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Alpha Condé: «Voulez-vous qu’on laisse la pagaille continuer?»

Jun 24, 2011

Le 21 juin, le Président Alpha Condé a reconnu sur RFI l’ampleur de la difficile situation qu’il a trouvée après son investiture il y a six mois. Malgré tout, il dresse un bilan positif de ses six premiers mois d’exercice du pouvoir. AfricaLog.com a saisi l’occasion pour vous faire lire en intégralité cette interview du Président Alpha Condé.

C’est la première fois que vous gouvernez, après six mois d’exercice est-ce que c’est aussi difficile que vous le pensiez?

Je le savais déjà à peu près que la situation était très difficile, mais je ne me rendais pas compte de l’ampleur réellement de l’Etat. Parce que, lorsque je prends la Banque Centrale, elle était en quasi faillite. Elle n’arrive même pas à 15 jours d’importation. Donc, nous avons trouvé une situation financière beaucoup plus catastrophique que nous ne le pensions. Je ne savais pas que le mal était si profond.

Au-delà de cette réforme financière, quelles sont les premières réformes auxquelles vous êtes le plus attaché?

Il y a la réforme du Code minier qui nous a amené à négocier avec Rio Tinto. Nous avons obtenu 700 millions de dollars de pénalité. Nous allons renégocier avec toutes les autres sociétés. Vous savez qu’il y avait beaucoup d’insécurité, il y avait des chars partout ; grâce à la bonne volonté de l’armée, nous avons réussi à les délocaliser. Aujourd’hui vous n’avez plus de chars, d’artillerie, tout est délocalisé à l’intérieur. Et désormais, vous ne rencontrez plus de militaires dans les rues aves des armes.

Vous parlez de cette pénalité de 700 millions de dollars que Rio Tinto vous a payés, mais certaines personnes s’étonnent de ne pas voir apparaître cette somme dans le Budget voté il y a trois semaines par le CNT, l’Assemblée provisoire

Oui ! Parce que d’abord nous avons eu ça après le Budget. Vous savez les 700 millions de dollars, nous les avons mis dans un compte de réserve. C’est-à-dire qu’on n’a pas touché un centime de cet argent. C’est maintenant que nous allons faire un prévu budgétaire.

Pendant la campagne, vous avez promis l’eau et l’électricité, mais six mois après, les populations de Conakry ne voient toujours pas grand-chose…

Monsieur Boisbouvier, ce n’est pas en six mois… Quand je suis arrivé, il y avait 7 centrales thermiques dont six étaient en panne. Nous avons déjà réussi à réparer… Vous savez très bien que pour installer une centrale thermique de 100 MW, il faut un an. J’ai d’abord dit dans ma campagne que j’allais me consacrer aux réformes structurelles, il faut d’abord créer un Etat.

Donc, on peut espérer l’eau et l’électricité d’ici la fin de votre mandat…

D’ici la fin de l’année, je ne dis pas Conakry aura le courant 24 heure sur 24, mais les gens auront au moins 18heures. Pour avoir le courant 24 heures sur 24, il faut 300 MW. D’ici la fin de l’année, nous allons avoir au moins 250 MW. Et ensuite, d’ici 4 ans, nous allons passer à l’énergie hydraulique par les barrages.

Partout dans le monde, à Paris, en Afrique du sud, dans les Emirats, vous appelez les investisseurs à venir chez vous en Guinée. Est-ce que l’affaire du Port de Conakry, la rupture avec GETMA au profit de Bolloré ne risque pas de les échauder?

Vous savez, il n’y a que vous qui vous intéressez à ça. Air-France avait trois vols par semaine, actuellement, il y a un par jour. Air-France est obligé de débarquer plus de 40 personnes. Tous les jours des investisseurs viennent du Brésil, de partout. L’histoire du Port est très simple. Le contrat GETMA a été mis en cause dès le régime de Conté. Et il était dans l’appel d’offres que si le premier est défaillant, c’est au deuxième que le contrat revient automatiquement.

Sur le plan politique, monsieur le Président, les législatives sont programmées fin novembre. Le recensement de la population a été fait il y a un an, pourquoi voulez-vous le refaire à nouveau?

Beaucoup de gens ne se sont pas fait recenser à cause de l’impôt de capitation. Les paysans refusaient. Parce que, pour eux, lorsque vous recensez 8 personnes, vous payez 8 fois l’impôt. J’ai commencé par supprimer cet impôt. Deuxièmement, il y a eu beaucoup de doubles recensements. Il y a eu des enfants de 14 ans qui ont voté et cetera. Ensuite, les cartes Alphanumériques n’ont pas pu être utilisées. Aujourd’hui nous faisons exactement ce qui a été fait au Congo-Kinshasa, au Sénégal et Côte d’Ivoire. C’est-à-dire, nous allons donner la carte d’électeurs en même temps que la carte d’identité. Mais je ne vois pas en quoi recenser la population peut être gênante. On ne va pas aller rechercher des Guinéens sur la planète Mars. Donc, il s’agit de donner la chance aux paysans qui n’avaient pas pu se faire recenser d’être recensés.

