Des maisons noircies par les flammes, des échoppes abandonnées par leurs propriétaires qui ont pris la fuite, des blocs de pierres au milieu des rues: la ville de Jos et ses environs, au centre du Nigeria, portent les stigmates des récentes violences sectaires.
Jos, une cité ombragée et fleurie, est maintenant divisée en deux parties associées à des ethnies auxquelles correspondent des croyances religieuses: chrétienne Berom et musulmane Haoussa et Fulani.
La circulation est quasi impossible d'un secteur à l'autre de la localité, entre le nord à majorité musulmane et le sud à majorité chrétienne.
"A Jos, nous connaissons nos frontières. Nous savons où nous pouvons être et ne pas être. Nous ne pouvons pas nous rendre n'importe où, n'importe comment", assure Olivia Milaha, militante des droits de l'Homme.
"Nous voici pratiquement au même stade que l'a été le Liban -divisés", ajoute-t-elle, en référence à la guerre civile ayant opposé notamment chrétiens et musulmans dans les années 1970-80.
Abdul Yusuf, un vendeur de fruits haoussa de Bukuru, une localité à dominante chrétienne au sud de Jos, se plaint des affaires ralenties depuis le cycle de violences de janvier et ses centaines de morts, majoritairement musulmans.
"Personne ne vient plus acheter", dit-il, installé dans le grand marché proche des maisons en ruines.
Yusuf résume l'état d'esprit de Jos, capitale de l'Etat central du Plateau, à la frontière du nord musulman et du sud chrétien et animiste du Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique avec quelque 150 millions d'habitants.
La ville est l'épicentre des affrontements qui secouent le pays depuis des mois et ont fait, selon des groupes locaux de défense des droits de l'Homme, plus de 1.500 morts et des dizaines de milliers de déplacés.
A Jos, il y a désormais "des zones interdites aux chrétiens et d'autres aux musulmans", constate lui aussi l'avocat Ahmed Garba. Certains, dit-il, n'osent même plus engager un avocat de l'autre communauté.
Les ONG veulent une solution rapide pour éviter le pire.
"Si rien de crédible n'est entrepris très vite, Jos pourrait vivre une autre crise avec des tueries massives et des exactions à une échelle jamais vue", avertit l'avocat Chidi Odinkalu, de l'Initiative pour une Société Ouverte, en visite dans la ville.
"Il faut prévenir un génocide", affirme-t-il. "La population de Jos a un besoin urgent de reprendre confiance dans le gouvernement local et dans la coexistence inter-communautaire".
Lors des massacres de mars, des éleveurs Fulani ont parcouru la ville à la recherche de chrétiens Berom. Et ils en ont tué plus de 500, selon des bilans concordants.
Les Berom sont les premiers habitants de Jos et considèrent les Haoussas comme des colons, car arrivés dans la ville pour travailler dans les mines d'étain il y a un siècle, raconte Jonah Madugu, un intellectuel Berom.
Mais les chefs religieux, qui appellent conjointement au calme, affirment que les problèmes actuels sont surtout dus à une mauvaise gouvernance. "Il ne faudrait qu'une semaine pour résoudre les différends si seulement le gouvernement voulait bien rétablir la confiance", lance un chef religieux musulman de Bukuru, Alhaji Ali Mohammed.
Le fossé semble pourtant difficile à combler et la haine est devenue telle qu'elle interfère même dans les enterrements.
"Même si l'un de nous meurt, il ne nous est pas possible de l'enterrer ici", se plaint un chef musulman de Bukuru, à majorité chrétienne, en expliquant que les morts de sa communauté sont désormais mis en terre dans l'Etat voisin de Bauchi. - AFP