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Mamadou Bah Baadiko: «Je dirige un mouvement d’opposition»

Mar 06, 2012

«Si la CENI continue à agir dans l’opacité, à se comporter comme si elle n’a de comptes à rendre à personne, ignorant les conclusions du Dialogue, elle devra assumer l’entière responsabilité des conséquences qui en découleront », a dit M. Mamadou Bah Baadiko, Coordinateur du FDP et Président de l’UFD à AfricaLog.com. En exclusivité!

AfricaLog.com: Vous avez estimé dans votre dernière déclaration que le rapport du dialogue politique n’était qu’un procès verbal. Si entre autres, vos propositions, la révision du fichier électoral, la recomposition de la CENI, ne sont pas suivies, que comptez-vous faire ?

Mamadou Baadiko Bah: Comme vous le savez, face au blocage politique et aux tensions de toutes sortes qui en découlaient, nous, nous avons appelé, comme d’autres, au dialogue politique sans condition. C’est pourquoi dès le départ, nous avions participé à ces assises, alors même que le reste de l’opposition n’était pas d’accord. A la clôture du Dialogue, nous avons fait le constat de la confusion qui entourait ses conclusions. Comme à notre habitude, nous avons fait des propositions concrètes permettant de remédier aux insuffisances constatées. Mais, force est de constater que rien n’a été fait. Aucune des dispositions pratiques découlant des points de consensus censés être trouvés au Dialogue n’ont encore été mises en pratique. C’est comme si le Dialogue était devenu un bébé orphelin abandonné devant la porte de la CENI qui en fait ce qu’elle veut. Si le Président de la République (l’initiateur du Dialogue) ne veut pas donner raison à ceux qui estiment que ces assises ont été un échec et ne mèneront à rien, c’est à lui qu’il appartient en urgence de reprendre la main pour clarifier les choses et mettre fin à l’incertitude quant aux avancées attendues. De plus, nous continuons à réclamer le respect du principe légal de la parité dans la composition de la CENI. Toute notre lutte au cours de ce Dialogue a été de travailler à la restructuration de la CENI pour la redonner la crédibilité et l’efficacité qu’elle n’a pas, tout en garantissant le traitement équitable de tous les acteurs politiques, dans le respect de la loi. Si maintenant, la CENI continue à agir dans l’opacité, à se comporter comme si elle n’a de comptes à rendre à personne, ignorant les conclusions du Dialogue, elle devra assumer l’entière responsabilité des conséquences qui en découleront. La tenue d’élections paisibles est à ce prix.

Le Front d’Union pour la Démocratie et le Progrès (FDP) s’est positionné lors du dialogue comme étant du bloc de l’opposition constructive. Qu’est-ce qui vous différencie idéologiquement du Collectif, de l’ADP et des autres forces politiques de l’opposition ? Vous accusez le Collectif et l’ADP d’être une opposition destructive ? C’est ça ?

Dans toute notre lutte politique pour sortir nos pays de la misère et du sous développement, nous avons toujours eu une attitude constante : nous sommes une force de contestation du pouvoir établi. Dès lors que celui-ci applique une politique contraire à ce qui nous paraît être l’intérêt général des populations, nous la dénonçons avec toutes les preuves. En contrepartie, nous nous posons comme une force de proposition, une alternative au pouvoir établi. Il nous arrive aussi d’approuver les actes positifs que peuvent poser les pouvoirs en place, lorsque par extraordinaire, il y en a ! A chaque mal, nous proposons nos remèdes, découlant de notre vision de la société guinéenne et africaine en général et de notre projet politique pour une société plus unie, plus libre, plus solidaire et plus progressiste. Nous ne nous cantonnons donc pas dans la négation, car elle ne peut pas faire avancer une société aussi attardée que la nôtre. C’est cette attitude que nous avons développée au Dialogue. Comme le veut la démocratie, nous avons toujours le souci de chercher avant tout à convaincre plutôt qu’à imposer nos vues. A chaque mal identifié, nous avons ainsi posé notre diagnostic, en prenant soin de proposer des solutions raisonnables, susceptibles d’emporter l’adhésion de tous les interlocuteurs…de bonne foi ! C’est ainsi que nous avons été les seuls à avoir produit au dialogue des textes qui ont pu être utilisés comme cadre de discussion. C’est vous qui voulez nous qualifier « d’opposition constructive », mais nous ne revendiquons pas cette étiquette. Nous sommes de l’opposition tout court, une des sensibilités de l’opposition. Même à la pire époque du régime du Général Lansana Conté, c’est cette même attitude que nous avions adoptée et il semble bien que nous posions, à lui et à ses amis du PUP, quelques problèmes. C’est cette ligne que nous avons suivie sous la direction de notre regretté Président, le Professeur Alfa Ibrahim Sow et après lui. Nous n’avons jamais qualifié les autres membres de l’opposition de force destructrice. C’est encore vous qui le dites. Ceci dit, je crois que ceux qui pensent que nous ne sommes qu’une gentille opposition complaisante de salon, qui ne dérange personne et qui n’est là que pour titiller le pouvoir, font une erreur. Ils auront l’occasion de s’en rendre compte. Car si les circonstances l’exigent, tous les moyens légaux de lutte seront utilisés pour faire aboutir nos revendications légitimes.

