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Aboubacar Sylla: «Un Gouvernement d’union nationale se forme lorsque le pays est en danger»

Jun 19, 2013
 Aboubacar Sylla: «Un Gouvernement d’union nationale se forme lorsque le pays es

Ce 17 juin, l’opposition guinéenne a écrit au collège des facilitateurs du dialogue politique inter-guinéen, au sujet du projet de chronogramme des élections législatives que la CENI vient de publier. Auparavant, le 15 juin, l’opposition a aussi écrit aux mêmes destinataires, pour éclaircir «la synthèse des conclusions et recommandations» du dialogue, suspendu le 9 juin dernier, après des «avancées significatives» enregistrées. Le 17 juin, peu avant la publication de ces deux correspondances, et suite à la polémique déjà enregistrée à propos de la date du 28 juillet prochain choisie par la CENI pour la tenue du scrutin législatif, AfricaLog a rencontré à Conakry, Aboubacar Sylla, président de l’Union des Forces du Changement, (UFC) et porte-parole de l’opposition pour un entretien. Interview!

AfricaLog: Le 15 juin, l’opposition s’est réunie à huis-clos chez Sidya Touré, le président de l’UFR, pendant des heures. Est-ce qu’on peut savoir pourquoi?

Aboubacar Sylla : L’opposition républicaine s’est retrouvée autour des résolutions et des conclusions qui avaient été récapitulées et formalisées par le facilitateur international du dialogue inter-guinéen, Saïd Djinnit, ainsi qu’autour du projet de chronogramme que la CENI a élaboré. Au terme de cet échange, nous sommes arrivés à quelques conclusions. La première, c’est que nous avons amendé le relevé de conclusions du facilitateur, sans le remettre évidemment en cause. Mais nous avons fait en sorte que ce compte-rendu reflète strictement la réalité des débats qui se sont tenus au Palais du peuple. Deuxièmement, nous avons examiné le chronogramme. Nous avons été surpris de recevoir ce projet de chronogramme, car ce n’était pas la mission qui a été assignée à la CENI dans le cadre de ce dialogue. Ce qu’on avait demandé à la CENI, et le dialogue a été suspendu pour cela, c’était qu’elle évalue la faisabilité d’une réouverture de la révision des listes électorales, pour que les partis de l’opposition puissent désigner leurs membres au sein des CARLE (Commissions administratives de révision des listes électorales, NDLR) et puissent recenser leurs militants auxquels ils avaient demandé d’observer un boycott passé il y a quelques mois. On avait demandé à la CENI de voir quel serait l’impact de cette révision exceptionnelle du fichier électoral sur le calendrier des élections. Mais à notre fort étonnement, on a vu un projet de chronogramme, moins applicable.

D’abord la date du 28 juillet est une date totalement illégale. Puisque lorsqu’une élection est reportée après avoir été programmé par décret, après que le corps électoral ait été effectivement convoqué par le Président de la République comme le prévoit la Constitution, s’il y a un report, le délai minimal est de 60 jours. C’est l’article 62 du Code électoral qui le dit. Cette disposition a été violée par ce projet de chronogramme.

Ensuite ce projet de chronogramme s’appuie sur des conditionnalités qui ne sont pas remplies. Premièrement, l’obtention d’un accord politique entre tous les compétiteurs électoraux, ce qui n’est pas aujourd’hui le cas. Aucun accord politique n’a été conclu encore moins signé. Deuxièmement, la mise à disposition au plus tard le 14 juin, de toutes les ressources financières qu’induisait cette nouvelle opération de révision exceptionnelle du fichier électoral. Ces conditions n’ayant pas été réunies à date, ce chronogramme devient de lui-même obsolète. D’autant que les différentes étapes qui avaient été programmées dans ce chronogramme, notamment la constitution des CARLE ainsi que le démarrage des élections, sont des dates déjà dépassées.

Nous avons donc conclu que ce chronogramme est nul et de nul effet. Nous avons donc écrit aux facilitateurs pour leur demander de faire en sorte que ce dialogue puisse enfin s’achever, de faire en sorte que les questions qui sont restées en suspens puissent trouver une solution consensuelle et que la question qui n’avait pas été examinée du tout alors qu’elle figurait sur l’ordre du jour, c’est-à-dire la question du chronogramme des élections, soit remise sur la table pour que les acteurs politiques avec le gouvernement se prononcent, à la lumière des nouveaux éclairages que la CENI aura apporté relativement à cette révision exceptionnelle. Les courriers sont rédigés et seront acheminés aujourd’hui même (17 juin, NDLR) aux facilitateurs qui seront chargés de les dispatcher à qui de droit.

