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Alpha Condé: «Moi, je suis venu pour combattre les contrats de gré à gré»

Mar 26, 2011

Le président Alpha Condé est en visite d’Etat et d’amitié en France, pour sa première sortie officielle hors d’Afrique. Le samedi, 26 mars, il a bien voulu se prêter aux questions de notre confrère de RFI, Christophe Boisbouvier, pour parler de sa visite, de ses sentiments sur le Président Français Nicolas Sarkozy et de bien d’autres sujets, comme ses rapports avec les deux dirigeants Ivoiriens à savoir Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo qui se disputent la présidence de la République de Côte d’Ivoire depuis la proclamation des résultats du second tour de l’élection présidentielle.

Le Prof Alpha Condé a dit qu’il est venu combattre les contrats de gré à gré et si l’opposant Sidya Touré n’est pas d’accord avec la méthode, «ça, c’est son problème!».

Le nouveau président n’a pas voulu faire de commentaire sur un potentiel match avec Cellou Dalein Diallo en 2015. Lisez cet entretien en intégralité.

Monsieur le Président, bonjour !

Bonjour Monsieur Boisbouvier!

Trois mois après votre victoire, l’homme de la rue attend le changement : l’eau, l’électricité. Est-ce que vous ne craignez pas qu’il s’impatiente?

Quand je suis devenu Président, j’ai trouvé sept centrales, dont six étaient en panne et je ne crois pas en trois mois, on puisse réparer les centrales. Je crois que le peuple de Guinée comprend bien cela.

Vous voulez assainir les comptes de l’Etat, mais est-ce que l’opération mains propres ira jusqu’à vos amis de la coalition Arc-en-ciel?

Pendant la campagne, quand on m’a dit qu’il y a beaucoup d’anciens ministres autour de moi, j’ai dit que je ferais des audits. Et si quelqu’un est atteint par les audits, j’ai été très clair.

Vous avez besoin d’argent frais, j’imagine que vous recevez la visite de beaucoup d’opérateurs miniers, des Européens, des Américains, des Chinois… Est-ce qu’ils sont prêts à vous prêter de l’argent ?

Non ! Ils sont prêts à me prêter de l’argent à 500 millions de dollars etc, mais ils veulent que je m’engage sur le permis minier. Ce que je refuse, pour le moment je fais un nouveau code minier et je ne vais négocier avec personne avant d’avoir fait le nouveau code minier. Donc, quand j’aurai fini le code, je ferai un appel d’offres concurrentiel. Je préfère d’abord assainir la situation.

Pourtant il y a d’autres pays qui font des contrats de gré à gré avec les Chinois…

Oui ! Mais moi, je suis venu pour combattre les contrats de gré à gré. En Guinée, la loi dit qu’au-dessus de 20 millions, on fait un appel d’offres.

Il y a deux semaines, le Français Getma était chassé du Port autonome de Conakry au profit d’un autre groupe français, Bolloré. Aujourd’hui Getma porte plainte pour corruption internationale. Il dit que Bolloré a gagné parce qu’il avait financé votre campagne électorale…

Je crois que j’ai mené cinquante ans de combat. Et pendant ma campagne, j’ai défié quiconque, homme d’affaires guinéen ou extérieur. J’ai la fierté de dire qu’aucun homme d’affaires ne m’a financé. Getma est mieux placé que quiconque pour le savoir. Le contrat de Getma, quand il a eu la concession, tout le monde a protesté. La preuve, la concession a été suspendue sous Conté. Moi, j’ai dit que je vais redresser la situation. Je demande aux cadres de vérifier tous les contrats. Et quand un contrat est contre les intérêts de la Guinée, je l’annule. Lors de l’Appel d’offres, GETMA a été premier, Bolloré, deuxième et Maersk, troisième. Bolloré et Maersk ayant décidé de travailler ensemble. Dans la pratique, on n’a pas besoin d’un nouvel appel d’offres, on donne au deuxième, surtout que le deuxième se marie avec le troisième. Maintenant que Getma porte plainte, c’est une affaire franco-française. Je ne pense que Vincent était avec moi en prison en Guinée.

Sidya Touré l’un de vos opposants n’est pas d’accord avec vous. Quand on casse une convention issue d’un appel d’offres, on en ouvre une autre, dit-il…

Ça, c’est son problème!

Cinquante ans de dictature, vingt-cinq ans de régime militaire, la démocratie, c’est nouveau. Est-ce que vous êtes sûr que les militaires ont renoncé au pouvoir, une fois pour toutes?

C’est ce que je constate, c’est que l’armée a permis que les élections soient organisées. Le président Sékouba a tout fait pour cela, il est parti. Aujourd’hui, nous avons réussi à délocaliser tout l’armement lourd à l’intérieur du pays. L’armée accepte la réforme proposée par le Général Lamine Cissé, c’est le commandant en chef des Nations-Unies. Donc, je pense que l’armée guinéenne a compris que la démocratie est la meilleure chose pour elle. Parce qu’aujourd’hui, l’armée et le peuple sont en train de se réconcilier, alors qu’hier le peuple se méfiait de l’armée. Donc, je pense que, progressivement, nous allons avoir une armée véritablement républicaine.

Vous occupez vous-même le poste de ministre de la Défense. Est-ce à dire que vous voulez vous occuper personnellement des relations avec les Officiers supérieurs ?