Vous aviez soutenu la candidature de Cellou Dalein Diallo au second tour de l’élection présidentielle de 2010. Certains avaient pensé qu’à la veille des élections législatives, vous auriez continué le combat avec lui. Qu’est-ce qui a changé au sein de l’Alliance Cellou Dalein Président, après la présidentielle? Etait-ce une simple alliance de circonstance?

Oui ! C’est tout à fait exact que l’UFD a soutenu le candidat de l’UFDG au second tour de la présidentielle de 2010. C’était un choix raisonné, dicté par des considérations politiques et basé sur une offre de collaboration écrite. Malgré toutes les difficultés rencontrées dans cette alliance et le fait qu’elle n’ait pas gagné, nous ne regrettons pas ce choix, qui n’était en rien le résultat de pressions communautaires comme on l’a souvent insinué. Le candidat n’était pas de notre bord tout le monde le sait, mais nous avions la conviction que s’il avait gagné, avec la coalition constituée autour de lui, avec des personnalités comme Sidya Touré et Abe Sylla, nous aurions pu impulser une véritable politique de changement démocratique dans le pays et faire face aux défis de la reconstruction. Nous aurions pu mettre fin à la politique de prédation et travailler dans l’unité et la concorde entre toutes les composantes communautaires du pays. Maintenant, comme vous le dites vous-même, c’était une alliance pour un projet lié à la présidentielle. Après cela, il est tout à fait normal que chaque parti reprenne ses billes et fasse valoir son propre projet politique. N’oubliez pas que dans notre système électoral aux législatives, il y a deux tiers de proportionnelle et un tiers de scrutin majoritaire par circonscription. Il existe donc entre tous les partis sur l’échiquier, une possibilité de collaboration sans qu’il n’ait besoin d’avoir une liste unique. Nous sommes convaincus que pour faire progresser la démocratie en Guinée et progresser tout court, il faut sortir du parti unique, de la pensée unique. Unité d’action, oui, mais unicité, non ! Il faut sortir du communautarisme tout en prenant bien en compte cette terrible réalité de la Guinée d’aujourd’hui.

Votre score lors de la présidentielle de 2010 était assez bas. Moins d’un pour cent. Ce résultat reflète-t-il le poids de votre parti politique ou bien vous estimez qu’il ne reflète en rien la réalité?

Effectivement, notre score à l’élection présidentielle était insignifiant. Mais je dois vous rappeler que cette élection s’est entièrement déroulée, non sur le choix d’un projet de société permettant de ramener la démocratie en Guinée pour la mettre sur la voie du développement économique, social et culturel, mais plutôt exclusivement sur le critère ethnique ou communautaire, c'est-à-dire le partage du gâteau entre les communautés! Ceux qui en doutaient ont heureusement eu l’occasion d’être édifiés avec la publication des accords secrets entre le candidat du RPG et M. Lansana Kouyaté, ainsi que par celui conclu avec la Coordination de la Basse-Guinée. On espère que l’accord passé au niveau de la Forêt sera bientôt publié pour qu’on ait la vraie mesure de la catastrophe que tout ceci annonçait.