Mais la CENI a parlé d’un projet de chronogramme à examiner et à apprécier par l’ensemble des acteurs politiques…

Je l’ai dit tantôt. C’est un projet de chronogramme, mais nous avons relevé ses incohérences. Les conditionnalités ne soient pas remplies et aussi l’illégalité du document. Sur le plan de la forme, ce n’est pas ce travail qu’on avait demandé à la CENI. Le chronogramme des élections faisait partie, en bonne et due forme, de l’ordre du jour du dialogue. C’est une question que nous n’avions pas examinée puisque nous attendions que le CENI, à la lumière de notre demande expresse de réinstaller les CARLE et de rouvrir la révision des listes électorales, de réévalue cette nouvelle opération, voir combien de temps cela pourrait prendre. Et la mouvance présidentielle devrait se prononcer sur la faisabilité et l’acceptation de cette révision exceptionnelle avant qu’on ne parle d’un chronogramme proprement dit.

Selon des informations, le PV que le facilitateur international vous a envoyé, il y aurait omission de trois points qui avaient été pourtant évoqués durant les débats lors du dialogue dernier. Est-ce vrai?

On n’a pas relevé que le facilitateur a omis un point quelconque. Nous avons simplement reformulé quelques points pour les rendre réellement fidèles à ce qui s’est effectivement tenu lors du dialogue et pour expliciter de façon claire notre position. Mais toutes les questions ont été effectivement abordées par le facilitateur international dans ce relevé de conclusions. Par contre, si on n’y prend garde, ce relevé de conclusions peut donner à penser que le dialogue est clos. D’autant que le document est intitulé: Synthèse de conclusions et de recommandations. On fait une conclusion quand c’est terminé. C’est une revue à mi-parcours pour nous. Il y a eu suspension du dialogue, parce qu’on avait demandé à la CENI un travail et laquelle CENI a demandé un temps pour donner son avis. Ce qui veut dire que le dialogue n’est pas terminé, car il y a un point qui n’a pas été évoqué, un autre auquel il n’y a pas eu d’accord. Il s’agit du problème de l’opérateur technique Waymark. Parce que l’accord que nous avons donné, il est suspensif puisqu’il y a plusieurs conditionnalités dont certaines ont été rejetées par la mouvance présidentielle. Donc, cela mérite un dialogue, un consensus avant que tout ceci ne soit mentionné dans un accord politique, qui va faire l’objet de signature solennelle de la part des différents participants au dialogue.

Où en est-on pour la mise en place du Comité de veille. Devra t-elle être une sorte de structure supra-indépendante par rapport à la CENI?

Ce point aussi fait partie des questions qui ne sont pas encore résolues. Ce Comité de veille doit être mis en place. Tout cela ne peut avoir lieu que quand il y a un accord qui termine le dialogue, à travers une signature qui engage les différentes parties. Le dialogue n’est donc pas terminé, mais il faut reconnaître qu’il y a eu des avancées significatives. Il serait totalement malhonnête de penser que ce dialogue n’a pas été en quelque sorte une avancée considérable dans le débat politique guinéen. Car, avec ce dialogue, bien de gens ont compris qu’il y a d’autres alternatives que la rue pour arriver à la satisfaction de nos revendications, pour autant que ce dialogue puisse être conclu très rapidement et que ses conclusions puissent être contraignantes et respectées par toutes les parties. Si cela est le cas, on aura fait une avancée importante. Car, il faudra qu’on évite que notre pays ne sombre dans l’horreur et n’emprunte la voie que certains pays voisins ont malheureusement connue avec le coup humain que ce type de dérive implique.

A vous entendre, c’est comme si le collège des facilitateurs n’a pas encore rencontré les différentes parties au dialogue, notamment l’opposition, pour rendre compte de la navette auquel il a été soumis, après la suspension du dialogue… Il avait été prévu que M. Saïd Djinnit consulte les différentes parties au dialogue, non?

Oui ! Il y a des consultations qui se font tous les jours. Mais tout ceci doit se terminer par une plénière, une rencontre au grand jour, où une fois pour toute, on doit arrêter pour nous mettre sur un consensus, pour aller à ces élections, puisqu’il faut quand même qu’on en sorte. On ne peut pas continuer à rester éternellement dans cette Transition. Nous avons fait une avancée majeure en acceptant Waymark, en y ajoutant à côté quelques conditions dont la satisfaction ne semble pas insurmontable. Nous espérons que la mouvance présidentielle et le gouvernement vont prendre leur responsabilité pour qu’à leur tour, ils puissent faire la concession nécessaire pour qu’on puisse aller de l’avant et sortir de cette impasse qui est extrêmement lourde de menaces pour la paix civile, la cohésion sociale et pour la stabilité politique de notre pays et même de notre sous-région.

