Brice Hortefeux a transmis à ses collègues du gouvernement une "patate chaude" juridique en demandant qu'un Français musulman soupçonné de polygamie et de fraude aux allocations soit déchu de sa nationalité française.
En s'intéressant au mari d'une femme qui conduisait avec un niqab, la droite a aussi excédé le Parti socialiste, qui dénonce le montage d'un scénario en plein débat sur le voile intégral.
Selon le ministre de l'Intérieur, Liès Hebbadj, né à Alger, aurait quatre femmes et chacune bénéficierait de l'allocation de parent isolé. Des délits qui méritent la déchéance de nationalité obtenue par mariage en 1999, a écrit Brice Hortefeux vendredi dans une lettre à son collègue de l'Immigration.
"Si une condamnation intervient, des sanctions pénales seront prononcées et j'étudierai alors, avec la garde des Sceaux, l'éventuelle déchéance de nationalité de cette personne", déclare Eric Besson au Parisien paru dimanche.
Aucun délit n'a été prouvé et le ministre se montre prudent. L'homme peut vivre avec plusieurs femmes, les avoir "épousées" devant un imam et ne s'être marié qu'une seule fois civilement. Il ne serait pas condamnable aux yeux de la loi française, qui punit d'un an de prison et 45.000 euros d'amendes le fait d'être marié civilement ou "pacsé" avec plusieurs personnes.
INCERTITUDES JURIDIQUES
Selon le député-maire de Nantes Jean-Marc Ayrault, la situation de Liès Hebbadj est connue depuis longtemps par l'Etat et la Caisse d'allocations familiales. Le procureur de la République de Nantes, Xavier Ronsin, a dit au Parisien n'avoir "reçu aucune plainte des services sociaux".
De plus, aucun de ces deux délits ne peut provoquer la déchéance de nationalité, une procédure rare.
La naturalisation peut être annulée sur avis conforme du Conseil d'Etat si la décision "a été obtenue par mensonge ou par fraude", selon le Code civil, "dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude".
L'Etat devrait donc prouver que l'homme était déjà marié civilement au moment du mariage de 1999.
Liès Hebbadj tient une boucherie hallal dans le sud de Nantes et préside une association culturelle musulmane à Rezé, en Loire-Atlantique.
"Depuis six mois, il a la volonté de monter une mosquée sur la commune", a dit à Reuters Pierre Quénéa, adjoint PS au maire de Rezé. "Je ne peux pas dire que j'ai eu affaire à quelqu'un d'extrémiste. Mais M.Hebbadj a une double face: d'un côté, c'est quelqu'un d'affable, de gentil et de cordial; de l'autre, il y a des pratiques religieuses tout à fait différentes", a-t-il dit.
"HISTOIRES CLÉS EN MAIN"
L'enquête est encore en cours mais la gauche déplore un coup médiatique réussi de la part de la droite.
"Ce sont des très bons communicants pour monter des scénarios", a dit Julien Dray sur Radio J. "Ils sont capables de vendre des histoires clés en main auxquelles tout le monde adhère."
Le PS dénonce une récupération politicienne opportune, dans la foulée de l'annonce par le président Nicolas Sarkozy d'une loi interdisant le port du voile intégral dans l'espace public.
Le gouvernement a pris un risque juridique et politique en choisissant l'option de l'interdiction totale. Un sondage TNS Sofres paru samedi suggère que ce n'est pas une priorité des Français et qu'un tiers seulement des personnes interrogées se disant favorables à une interdiction totale du voile intégral.
Pour l'opposition, le gouvernement a allumé un contre-feu. La lettre de Brice Hortefeux à Eric Besson a été transmise à la presse et le conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, Franck Louvrier, l'évoquait dès vendredi soir, sur son blog.
"Brice Hortefeux a tout à fait raison de mettre les pieds dans le plat", a dit Jean-François Copé sur Radio J, donnant aux socialistes le simple choix de cautionner la polygamie ou de donner raison au ministre.
"Le gouvernement prend une mauvaise voie, un mauvais chemin", affirme Julien Dray. "Il est en train de s'emballer, de construire un scénario de dramatisation d'une situation."
Selon le Journal du Dimanche, le Premier secrétaire du PS, Martine Aubry, a demandé aux siens de ne pas alimenter "la chronique de la burqa".
Stéphane Maugendre, président du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), estime dans Le Parisien que "le gouvernement peut espérer un soutien inattendu à sa loi".
"Car le raisonnement qu'ils vont tenir est simple: qui dit voile intégral dit nécessairement polygamie, appartenance à une mouvance islamiste, fraude aux allocations familiales (...) donc personnes dangereuses pour la France." - Reuters