Non ! Je veux m’occuper personnellement de la restructuration de l’armée. J’ai pris le poste de ministre de la Défense pour montrer à l’armée, l’importance que j’attache à sa restructuration et ma volonté d’en faire une armée républicaine, mais aussi ma volonté de leur donner les moyens d’être une véritable armée, de voir leurs conditions de vie améliorées. Parce que pour qu’il y ait une armée véritablement républicaine, faudrait-il que l’armée aussi dispose de tous les moyens matériels, financiers et moraux.

Au terme de l’accord de l’année dernière, les législatives devaient avoir lieu au maximum, six mois après la Présidentielle, mais les délais vont être dépassés. Est-ce que ce n’est pas inquiétant ?

Où vous avez vu cet accord-là ? Moi, je n’ai signé un accord nulle part disant que les législatives allaient être organisées dans six mois. Beaucoup de gens n’ont pas été recensés à cause de l’impôt de capitation. Parce qu’on dit, si vous recensez huit personnes, vous allez payer huit fois d’impôt. Donc beaucoup de Guinéens n’ont pas été recensés. J’ai supprimé l’impôt de capitation le 31 décembre. Donc nous allons faire le recensement électoral, permettant à tout le monde d’être recensé. En donnant en même temps que la carte d’électeurs, la carte d’identité. Cela va prendre trois mois. Ensuite, on fera les élections après la saison des pluies en 2011.

C’est-à-dire entre octobre et décembre 2011?

À partir d’octobre…

Politique étrangère. La Côte d’Ivoire : vous connaissez bien les deux protagonistes et depuis très longtemps, vous leur parlez. Qu’est-ce que vous leur conseillez?

Aujourd’hui, c’est le petit peuple ivoirien qui paie, qui meurt dans les rues. Donc, nous reconnaissons qu’Alassane est Président, mais qu’il doit faire un gouvernement d’union nationale, et que la solution doit être pacifique et que cette solution doit être africaine.

Vous avez parlé avec Laurent Gbagbo récemment, qu’est que vous lui avez dit?

Non ! Depuis mon élection, je n’ai pas parlé avec Laurent Gbagbo. Alassane m’a appelé une fois pour me dire d’appeler Laurent, je n’ai pas parlé avec Laurent. Depuis mon élection, je n’ai pas parlé avec Laurent Gbagbo.

Et si vous avez un message à lui adresser, quel est-il ?

Le message, c’est à lui que je le dirai…

Vous ne voulez pas d’une intervention militaire extérieure en Côte d’Ivoire, un du type CEDEAO, mais au vu des derniers combats dans le grand Ouest, pas très loin d’ailleurs de la frontière guinéenne, et à Abidjan ; est-ce que la solution ne sera pas militaire, malgré tout ?

Il y a la menace de la guerre civile, j’espère que les dirigeants seront suffisamment responsables pour arrêter et négocier pour qu’il y ait une solution pacifique. En tout cas, c’est l’appel que je lance aux responsables ivoiriens, parce que la guerre, c’est toujours le peuple qui paie.

Donc pour vous, le Président élu, c’est Alassane Ouattara. C’est ça ?

Je suis membre de l’Union africaine et membre de la CEDEAO. Je n’ai pas une position différente de l’Union africaine.

À votre avis, cela veut dire qu’il faut que Laurent Gbagbo en tire les conclusions ?

C’est une évidence. Mais il faut le faire conformément à l’Union africaine et qu’on lui permette de sortir dignement.

Vous parlez de ce problème avec des amis à vous, comme le Président sud-africain, Jacob Zuma ?

Monsieur Boisbouvier, je suis Président de la Guinée, je ne suis pas Président de la Côte d’Ivoire.

Autre sujet de politique internationale dont vous avez dû parlez, j’imagine pendant votre séjour à Paris, avec vos interlocuteurs français, c’est la Libye. Fallait-il lancer des frappes aériennes sur les blindés du colonel Kadhafi quand ils s’approchaient de Benghazi ou pas ?

Je suis venu en France pour remercier le Gouvernement français, je ne suis pas venu pour parler de la Libye et en plus je suis membre de l’Union africaine, la position de l’Union africaine est très claire. Et j’ai la même position que l’Union africaine.

Que retenez-vous de cette visite à Paris pour les relations qui ont été longtemps difficiles entre Conakry et Paris ?

Je suis venu pour renforcer les relations entre la France et la Guinée, mais sur de nouvelles bases, qui contournent la base des rapports tumultueux et qu’on ait des rapports réellement saints. Et j’ai eu le plaisir de constater que le Président Sarkozy s’engage dans la même voie et a pris l’engagement d’aider la Guinée et de nous accompagner.

Vous êtes un socialiste de toujours, le courant est passé quand même avec Nicolas Sarkozy?

Mais ce sont des rapports entre la Guinée et la France.

Oui, mais jusqu’à cette année vous ne vous connaissiez pas. Est-ce que le contact est bien passé ?

Oui ! Très bien. Vous savez, le Président Sarkozy est très direct…

Vous aussi…

Oui ! Donc, nous avons le même tempérament. C’est facile de nous entendre.

En 2015, prochaine présidentielle, Cellou Dalein Diallo votre adversaire du second tour voudra sans doute prendre sa revanche. Est-ce que le combat sera loyal ?

Moi, je ne fais pas de commentaire. Pour le moment, mon problème c’est rattraper en cinq ans, les cinquante ans de retard de la Guinée.

Vous ne direz pas comme Laurent Gbagbo : j’y suis, j’y reste ?

Ce n’est pas à mon âge que je vais m’accrocher au pouvoir. Je me suis battu, cinquante ans pour la démocratie, je reste conséquent avec moi-même.

Monsieur le Président, merci !

Entretien transcrit par AfricaLog.com