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Nigéria: La chasse aux homos est ouverte

Apr 01, 2009

Le pays le plus peuplé d'Afrique s'apprête à adopter une législation contre les mariages homosexuels. L'homophobie gagne du terrain sur le continent.

Ceux qui veulent mettre à mal les droits de l'homme s'érigent volontiers en défenseurs de la vertu et des intérêts nationaux. A la fin de 2001, tandis que Washington prenait des mesures draconiennes censées venir à bout du terrorisme, le ministre de la Justice américain John Ashcroft déclarait : "A ceux qui veulent effrayer nos concitoyens épris de paix en agitant le spectre d'une liberté perdue, je dirai ceci : votre tactique ne fait que rendre service aux terroristes, car elle sape l'unité nationale et fait fléchir notre détermination. Elle donne des armes aux ennemis de l'Amérique, elle fait hésiter les amis de l'Amérique. Elle incite les hommes de bonne volonté à garder le silence face au mal." Bien des gens ont été convaincus, ou réduits silence par l'intimidation. Les sombres conséquences se font sentir encore aujourd'hui.

Aujourd'hui, au Nigeria, on utilise la rhétorique du patriotisme et de la morale pour tenter de justifier l'adoption d'un projet de loi interdisant les mariages homosexuels. L'homosexualité masculine est déjà illégale, mais ce projet de loi pourrait servir à emprisonner des gens du même sexe qui vivent ensemble "comme mari et femme ou pour d'autres raisons liées à leur relation homosexuelle", ainsi que toute personne qui "soit le témoin d'une telle relation, l'encourage ou la facilite". Bien évidemment, ce projet de loi a été condamné par les militants des droits de l'homme, tant au Nigeria que dans le reste du monde. Au dire de gays et de lesbiennes nigérians, une telle loi serait la porte ouverte à tous les abus. De fait, comme l'expérience l'a prouvé ailleurs dans le monde, une législation censée viser les gays peut servir à éliminer des adversaires politiques.

Toutefois, plusieurs dignitaires ecclésiastiques se sont prononcés en faveur du projet de loi, notamment le révérend Patrick Alumake, qui dit exprimer le point de vue de l'Eglise catholique. En réalité, si le Vatican n'est guère favorable à la cause gay, il est opposé à toute pénalisation. Il sera donc intéressant de voir comment Rome réagit. L'archevêque Peter Akinola est lui aussi un ardent défenseur du projet de loi. Or la Communion anglicane, à laquelle appartient son Eglise, a appelé à maintes reprises à la défense des droits de l'homme, y compris pour les homosexuels. Dans une déclaration en faveur du projet de loi, l'archevêque Akinola commence par sa propre interprétation (contestée) de la Bible, faisant valoir que "toute société qui approuve les unions homosexuelles comme un mode de vie acceptable est en état avancé de corruption et de décadence morale. Ce projet de loi a donc pour but de protéger le Nigeria contre l'anéantissement complet qui suivra la colère de Dieu si de telles pratiques sont reconnues comme normales dans notre pays." L'homme d'Eglise poursuit par d'autres affirmations outrancières : "Une part du dessein de Dieu est d'assurer la perpétuation de l'existence humaine par la procréation. Dieu a béni Adam et Eve et leur a dit : croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et assujettissez-la [Genèse, 1, 28]. Le mariage entre personnes du même sexe est une violation de cette injonction divine et ne pourra que mettre en danger l'existence humaine." Le fait que ces sinistres prédictions ne se soient réalisées nulle part ailleurs dans le monde ne le fera pas changer d'avis.

Les Africains, et en particulier les Nigérians, ont beau avoir joué un rôle important dans la reconnaissance et la défense des droits de l'homme, il n'en fait aucun cas : "Nous devons garder à l'esprit les différentes étapes de la pernicieuse influence occidentale sur notre pays et notre continent… Le tollé actuel au sujet des droits de l'homme, notamment en ce qui concerne le mariage homosexuel, n'est qu'un nouveau stratagème pour semer encore davantage le désordre dans ce pays." L'archevêque brosse un tel tableau de la menace gay et lesbienne que cela justifierait les mesures les plus dures : "Le mariage homosexuel […] est une perversion, une déviance et une aberration, qui risque d'engendrer un holocauste moral et social dans notre pays. Il pourrait aussi aboutir à l'existinction (sic) de l'humanité, il ne faut donc jamais le laisser s'implanter au Nigeria." Dans cette vision apocalyptique du monde, il peut être trop risqué d'aimer son semblable comme soi-même.

Pourtant, en dernière analyse, la violation des droits de l'homme porte atteinte à la morale et au bien-être national. Selon un ancien juge et avocat général de la marine américaine, le maréchal John D. Hutson, "à l'égard des détenus, la position de la hiérarchie était la suivante : on avait affaire à des terroristes, des gens tout ce qu'il y a de plus méprisable, des hors-la-loi qu'on pouvait traiter de manière inhumaine… Nous avons eu Abou Ghraib et ses suites. L'image de l'armée et du pays a été très entamée. Notre réputation internationale va être ternie pour plusieurs générations." Les autorités nigérianes devraient en tenir compte. – The Guardian