Le meurtre de trois étudiants musulmans aux États-Unis a déclenché un torrent de critiques contre le deux poids deux mesures médiatique, certains accusant les journalistes de traiter différemment les victimes lorsqu'elles sont musulmanes.
L'auteur présumé du triple meurtre, Craig Stephen Hicks, âgé de 46 ans, a été écroué pour le meurtre des trois jeunes près du campus de la prestigieuse Université de Caroline du Nord, à Chapel Hill.
Mais les détails de la tuerie n'ont été divulgués par les médias qu'au compte-goutte dans les heures suivant le drame, tandis que sur les réseaux sociaux des milliers d'utilisateurs donnaient les derniers développements.
Le temps que les médias nationaux américains s'emparent de l'information, des milliers de tweets avec le mot-clic MuslimLivesMatter (en référence à BlackLivesMatter créé après les meurtres par des policiers de Noirs aux États-Unis) avaient été postés, et les analyses sur le relatif silence médiatique quant aux intentions du tueur se multipliaient.
Ibrahim Negm, l'assistant du Grand Mufti d'Égypte, n'a de son côté pas tardé à qualifier ce triple meurtre d'«attaque terroriste» qui «dévoile la face immonde de l'islamophobie».
M. Negm a également dénoncé «le silence des médias américains sur cette attaque raciste», selon un communiqué de son bureau.
Plusieurs experts ont souligné la prudence si ce n'est la circonspection des médias à attribuer des motifs à ce crime, la comparant à la couverture habituellement moins timide réservée aux attaques commises par des musulmans.
Dans la bande de Gaza palestinienne, des dizaines de manifestants se sont rassemblés pour protester contre la couverture médiatique du drame.
«Nous considérons que ce qui s'est passé est un acte raciste, et nous appelons l'administration américaine à des poursuites judiciaires contre ce type de crimes, comme contre les criminels de guerre», a indiqué Said Al-Hathom, le porte-parole du bloc islamique, un mouvement d'étudiants lié au Hamas.
Le tueur, qui s'est de lui-même rendu à la police, avait, sur son compte Facebook, critiqué les religions et téléchargé, une fois, une photo de son revolver.
La police américaine enquêtait pour déterminer si son apparente hostilité envers les religions avait motivé son crime, indiquant que les éléments préliminaires de l'investigation semblaient évoquer une simple querelle de voisinage.
Demandes d'excuses
Mohammad Abou-Salha, père des deux jeunes femmes, Yusor Abu-Salha, 21 ans, et Razan Abu-Salha, 19 ans, tuées mardi soir en même temps que le mari de Yusor, Deah Shaddy Barakat, 23 ans, a immédiatement réfuté la thèse de la dispute.
M. Hicks «nous déteste pour ce que nous sommes et à cause de notre apparence», lui a un jour dit l'une de ses filles, a-t-il affirmé.
La femme du tireur s'est dite sur CNN convaincue que «cet incident n'a rien à voir avec la religion ou la foi des victimes», mais est «lié à des disputes récurrentes à propos du stationnement entre mon mari et les voisins. Et nos voisins sont de races différentes et ont des religions différentes».
«Il est frappant de voir l'approche modérée, prudente, adoptée lorsqu'il s'agit d'un Blanc (Caucasian en anglais), non-musulman, qui tue trois jeunes», estime Hicham Hellyer, un analyste spécialiste des relations entre les États-Unis et le monde musulman basé au Caire.
«C'est la bonne approche», ajoute-t-il, «mais cela devrait être comme ça tout le temps».
Sur les réseaux sociaux, beaucoup ont demandé aux athées de s'excuser pour la tuerie, comme certains exigent régulièrement des musulmans qu'ils s'excusent lorsqu'un extrémiste islamiste commet un crime.
En réponse aux accusations, des journalistes ont souligné que l'information était parvenue au beau milieu de la nuit.
«Même si je peux comprendre que le décalage horaire a joué un rôle, et si je reconnais que les médias américains se sont finalement réveillés - au propre comme au figuré - le retard a été flagrant, et étrillé à juste titre», a réagi le journaliste égyptien Mohamed El Dahshan.
