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Guinée: la junte en rangs serrés

Nov 13, 2009

Quelques jours seulement après avoir reçu les Forces vives de la nation guinéenne, le médiateur Blaise Compaoré reçoit à son tour la délégation du CNDD, à Ouagadougou, pour des négociations censées aboutir à une sortie de crise en Guinée. Présents à Ouagadougou depuis quelques heures déjà, les missi dominici du capitaine Dadis ont à leur tête le colonel Moussa Keita, ministre et secrétaire permanent du CNDD. Ce dernier d’ailleurs ne semble pas donner dans la confusion : « Nous sommes venus défendre la vérité, la justice et la démocratie. Nous sommes venus aussi défendre le maintien du CNDD et son président. » A tout le moins, on peut dire que ce message a le mérite de la clarté. Les négociations n’en seront d’ailleurs que plus ardues, lorsqu’on se rappelle les exigences des Forces vives guinéennes, transmises au même médiateur Blaise Compaoré.

Mais d’emblée, on ne peut manquer de remarquer qu’à la différence des représentants des Forces vives qui se seront illustrées à Ouagadougou par leurs querelles de clocher, les envoyés de la junte arrivent soudés, et présentent l’aspect d’un bloc monolithique parlant le même langage. Alors que l’opposition guinéenne dénonçait en son sein de faux leaders, des intrus et autres indésirables à la solde du CNDD, les envoyés de la junte donnent l’impression de cohésion et d’unité. Solidarité de corps exige. Au moment même où presque tout le monde les vomit, ils auront sans doute compris qu’il ne leur reste plus qu’à se serrer les coudes et sans doute aussi qu’à serrer les rangs. Et cette stratégie d’approche peut s’avérer payante. De toute évidence, les fissures attendues et qui étaient supposées emporter Dadis et ses hommes ne se seront pas réalisées. Mieux, elles auront poussé là où on ne les attendait pas, à l’endroit où on souhaitait ne pas les voir naître.

Car, à écouter les Forces vives faire leur mea culpa suite au désordre qu’elles ont donné de voir le temps de leur séjour dans la capitale burkinabè, on se doute bien qu’il y a quelque chose qui cloche dans leur rassemblement. Tout comme il est légitime de se demander à quoi riment ces bagarres de clocher qui traduisent d’évidentes querelles de leadership toutes nuisibles à leur nécessaire unité si tant est que réellement le but de ces Forces vives soit de sauver une Guinée qui menace de sombrer dans des profondeurs abyssales d’où elle pourrait en sortir difficilement. C’est d’ailleurs ce qui permet de dire que ce pays, s’il souffre de la déliquescence et du désordre de son armée (et la chose n’est plus à démontrer), il peine également de l’incurie et du manque de consistance des hommes qui composent sa classe politique.

Et le médiateur Compaoré aura sans doute fort à faire. Car il reçoit certes, une délégation que presque tout le monde voue aux gémonies, mais qui est bien décidée à vendre chèrement sa peau et se donne les moyens pour y parvenir. Il ne faudrait sans doute pas attendre de la délégation de la junte qu’elle adopte la docilité d’un agneau de sacrifice. Et au même moment, il faudra se souvenir que les Forces vives guinéennes ne demandent pas autre chose que la dissolution de la junte et la mise en place d’une autorité de transition pour une période de 6 mois. Apparemment, il faudra concilier des positions situées aux antipodes les unes des autres. Ce ne sera sans doute pas une sinécure. Surtout que chacune des parties a des arguments à faire valoir. Les Forces vives évoquent le climat de terreur engendré depuis la date désormais fatidique du 28 septembre qui oblige même jusqu’à présent des Guinéens à se terrer chez eux. Elles évoquent le traumatisme qui s’est emparé des uns et des autres et trouvent ipso facto Dadis et ses compagnons disqualifiés pour la vie politique future de la Guinée. Il faut dire d’ailleurs que leur vision des choses se trouve confortée par le fort soutien qu’elles reçoivent de l’ensemble d’une communauté internationale horrifiée par les massacres et autres atrocités perpétrées à Conakry, au stade et partout ailleurs en Guinée. Reste à savoir si tout cela suffira pour convaincre les hommes de Dadis. De toute évidence, les hommes du CNDD ont repris du poils de la bête. Ils auront surmonté le choc psychologique du 28 septembre. Ils auront revu et corrigé leur stratégie de communication, et minutieusement, ils ont trié et peaufiné leur argumentaire et on aurait tort de croire qu’ils se présentent au facilitateur en victimes résignées. Et accepter la dissolution de la junte est bien la dernière des concessions à laquelle ils se résoudront. Ils ont trop conscience qu’en le faisant, ils aiguiseraient eux-mêmes le couteau dont on se servirait pour leur trancher la gorge. Autant ne pas compter dessus.

Alors ? Le sort de la Guinée dans tout cela ? Il faudra sans doute attendre les contre-propositions de la junte pour présager de quoi que ce soit. Mais en tout état de cause, la question guinéenne est loin d’être réglée car elle recèle plusieurs paramètres qui sont malheureusement autant d’inconnues.

On a d’une part, une opposition que certains qualifient de circonstance et qui peine à cacher ses dissensions et les ambitions avérées de certains de ses leaders. Une opposition qui pourrait même imploser sur certaines questions sensibles. Le départ de Dadis en particulier n’arrive pas à faire l’unanimité entre les représentants des Forces vives. Si certains la tiennent pour une condition sine qua non à la négociation, d’autres pensent que le renvoi des militaires pourrait révéler d’énormes fissures au sein de ceux qui se donnent aujourd’hui pour vocation de remplacer Dadis et ses hommes. Et d’autre part, on est en présence d’une junte qui, se sentant clouée au pilori par la communauté internationale, est plus que décidée à vendre bien chèrement sa peau. In medio stat virtus (1), disaient, sages, les latins. Reste à savoir, pour le cas guinéen, quel est le juste milieu. Le médiateur aura sans doute besoin de toute sa perspicacité et sa capacité d’écoute pour concilier l’inconciliable. Déjà, on sait de quelles armes il dispose : la patience et le dialogue. On lui souhaite en plus que les protagonistes guinéens de la crise fassent preuve de bonne foi et d’amour de leur patrie. – Le Pays

(1) Au milieu se trouve la vertu.