Pour revenir à ma candidature, comme vous le savez, je ne me réclamais d’aucune ethnie. Je n’étais donc pas « le candidat » d’une ethnie. Avec des moyens dérisoires face aux puissances de l’argent, j’ai essayé d’exposer aussi clairement que possible le projet de société de l’UFD, les valeurs dont on se réclamait et surtout modestement, ce que j’ai été capable de réaliser sur le terrain en Guinée, pour montrer mes capacités à développer le pays. De plus, pour joindre l’acte à la parole, j’ai déclaré tous mes biens et ceux de ma famille à la Cour Suprême, provoquant la gêne et l’agacement de tous les autres candidats. Je crois que cette position a été saluée par de larges couches des populations guinéennes, à travers toutes les régions. Partout où je passe aujourd’hui, on me parle de l’huile de palme de Kissidougou et de mon bétail. Mais en Afrique, nous sommes maintenant payés pour ne pas confondre popularité et poids électoral. Face à l’urne, les Guinéens à plus de 99% ont suivi les consignes de vote ethnique et je n’ai pas été la seule victime. Pour vous dire à quel niveau se trouve la culture démocratique dans notre pays, je dois vous révéler que dans ma sous-préfecture natale, on avait terrorisé les villageois en leur disant que s’ils commettaient l’erreur de ne pas suivre le «choix de l’ethnie» et de voter pour moi, après la victoire qui était certaine, la sous-préfecture serait rayée de la carte : plus de routes, plus d’écoles, plus de ponts ! C’est dans ces conditions qu’ont eu lieu les votes du 27 juin 2010 et le 7 novembre 2010. Le résultat de ces schémas ethnicistes sont aujourd’hui sous nos yeux : blocage politique, tension communautaire exacerbées empêchant tout consensus, aggravation de la crise économique et les souffrances insoutenables pour l’écrasante majorité du peuple de Guinée. Beaucoup ont compris aujourd’hui qu’ils avaient fait le mauvais choix en se polarisant sur l’ethnie. Les prochaines consultations nous diront si la maturité politique de nos populations a évolué pour qu’on sorte de ce cercle infernal de l’ethnicisme.

Après l’annonce des résultats de la présidentielle, votre déclaration de félicitation au candidat du RPG a été interprétée par certains observateurs comme un clin d’œil au nouveau Président comme pour lui dire: «je suis disponible à travailler avec vous»...

Effectivement ! Après la proclamation des résultats, en tant que candidat malheureux, j’ai félicité le vainqueur. Il est tout à fait exact que beaucoup parmi mes amis n’ont pas compris le sens de cette déclaration. Il faut pour cela vous souvenir de l’atmosphère chargée de haine et de rancœurs qui prévalait à l’époque, après les irrégularités auxquelles on avait assisté, la propagande ethniciste utilisée pendant la campagne et surtout les pogroms politico-ethniques de Siguiri et Kouroussa et les émeutes qui ont éclaté en réaction à Labé, Pita et Dalaba. Il m’a semblé à l’époque qu’il était important de calmer le jeu, de sortir de cette logique destructrice. J’ai rappelé l’itinéraire que j’ai eu au début de ma vie militante avec le Pr Alpha Condé, avec d’autres aînés comme Sidiki Camara et Alfa Ibrahim Sow. J’ai voulu rappeler qu’il était intervenu dans mes études pour me trouver un maître de stage d’expert-comptable. Je l’ai fait dans la pure tradition africaine, qui condamne l’ingratitude. Pour moi, ce rappel s’adressait aussi à ses partisans. Mais si tout cela avait créé des rapports de sujétion entre lui et moi, j’aurai foncé tête baissée dans l’Arc-en-ciel avant le deuxième tour, assuré que j’aurais bien pu me placer, si tel était mon objectif. Je n’aurai pas choisi d’aller plutôt chez son adversaire. Mais nos rapports sont restés des rapports politiques. Certains pour me dénigrer vont jusqu’à dire que c’est lui qui m’a payé mes études ! Et pourtant, à aucun moment de mes études, le Professeur Alpha Condé n’a payé mes études. Je gagnais déjà bien ma vie à l’époque et que c’est nous autres qui cotisions pour venir en aide aux camarades qui étaient dans le besoin à cause des missions politiques qu’ils assumaient. On partageait tout. Si certains avaient bien lu ma déclaration, ils auraient compris avec le recul l’appel solennel ainsi lancé au Professeur Alpha Condé pour qu’il restaure l’unité de la Guinée, qu’il panse ses plaies, qu’il respecte les règles de l’Etat de droit et qu’il fasse tout pour ne pas tomber dans les mêmes travers que ses prédécesseurs. Ma déclaration était un appel et non le clin d’œil de quelqu’un qui cherchait à se placer. J’espère qu’avec la suite des événements vous avez été édifiés.

Alors quelle est aujourd’hui votre relation avec le Président Alpha Condé? Seriez-vous disponible à travailler avec lui en entrant dans son gouvernement s’il vous le demandait?