Funérailles à Chapel Hill, indignation au Moyen-Orient
Plusieurs milliers de personnes ont assisté jeudi à l'enterrement des trois étudiants musulmans assassinés mardi à Chapel Hill (sud-est des États-Unis), un crime qui a suscité l'indignation dans certains pays musulmans.
Plus de 5000 personnes se sont rassemblées à Raleigh, près de Chapel Hill, pour les funérailles de deux soeurs et du mari de Yusor. Le couple s'était marié en décembre.
La police n'a pas encore déterminé si les victimes ont été tuées à cause de leur religion ou suite à une querelle de voisinage, comme l'a suggéré la police dans son enquête préliminaire.
Les familles des victimes affirment qu'il s'agit d'un crime «motivé par la haine» tandis que la femme du suspect Karen Hicks assure que l'assassinat n'a «rien à voir avec la religion» et évoque des «disputes récurrentes» au sujet du stationnement de l'immeuble dans lequel habitaient le meurtrier présumé et ses victimes.
Selon le lieutenant de police Joshua Mecimore, le crime aurait été provoqué par «une dispute récurrente de stationnement entre voisins». Mais la police a assuré qu'elle allait explorer toutes les pistes.
La procureure Carolina Ripley a indiqué pour sa part que ce meurtre était considéré comme un «incident isolé».
«Islamophobie»
«Ça attise déjà les peurs. J'ai reçu des dizaines d'appels», a réagi le directeur du Conseil des relations américano-musulmanes (CAIR), Nihad Awad. «Les gens sont très inquiets de ce qui est arrivé. Ils pensent que c'est un crime de haine prémédité», a-t-il rapporté.
Dans plusieurs pays musulmans, dignitaires ou responsables politiques ont exprimé leur vive indignation et critiqué notamment la prudence des médias, en la comparant à la couverture habituellement moins timide réservée aux attaques commises par des musulmans.
Ibrahim Negm, l'assistant du Grand Mufti d'Égypte, a qualifié le meurtre d'«attaque terroriste» et dénoncé «le silence des médias américains».
«Est-ce que les dirigeants du monde entier vont se rassembler en leur mémoire ?», s'est demandé le secrétaire général de l'Union internationale des savants musulmans, basée au Qatar, Ali al-Qaradaghi, en référence à la manifestation massive du 11 janvier qui avait suivi les attaques meurtrières de Paris contre Charlie Hebdo et un magasin casher.
Le chef du gouvernement marocain, Abdelilah Benkirane, a dénoncé une «campagne sauvage dont sont victimes des (...) personnes de confession musulmane (...) dans certains pays occidentaux».
Dans la bande de Gaza, des dizaines de manifestants ont protesté contre la couverture médiatique du drame. «Ce qui s'est passé est un acte raciste», a estimé Saïd Al-Hathom, porte-parole d'un mouvement d'étudiants lié au Hamas.
Plusieurs personnalités à Chapel Hill ont appelé au calme. «C'est le temps du deuil et aussi un moment pour appeler à l'harmonie et à la paix», a déclaré Mohamed Elgamal, responsable de l'Association islamique.
Plusieurs milliers de personnes ont participé mercredi à une veillée dans la ville pour rendre hommage aux jeunes gens, dénoncer l'intolérance et réclamer une enquête approfondie.
Sur sa page Facebook, le suspect s'affiche comme un antireligieux convaincu: «Étant donné les énormes dégâts que votre religion a faits dans ce monde, je dirais que j'ai non seulement le droit, mais aussi le devoir, de l'insulter», écrit-il, s'en prenant indistinctement aux musulmans, aux chrétiens et aux juifs.
Dans la justice américaine, le qualificatif de «crime de haine» est un facteur aggravant à toute infraction (meurtre, viol...) qui serait motivée par la race, la religion, l'ethnicité, l'orientation sexuelle ou le handicap. – AfricaLog avec agence