Parmi les conditions que l’opposition a imposées pour qu’elle accepte Waymark, il y avait le recrutement de deux experts internationaux à son compte et plusieurs autres au compte de la Communauté internationale, pour appuyer la CENI. A quel niveau se situe la résolution de ce problème?

Encore une fois, on n’est pas à la mise en œuvre de ce consensus obtenu. Cela est une avancée. On veut terminer le dialogue en le formalisant dans un accord politique, puis engager la mise en œuvre. Mais cette proposition est de nature à nous rassurer et à rassurer nos militants qui se sont battus pour le départ du couple Waymark-Sabari Technology. Il faudra qu’on fasse comprendre à cette base politique que le système est suffisamment sécurisé, suffisamment encadré et surveillé pour que le système Waymark ne puisse pas faire ce qu’il veut. D’autant que la mission du couple Waymark-Sabari va s’achever dès la fin de la révision exceptionnelle que nous avons demandé-là. En aucun cas, ce couple ne va s’occuper de la gestion et de la centralisation des résultats. Il faut dire aussi que nous avons mis comme conditionnalité pour l’acceptation de Waymark-Sabari que dès après les élections législatives, on procède au recrutement d’un nouvel opérateur technique sur la base d’un cahier de charges consensuel et par voie d’appel d’offres, afin que la révision du fichier électoral qui doit servir à l’élection présidentielle 2015, soit faite par un nouvel opérateur que Waymark-Sabari. Ces questions n’ont pas été encore résolues, puisque la mouvance présidentielle s’y était opposée en suggérant qu’on laisse cette question à la discrétion de la future Assemblée nationale. Ce qui est extrêmement bizarre. Je ne vois pas qu’est-ce qu’une Assemblée nationale a à voir dans le recrutement d’un opérateur technique qui doit être fait, soit par consensus national, soit par la CENI.

Ce 17 juin, au micro de nos confrères de la BBC (British Broadcasting Corporation), le Président Alpha Condé s’est dit favorable à la formation d’un Gouvernement d’union nationale. Qu’en pensez-vous?

J’ai appris la nouvelle tout de suite, quand je rentrais dans mon bureau ici. Formation d’un gouvernement d’union nationale? Tout dépend à quelle condition et à quel moment. Est-ce que c’est après les élections législatives? Une fois que le rapport de force sera bien défini au niveau du Parlement et sur quelle base. Parce qu’un Gouvernement d’union nationale se forme toujours sur la base d’une priorité absolue qui s’impose à tous. Lorsque le pays est en danger, lorsque la crise a atteint un certain niveau, lorsque les fondamentaux même de la nation sont ébranlés, en ce moment, on essaie de taire les petites contradictions politiques et politiciennes pour se regrouper et faire face au péril qui menace la nation. S’il y a un programme cohérent à partir duquel ce Gouvernement d’union nationale pourrait être constitué, pourquoi pas. Je rentre d’un récent voyage au Sénégal et j’ai passé quelques jours à Dakar. Depuis que je suis rentré du Sénégal, franchement, je ne me retrouve pas. Je suis déprimé tant ce pays a pris de l’avance par rapport à la Guinée, sans avoir le potentiel que nous avons. Quand on voit ces choses-là, on se dit que la première priorité, c’est de sortir le pays de cette situation de détresse dans laquelle des décennies de mauvaise gouvernance ont enfermé sa population. On est aujourd’hui les populations les plus misérables, parmi les populations les plus déshéritées de la planète. Cela interpelle tous les cadres intellectuels, toute la société guinéenne mais aussi toute la classe politique guinéenne, c’est de notre responsabilité. Est-ce que devant un tel défi, il ne faut pas faire taire les contradictions politiciennes et faire face au relèvement du niveau de vie de nos populations? Tout ceci peut susciter la création d’un Gouvernement d’union nationale, pour que nous allions chercher les compétences où qu’elles se trouvent par de-là les obédiences politiques, par de-là tous les clivages, pour qu’on ait une équipe gouvernementale qui soit en mesure de relever ce grand défi de sortir la Guinée de cette situation honteuse dans laquelle elle se trouve depuis des décennies.

Je vous remercie!

C’est à moi de vous remercier.

Interview réalisée par Mamadou Siré Diallo