Oui, mais comme l’opposition craint des tricheries. Elle se demande pourquoi vous refaites recenser tout le monde?

Et en quoi le recensement peut faire la tricherie ? D’abord il ne faut pas dire toute l’opposition. Il y a 110 partis qui sont d’accord pour le recensement. En quoi un recensement peut amener la fraude ?
Pourquoi vous faites recenser tout le monde au lieu de rouvrir simplement les bureaux d’inscription ?
Parce que nous n’avons pas la liste. Nous avons tout fait, avant le second tour, pour avoir la liste électorale, on n’a jamais eu accès à la liste électorale.

Monsieur le Président, sur cette question du fichier électorale, sur celle de la date des élections ou celle de la composition, est-ce que vous êtes ouvert à une concertation avec tous les partis politiques, comme vous le propose par exemple l’International Crisis Group?

Le ministre a convoqué tous les partis politiques.

Le 3 avril, quand votre adversaire du second tour, Cellou Dalein Diallo est rentré à Conakry, ses partisans ont été brutalement réprimés, 4 militaires chargés de sa sécurité ont été condamnés à deux ans de prison et 7 militants à un an de prison. Est-ce que vous n’avez pas eu la main un peu plus lourde?

D’abord c’est trois militaires qu’on a arrêté. Ils étaient habillés en civile, ils étaient dans la manifestation et on les a pris avec des kalachnikovs et des fusils. Ce sont les trois qui ont été condamnés. Ensuite, il y a des droits… Nous n’allons plus accepter que des gens se permettent de casser des véhicules. Est-ce que vous pensez qu’on va continuer à accepter que des gens occupent la rue, jettent des pierres sur les gens ? Non ! Personne n’est au dessus de la loi.

Pour l’instant, il n’y a aucun dialogue avec Cellou Dalein Diallo. Pourtant il n’a pas contesté votre élection. Est-ce que ce n’est pas faire les…

Je suis le Président de tous les Guinéens. Ceux qui veulent dialoguer avec moi, dialoguent avec moi. Je ne refuse de dialoguer avec personne.

Oui, mais vous savez bien comme nous tous, que le résultat du second tour a été très serré : 52-48. Est-ce que vous n’avez pas intérêt pour la paix à venir, à dialoguer avec votre adversaire du second tour ?

Moi, je dialogue avec tous les Guinéens. Je pense que vous avez bien entendu, il a dit à Dakar, qu’il ne peut pas travailler avec moi. Il l’a dit publiquement sur votre radio, tout le monde l’a entendu. Je ne peux pas forcer quelqu’un à dialoguer avec moi. Je vous donne la preuve. Il y a beaucoup de gens qui l’ont soutenu au second tour, qui sont aujourd’hui avec moi et qui dialoguent avec moi, qui sont nommés à des postes. Cellou est un petit frère à tout moment. Pourquoi voulez-vous que je ne parle pas… Je parle à tous les Guinéens. Ceux qui veulent me parler, ma porte leur est ouverte, mais je ne vais pas forcer quelqu’un à parler avec moi.

Vous restaurez l’Etat. Mais du coup les sociétés civiles dénoncent les dérives autoritaires de votre pouvoir…

Non ! Je suis désolé. Les sociétés civiles n’auront jamais utilisé le mot dérive. C’est vous, RFI, qui a fait ce commentaire.

Excusez-moi d’insister Monsieur le Président, mais il y a bien le mot autoritaire dans le communiqué…

Mais les Guinéens veulent l’autorité. Maintenant il y a l’Etat. Regardez par exemple le nombre de véhicules qui circulent sans immatriculation. Nous avons donné l’ordre : tout véhicule qui circule désormais sans base d’immatriculation est automatiquement mis à la fourrière. 80% des gens n’étaient pas assurés, est-ce que cela est normal ? Voulez-vous qu’on laisse la pagaille continuer ? On peut accepter cela en France?

Donc, finalement, Président autoritaire, vous assumez…

Je dis: il faut une discipline. J’exige de mes Ministres qui travaillent et j’exige que les gens viennent à l’heure. Vous avez des hauts fonctionnaires qui viennent à 10h, 11h au travail, on ne va pas accepter cela. D’ailleurs nous sommes en train de mettre des appareils où quand vous venez, vous pointez. Il y en a qui viennent à 10h ou 11h ensuite ils vont au bar. Mais il faut que l’Etat fonctionne. Cette pagaille-là est finie. Si c’est cela que vous appelez Président autoritaire, alors je suis autoritaire. Nous voulons un Etat moderne.