Cinq millions d'électeurs sont attendus dimanche pour la première présidentielle post-Compaoré au Burkina Faso, dont le vainqueur dirigera la première alternance démocratique depuis des décennies dans un pays à l'histoire marquée par de nombreux coups d'État.
«Pour la première fois depuis 50 ans, il y a une incertitude électorale, on ne connaît pas le vainqueur à l'avance. C'est un point positif et ça change fondamentalement par rapport aux autres élections que nous avons connues», analyse Abdoulaye Soma, agrégé de droit et président de la Société burkinabè de droit constitutionnel.
Initialement prévues le 11 octobre, les élections présidentielle et législatives ont été reportées au 29 novembre en raison du coup d'État manqué du 17 septembre mené par un ancien bras droit de l'ex-président Blaise Compaoré, le général Gilbert Diendéré, qui a depuis été arrêté.
La mobilisation populaire a mis le putsch en échec et l'attente est désormais grande dans ce pays pauvre d'Afrique de l'Ouest d'un peu moins de 20 millions d'habitants qui espère voir dans ces élections le début d'une longue ère démocratique.
Ces scrutins doivent tourner la page de la transition politique mise en place après l'insurrection populaire qui a chassé fin 2014 Blaise Compaoré, qui tentait de modifier la Constitution pour briguer un nouveau mandat, après 27 ans au pouvoir.
Quatorze candidats sont en lice pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.
Aucun membre de la Transition - président et ministres - qui a succédé au régime de Compaoré n'est autorisé à participer à cette élection.
C'est la première fois depuis le début des années 1980 que M. Compaoré sera physiquement absent d'une élection à enjeu national. Son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), qui fonctionnait jadis comme un parti-État remportant tous les scrutins, ne sera pas non plus représenté à la présidentielle.
Plusieurs proches du régime ont été exclus des deux scrutins. Une loi controversée interdit aux pro-Compaoré ayant soutenu le projet de révision constitutionnelle de briguer des mandats électoraux.
Mais l'ombre du «Beau Blaise», exilé en Côte d'Ivoire voisine, planera sur cette campagne.
Sept des quatorze candidats ont été plus ou moins des compagnons et des barons du régime déchu. Roch Marc Christian Kaboré et Zéphirin Diabré, considérés comme les deux favoris, sont d'anciens ministres.
Le premier est resté avec Compaoré pendant 26 ans, occupant les prestigieux postes de premier ministre puis de président de l'Assemblée nationale. Il a aussi été patron du CDP avant de tomber en disgrâce. Il a quitté le parti dix mois avant la chute du régime.
«Nous allons bâtir un Burkina Faso nouveau où il fait bon vivre, où les fruits de la croissance seront partagés entre tous et non par une seule poignée de personnes qui se sucrent sur le dos de la population», a-t-il promis. Il espère une victoire dès le premier tour.
Pour sa part, même s'il a quitté le pays pendant de nombreuses années pour travailler dans le privé, M. Diabré doit une grande partie de sa carrière à Compaoré.
«J'ai quitté les affaires de l'État en 1997. Je suis passé par le sas de décontamination!», a-t-il dit, soulignant qu'il a été le chef de file de l'opposition jusqu'à la chute de Compaoré. «Ce qui fait la chimie entre les Burkinabè et moi, c'est le rôle politique que j'ai joué pour amener le changement».
La plupart des candidats, dont deux femmes, se posent en représentant du «changement».
«Celui qui gagnera devra faire une révolution interne et marquer une rupture par rapport aux pratiques du passé», commente M. Soma qui estime que la participation devrait être supérieure aux scores habituels tournant autour de 50 % lors des élections de l'ère Compaoré.
Environ 25 000 membres des forces de l'ordre ont été déployés pour sécuriser l'élection dans ce pays à majorité musulmane qui a été touché pour la première fois de son histoire par le djihadisme en 2015. Les attaques, dont la plus spectaculaire a coûté la vie à trois gendarmes et un civil en octobre, se sont produites dans le Nord près de la frontière avec le Mali, touché par l'attaque du 20 novembre.
«Le risque sécuritaire zéro n'existe pas. Des pays ayant des moyens plus importants ont quand même été surpris (...), mais nous avons tellement monté le niveau de vigilance que nous avons minimisé les risques possibles de déstabilisation», a affirmé le ministre délégué à la Sécurité Alain Zagré qui a réquisitionné «des militaires et paramilitaires à la retraite». – AfricaLog avec agence