Le Pont 8 novembre, à l’entrée de la commune de Kaloum, des victimes du régime de Sékou Touré, le premier président de la Guinée indépendante, a été démoli ce matin du 10 mars 2012, a vécu AfricaLog.com à Conakry. Devant de nombreux parents des victimes qui ont pris d’assaut les lieux dès le début de la matinée.
Des fils, petits-fils et filles, femmes et rescapés du régime du parti unique, ont vécu la démolition du «Pont 8», l’un des symboles les plus forts de la mémoire collective guinéenne. Un édifice plein d’histoire, déclare Mme Touré Hadjatou Barry, fille de Moodjou Barry, autre victime du régime de Sékou Touré. Avec une amertume qu’elle a mal cachée, Mme Barry a rappelé: «Cela me fait mal au cœur. C’est ici que nos parents ont été pendus par le régime de Sékou Touré. Faire disparaître ce pont sans laisser une trace est une façon d’effacer l’histoire de tout un peuple».
Deux heures avant la démolition
Rappelons que les pendaisons du 25 janvier 1971, ont enregistré 4 victimes à Conakry et une personne au moins dans chacune des 29 régions administratives à l’époque, aujourd’hui appelées préfecture.
Les quatre pendus au Pont 8 novembre ont pour noms: Barry 3, ministre du Plan et du Plan triennal, Baldé Ousmane, ministre des Finances et signataire de la monnaie guinéenne, Moriba Magassouba, ministre de l’Education et Keïta Kara de Soufiane, l’un des concepteurs du système routier guinéen. Barry 3 et Magassouba Moriba sont des compagnons de l’indépendance.
Pendant la démolition
Rappelons toujours que deux mois et quelques jours auparavant, la Guinée avait subit une agression du 22 novembre 1970 par des mercenaires. Le 18 octobre de la même année, des exécutions publiques avaient coûté la vie à plusieurs Guinéens dont certains ont été enterrés dans des fausses communes au pied du mont Gangan, dans la préfecture de Kindia, située à 150 km de Conakry, du mont Kakoulima, à Dubréka et au cimetière de Nongo, à Conakry.
Les victimes des pendaisons et des exécutions sommaires auxquelles se sont livrés les hommes à la solde de la dictature de Sékou Touré, réunies au sein de l’Association des victimes du Camp Boiro, étaient toutes en larmes devant le spectacle: «Ici, était le seul endroit de recueillement qui nous restait. Tous les Guinéens connaissent le Pont 8 novembre, mais l’histoire n’est pas enseignée dans notre pays. Ce qui veut dire qu’à partir de maintenant, l’édifice disparait avec tout ce qu’il symbolise, tout ce qu’il porte comme mémoire collective», a regretté Mme Barry.
Peu après la démolition
Les victimes se rappellent aussi du sinistre Camp Boiro qui a changé de physionomie en 2010, ne laissant pratiquement pas de trace du lieu où plusieurs personnes sont passées de vie à trépas, par diète noire, tortures et autres exactions qu’ont vécus les Guinéens pendant le premier régime.
Alpha Oumar Telly Diallo, alias AOT, fils de Boubacar Telly Diallo, n’a pas compris le silence des autorités, notamment du Président Alpha Condé face à la disparition de ce qu’il a appelé «toute une histoire d’un peuple. Aucun mot, dit-il, même du Président de la République, en tant que victime, pour avoir été condamné à mort par Contumace par la justice à la solde de Sékou Touré. En enlevant ce pont, c’est une partie de la Guinée qui tombe. C’était une occasion que le pouvoir pouvait utiliser à moindre frais, pour entamer la réconciliation nationale».
La réconciliation est plus qu’une nécessité, dira-t-il en substance avant de poursuivre: «Tant qu’on ne nous écoutera pas, le pays ne bougera pas».
Le ministre d’Etat des Travaux publics et des transports, Bah Ousmane avec des membres de l’association des victimes du camp Boiro
Mme Hilal, veuve de Moriba Magassouba, sanglotant, se remet à Dieu. Assise sur une chaise, pendant que la démolition du Pont 8 commençait, elle a eu ces mots pour AfricaLog.com:
«Depuis toujours, je me suis donnée à Dieu. J’ai perdu mon mari ici. Un mari qui m’est très cher. Il m’a laissé en grossesse de mon dernier fils… Je ne peux pas continuer,» nous dit-elle en sanglot. Ne pouvant aller plus loin, dominée par l’émotion et l’amertume.
Inauguration du nouveau pont le 8 mars 2012
«Je dirai avec vous, Plus jamais ça en Guinée! Cet événement était triste, je sais qu’il y en a eu d’autres, malheureusement sur le même Pont. Il y a eu beaucoup de jeunes qui sont tombés sur ce pont en 2007. Il y a eu aussi des événements malheureux ailleurs. C’est une histoire que nous devons assumer. C’est pourquoi, le gouvernement, statuant sur la requête que vous lui avez soumise, sous mon couvert, a décidé qu’une stèle sera érigée dans un endroit que nous allons décider ensemble», a indiqué Bah Ousmane, ministre d’Etat des Travaux publics et des transports.
Il a promis aux enfants des victimes que les «barres de fer des abords du pont» qui ont servi à la pendaison des quatre illustres cadres seront bien conservés. Ces éléments feront partie de la stèle qui devra être érigée. Et de dire: «Nous sommes en train de faire un travail positif qui permettra de changer la physionomie de la ville, de désenclaver la zone et de faciliter la circulation».
Le futur échangeur
Il s’agit de la construction d’un échangeur qui rendra fluide la circulation routière en cet endroit. Derrière le Pont 8 démolit, se trouve déjà un autre, plus long. La fin des travaux de reconstruction de l’échangeur est prévue en novembre 2012. Le chantier a démarré en juin 2010.
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