Les coups de force qui ont renversé des gouvernements en Afrique durant l'année écoulée inquiètent les investisseurs et compromettent le développement d'un continent qui avait commencé à rompre avec son image de putschs et d'insurrections.
Moins d'un an après l'afflux massif d'entreprises en Afrique dans un contexte de hausse des prix du pétrole et des matières premières, la crise économique mondiale pousse les investisseurs à freiner brutalement. Quatre coups d'Etat ou renversements ont eu lieu en huit mois après trois ans de trêve, ce qui renforce la prudence de firmes étrangères déjà enclines à réduire leurs engagements. "Je ne crois pas que ces exemples d'instabilité soient liés jusqu'à former un schéma d'ensemble en Afrique, mais il ne fait aucun doute que les éléments extérieurs et les milieux d'affaires du reste du monde y verront un tel schéma", estime Tom Cargill, coordonnateur de programme pour l'Afrique auprès du groupe de réflexion londonien Chatham House. Les putschs de Mauritanie et de Guinée, l'assassinat ce mois-ci du président de la Guinée-Bissau et le renversement cette semaine du président élu de Madagascar relèvent des politiques nationales plus que d'une tendance continentale. Ces pays ont tous un passé d'instabilité politique et aucun d'eux n'exerce un impact majeur sur la croissance économique du continent, que le FMI s'attend déjà à voir tomber à 3,5% en 2009, soit la moitié de ce qu'elle était il y a deux ans. Mais les progrès de la stabilité passent pour un accélérateur de la croissance et beaucoup y voient la raison pour laquelle des investisseurs commençaient à considérer l'Afrique comme une région économiquement prometteuse alors qu'ils ne s'y seraient guère aventurés auparavant. LA DÉMOCRATIE EN OBSERVATION Le fait que des putschistes aient réussi leurs opérations sans avoir ensuite à céder le pouvoir ni même se heurter à une censure notable, risque d'enhardir ceux qui seraient tentés d'en faire autant dans des pays plus grands où une croissance en baisse favorise une atmosphère de désaffection. "Voyez (...) d'autres Etats africains, ceux qui sont jugés cruciaux : le Nigeria est dans un état épouvantable, tout comme l'Egypte et le Kenya", note Hussein Solomon, professeur de sciences politiques à l'Université de Pretoria. Bien qu'on tende à grouper les Etats africains en dépit de leur diversité, le tableau d'ensemble n'est pas uniforme. Le scrutin présidentiel de janvier au Ghana a été très serré mais on y a évité des débordements graves, ce qui a rassuré les investisseurs malgré une crise fiscale aiguë. Mais il faisait suite à une année d'élections perturbées ou contestées ailleurs sur le continent.
L'Afrique du Sud, première économie d'Afrique, organise en avril des élections qui pourraient être les plus disputées depuis la fin de l'apartheid en 1994. Mais des accusations de corruption hypothèquent l'avenir du candidat à la présidence le mieux placé, Jacob Zuma, et les divisions au sein de son parti inspirent des craintes en matière de démocratie. Par ailleurs, les tensions sociales s'aggravent à travers l'Afrique sous l'effet de la crise économique mondiale, qui entraîne suppressions d'emplois, baisse des recettes à l'exportation et affaiblissement des monnaies africaines. "Je crois que les gens en auront de plus en plus assez à force de ne pas comprendre ce qui se passe", déclare Solomon. "Ils ne peuvent pas comprendre comment la situation sur le marché américain des crédits immobiliers ou les problèmes de la Chine ont un impact sur les prix des matières premières, sur la viabilité fiscale des politiques africaines, alors leur colère se tourne contre leurs Etats et cela devrait s'intensifier." AVERTISSEMENT DE L'UA La spectaculaire volte-face opérée par les pays riches en renflouant ou en nationalisant des entreprises en faillite provoque aussi une réévaluation du modèle vanté aux Africains depuis la guerre froide par les donateurs occidentaux, mélange d'économie de marché capitaliste et de démocratie pluraliste. Cette remise en question est liée à la crise financière mais aussi à l'essor de la Chine, Etat à parti unique mais partenaire économique et commercial devenu essentiel pour l'Afrique. "Je crois qu'à l'avenir tout le principe du système capitaliste démocratique sera mis à l'épreuve (...) et que certains profiteront de sa remise en question à des fins particulières, en prenant leurs options sur le pouvoir", dit-il. Ce débat est déjà ouvert au sein de l'Union africaine, dont le règlement interdit les prises de pouvoir inconstitutionnelles mais dont le président pour l'année qui vient, le Libyen Mouammar Kadhafi, s'élève contre ce qu'il qualifie de structures démocratiques étrangères imposées à l'Afrique. L'UA a averti Madagascar que toute prise du pouvoir par des moyens non constitutionnels serait considérée comme un coup d'Etat susceptible de sanctions ou de suspension. Mais Kadhafi - arrivé lui-même au pouvoir par un coup de force en 1969 - a adressé une rebuffade la semaine dernière au premier dirigeant démocratiquement élu en Mauritanie, victime d'un putsch militaire l'an dernier. "Il doit accepter les faits (...) Ce n'est pas le premier chef d'Etat à être renversé", a dit le dirigeant libyen, dont les propos laissent penser que les putschistes ne rencontreront pas trop de difficultés, du moins pendant sa présidence de l'UA. - Reuters