture occidentale qu'elle avait adoptées.
Des expositions autour de la scène funéraire montrent en détail les épisodes de la vie que menaient les Africains à l'époque à New York, du voyage qu'ils avaient été contraints à faire à bord de négriers, au labeur difficile des débardeurs, à la malnutrition et aux maladies dont souffraient les enfants et à la rébellion contre les lois répressives. L'exposition met aussi l'accent sur les contributions faites par les esclaves africains à la ville de New York : les Néerlandais avaient fait construire un mur par des esclaves pour barricader leur colonie contre les attaques des Britanniques - mur que ces derniers détruisirent, après avoir saisi le territoire des mains des Néerlandais. Ce secteur est aujourd'hui connu sous le nom de Wall Street, le centre financier de New York.
Rendre hommage aux ancêtres africains de New York
Les excavations sur le lieu d'enterrement ont révélé les détails des dignes cérémonies qu'organisait la communauté africaine à l'occasion de la mise en terre de ses membres. Les cercueils étaient enterrés avec la tête en direction de l'ouest afin que le mort ait le visage tourné vers l'est à son entrée dans l'au-delà, explique une brochure du musée. À l'intérieur de plusieurs de ces cercueils ont été retrouvés divers objets, tels des boutons, des bijoux et des coquillages qui ont permis aux archéologues d'en savoir davantage sur la culture et les traditions de la population africaine de New York de l'époque.
Depuis que ces tombes ont été retrouvées, des centaines de descendants des décédés, de même que des membres de la communauté noire américaine, se sont rendus au cimetière pour verser des libations, une pratique sacrée de certaines sociétés africaines. Pour honorer les morts, les visiteurs versent une boisson par terre, l'offrant d'abord, de manière symbolique, aux ancêtres en signe de gratitude et pour leur demander conseil.
La cérémonie de ré-enterrement organisée en octobre 2003 et à laquelle Mme Angelou avait prononcé son allocution marquait le retour à ce site des restes enlevés des tombes en 1991, remis en terre près de l'endroit initial où ils se trouvaient. Sept buttes adjacentes au monument commémoratif en plein air indiquent l'emplacement des 7 cryptes dans lesquelles tous les cercueils ont été ré-enterrés, la tête tournée vers l'ouest.
Avant d'être ramenés au cimetière, les restes avaient été gardés pendant 7 ans à l'université Howard de Washington où des anthropologues les avaient examinés et avaient relevé les signes des lésions infligées au squelette par le travail ardu et la malnutrition. Certains de ces restes témoignent aussi de l'héritage africain, par exemple des dents limées. Pour leur ré-enterrement, la GSA avait commandité des cercueils à des artisans d'Accra et d'Aburi (Ghana), fabriqués de bois et gravés de dessins figuratifs et de symboles du peuple Akan de l'Afrique de l'Ouest.
Selon le quotidien New York Times, il y aurait de 10.000 à 20.000 autres Africains enterrés dans la partie méridionale de Manhattan. – America.gov