Les partisans d'Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire ont échoué lundi à mobiliser pour une grève générale destinée à pousser vers la sortie Laurent Gbagbo, mais ils ont pris le contrôle de l'ambassade ivoirienne à Paris, jusque-là aux mains du camp adverse.
Plongé dans une grave crise depuis la présidentielle du 28 novembre, marquée par des violences meurtrières, le pays était suspendu à la visite prévue mardi de trois chefs d'Etat ouest-africains.
Ils doivent demander à Gbagbo de céder la présidence à Ouattara, reconnu chef de l'Etat par une immense partie de la communauté internationale, faute de quoi il court le risque d'une intervention armée régionale.
Voulant accentuer cette très forte pression extérieure, la coalition de partis pro-Ouattara avait appelé la population à "cesser les activités" dès lundi.
Mais, comme un appel à la "désobéissance" civile la semaine dernière, ce mot d'ordre - qui n'a pas bénéficié du relais de la télévision d'Etat, contrôlée par le camp Gbagbo - était presque sans écho lundi.
Du quartier chic de Cocody (nord) au quartier populaire de Treichville (sud), Abidjan offrait le même spectacle: embouteillages et concert de klaxons, taxis en vadrouille, commerces ouverts.
Cependant dans le centre du pays, à Bouaké, fief de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) alliée à Ouattara, la consigne était mieux suivie, des services publics étant fermés.
Le camp Ouattara a cependant eu un motif de satisfaction à l'étranger. Une cinquantaine de ses partisans "ont pris le contrôle" lundi, sans "incident notoire", de l'ambassade de Côte d'Ivoire à Paris, a indiqué une source policière française.
Ils entendaient y rester jusqu'à l'arrivée du nouvel ambassadeur désigné par Ouattara en remplacement de Pierre Kipré, un proche de Gbagbo, qui n'était pas présent lundi. "Ceux qui ont été nommés par Gbabgo, on ne les reconnaît plus, ils doivent partir", a déclaré Marcel Youpeh, responsable de la coalition pro-Ouattara en France.
Paris a indiqué avoir été informée de la désignation d'un nouvel ambassadeur et avoir engagé la procédure d'agrément. La fonction d'ambassadeur en France, ancienne puissance coloniale et partenaire économique essentiel, est un poste clé pour le pouvoir ivoirien.
Mais Gbagbo se prépare à une échéance plus importante mardi, avec la venue à Abidjan des présidents Boni Yayi (Bénin), Ernest Koroma (Sierra Leone) et Pedro Pires (Cap-Vert).
Ils doivent l'appeler à céder la place, au nom de la Commmunauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), qui a menacé de recourir à la "force légitime" s'il ne se pliait pas à cette injonction.
Dans des entretiens aux quotidiens français Le Figaro et Le Monde, Laurent Gbagbo a dit "prendre au sérieux" cette menace, mais a invoqué le respect du droit pour justifier son maintien. Le Conseil constitutionnel, juridiction suprême ivoirienne, l'avait proclamé président, tandis que son rival a été désigné vainqueur par la commission électorale.
Le président sortant dénonce surtout un "complot" mené par les Etats-Unis et la France, qui a réfuté lundi des accusations sans "fondement".
Gbagbo a lancé une sévère mise en garde, alors que la Côte d'Ivoire a déjà été éprouvée par une quasi-guerre civile en 2002-2003.
"Il y aura peut-être un désordre intérieur, une guerre civile en Côte d'Ivoire, parce que nous n'allons pas nous laisser piétiner notre droit et nos institutions", a-t-il prévenu.
Son gouvernement avait déjà clairement averti contre une opération de la Cédéao, en insistant sur la présence sur le sol ivoirien de millions d'immigrés ouest-africains, qui pourraient être pris à partie.
Lundi à Abidjan, "au nom de Jésus", plusieurs centaines de chrétiennes, affichant clairement ou plus discrètement leur soutien à Gbagbo, se sont rassemblées pour prier pour "la paix".