Nos relations sont normales. Il est le Chef de l’Etat ; c’est lui qui tient en ce moment le destin de la Guinée. De plus, j’ai pour lui le respect qu’on doit à un grand frère. Je dirige un mouvement d’opposition à son pouvoir et il le sait. Le dialogue existe entre nous sur toutes les questions qui intéressent le pays et son avenir, comme il doit être de règle dans tout système démocratique. Depuis avril 2011, je le vois en moyenne une fois tous les deux mois. Il a la gentillesse de me recevoir chaque fois que je le lui demande. Mais moi, je ne me cache pas pour le voir. Je ne rase pas les murs en allant le voir et je ne le vois pas pour demander des faveurs personnelles. Je suis transparent là-dessus et je n’en ai pas honte. Et mes amis sont informés. Par contre, je voudrais quand même vous préciser que je ne suis en rien son conseiller, officieux ou non. Maintenant s’il est question de travailler avec lui, pour le principe, nous ne refusons pas. Je vous rappelle qu’avant le deuxième tour les deux candidats s’étaient engagés à constituer s’ils étaient élus, un gouvernement d’union. Je suis sûr que si Cellou Dalein Diallo avait été élu, il aurait tenu cette promesse ; nous y aurions veillé. Donc, le principe de travailler ensemble était déjà posé. Dans les conditions actuelles, je ne vois pas comment le pouvoir du Président Alpha Condé peut prendre un nouveau départ avant la tenue d’élections législatives libres, transparentes et équitables. Ce n’est qu’après cela qu’on pourra discuter concrètement, si cela fait avancer réellement la reconstruction du pays. Sachez que nous sommes depuis toujours dans l’opposition et que nous ne sommes pas simplement intéressés par des postes, pour être la cinquième roue d’un carrosse. Nous sommes disponibles pour travailler sérieusement afin d’apporter notre modeste expérience et notre engagement au service du développement de notre pays. Mais un poste à n’importe quel prix, certainement pas.

Quelle est votre relation actuelle avec Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG?

Avec Cellou Dalein Diallo, nous avons des relations tout à fait correctes et franches. Nous sommes tous de l’opposition, sans être dans les mêmes structures. Bien entendu, nous n’avons pas des vues identiques sur toutes les questions intéressant la politique du pays. Nous nous voyons de temps en temps pour échanger. A l’époque du Dialogue par exemple, nous nous sommes souvent concertés afin d’harmoniser les points de vue sur les bancs de l’opposition. Cette collaboration est appelée à continuer. Moi, je suis dans l’opposition depuis des décennies, alors que lui, il vient seulement d’y entrer!

Vous étiez candidat à la présidentielle. Si vous étiez élu, géreriez-vous différemment la lutte contre l’impunité, le rétablissement de l’Etat de droit, l’organisation des élections législatives, la réforme de l’administration comme le Président Alpha Condé est en train de le faire aujourd’hui ?

Vaste question! Commençons par l’impunité. C’est le Président lui-même qui nous apprend que tel ministre a volé en surfacturant ; tel autre est notoirement connu pour cumuler ses fonctions avec des activités le mettant en conflit d’intérêt avec l’Etat ; deux ministres se battent à coups de poing devant leurs collaborateurs et s’en vantent ; d’autres ministres s’étripent à travers les ondes avec leurs collaborateurs ; Les querelles entre ministres sont de notoriété publique! Dans un système d’où l’impunité est bannie, où doit régner la solidarité gouvernementale, tous ces faits auraient motivé un réaménagement technique immédiat du gouvernement et une saisine de la justice. Et pourtant il ne se passe rien, la vie continue. Quant à l’Etat de droit, il doit s’entendre du respect de la loi par les gouvernants et les administrés. Or tout le monde voit par exemple comment les gouverneurs, préfets, sous-préfets et même chefs de secteurs veulent imposer aux citoyens l’adhésion au RPG-Arc-en-ciel. Ce n’est qu’un exemple. On ne parle même pas des scènes qui se passent, comme à Boké, où on oblige les commerçants à fermer leurs boutiques pour recevoir la Première Dame! En ce qui concerne les élections législatives, nous aurions cherché à préserver un minimum de consensus pour avoir des élections transparentes, paisibles et acceptées de tous. Pour gagner les élections, nous aurions mis l’accent sur l’amélioration des conditions d’existence de la population pour la convaincre de voter pour nous, plutôt que de chercher d’autres voies non démocratiques et qui se révèleront, nous en sommes convaincus, inopérantes et dangereuses pour l’avenir du pays. Si les électeurs nous tournent le dos, cela voudrait dire que nous n’avons pas appliqué une politique à laquelle ils adhèrent et on change. C’est cela le « b.a. BA» de la démocratie. La Guinée d’aujourd’hui n’est pas celle des années soixante. Les populations ont goûté à la liberté et personne ne pourra à aucun prix les ramener à un système totalitaire sorti des poubelles de l’histoire.

Interview réalisée par Mamadou Siré Diallo