Les craintes de nouvelles violences - 173 morts récemment selon l'ONU, 53 morts depuis fin novembre pour le gouvernement Gbagbo - poussent de plus en plus d'Ivoiriens à quitter leur pays. Quelque 14.000 ont fui vers le Liberia depuis un mois, selon l'ONU.
Ouattara appelle à une grève générale en Côte d'Ivoire
Alassane Ouattara, qui revendique la présidence ivoirienne avec un appui international, a lancé un appel à la grève générale à compter de lundi, ajoutant aux pressions exercées sur le président sortant Laurent Gbagbo pour qu'il cède le pouvoir, a annoncé son porte-parole.
La Côte d'Ivoire est plongée dans une impasse politique depuis l'élection présidentielle contestée du 28 novembre, qui était censée permettre au pays de surmonter les effets de la guerre civile de 2002-2003 mais a tourné au bras de fer entre les deux camps rivaux.
"Je confirme que nous avons appelé à une grève générale dans tout le pays à partir de demain", a déclaré dimanche à Reuters le porte-parole de Ouattara, Patrick Achi. Il a indiqué que Ouattara publierait un communiqué ultérieurement.
Les Etats-Unis, l'Onu, l'Union européenne, l'Union africaine et la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ont tous reconnu les résultats de la Commission électorale indépendante donnant la victoire à Ouattara.
Gbabgo, lui, affirme avoir remporté le second tour de la présidentielle comme l'a annoncé le Conseil constitutionnel, dirigé par l'un de ses proches.
La Cedeao, qui a menacé le camp Gbagbo d'un recours à la force, compte envoyer mardi les présidents du Bénin, de la Sierra Leone et du Cap Vert en Côte d'Ivoire comme émissaires chargés de remettre un ultimatum au président sortant.
Le camp de Gbagbo a rejeté la menace d'intervention ouest-africaine. Le ministre de l'Intérieur, Emile Guiriéoulou, a déclaré dimanche lors d'une conférence de presse que son gouvernement accueillerait les trois chefs d'Etat "en frères, en amis" et qu'il écouterait "le message dont ils sont porteurs".
Le gouvernement nie des atteintes aux droits de l’homme
Les Etats-Unis et l'Union européenne ont imposé des restrictions aux déplacements de Gbagbo et de son entourage. De leur côté, la Banque mondiale et la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) l'ont privé d'accès aux fonds qu'elles détiennent, ce qui pourrait l'empêcher à court terme de payer les forces militaires.
Près de 14.000 Ivoiriens ont fui au Libéria pour échapper aux violences, selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Le Conseil des droits de l'homme de l'Onu a imputé aux forces de sécurité ivoiriennes des violations des droits de l'homme, notamment des meurtres et des enlèvements, et appelé à une réconciliation nationale pour prévenir une nouvelle guerre civile.
Guiriéoulou a rejeté ces accusations en parlant de partialité au sujet de l'organisme onusien.
"En effet, ils ont choisi de privilégier, avant toute vérification ou enquête de terrain, les accusations et les allégations données par une partie en occultant le bilan officiel et vérifiable des incidents postélectoraux fourni par le gouvernement de Côte d'Ivoire", a dit le ministre de l'Intérieur.
La mission de l'Onu en Côte d'Ivoire a rapporté jeudi que des partisans de Gbagbo armés de lance-roquettes ont bloqué une route menant à un village proche d'Abidjan où était signalée la présence d'un charnier.
"Il n'y a pas de charnier. Parce que ça va faire quand même plus d'une semaine qu'on en parle et personne n'a encore vu de charnier", a déclaré Guiriéoulou.
Autre signe de pression exercée sur le président sortant, l'avion de Laurent Gbagbo a été immobilisé sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse à la demande des "autorités légitimes" de Côte d'Ivoire, a-t-on appris dimanche auprès du ministère français des Affaires étrangères. - AfricaLog avec agence