Membre de la junte et Président par intérim, le militaire, en visite à Paris, veut rendre le pouvoir aux civils en organisant des élections le 27 juin.
Le général-président Sékouba Konaté, 45 ans, est l’un des rares chefs d’Etat africains à se dire «pressé» de rendre le pouvoir. Devenu de ce fait un héros national en Guinée, il est à Paris depuis mercredi, pour sa première visite officielle. Le profil calme et peu expansif de ce militaire de carrière, lui-même fils de militaire, tranche avec son prédécesseur, le bouillonnant Moussa Dadis Camara. «Le boss aime son indépendance, pas les emmerdements», affirme l’un de ses meilleurs amis, patron de bar à Kaloum, le centre-ville de Conakry. Avec Dadis et d’autres, il a formé une junte de jeunes officiers après la mort de Lansana Conté, l’ancien colonel-président au pouvoir de 1984 à décembre 2008.
Contrairement à Dadis, Konaté a fait preuve d’un certain courage politique après les événements du 28 septembre dernier, lorsque l’armée, dont il était responsable en tant que ministre de la Défense, a tué 156 manifestants et violé une centaine de femmes. Les victimes étaient des civils opposés à la candidature de Dadis à l’élection présidentielle prévue en janvier 2010.
Fourmilière. Le 3 décembre 2009, coup de théâtre : Toumba Diakité, l’aide de camp de Moussa Dadis Camara, lui loge une balle dans la tête car il refuse de porter seul le chapeau pour le massacre du 28 septembre. Dadis Camara est évacué au Maroc pour être soigné. Konaté assure l’intérim. A la surprise générale, il donne un grand coup de pied dans la fourmilière en promettant, le 6 janvier, de rendre le pouvoir aux civils. Dont acte. Un gouvernement de transition est formé en février par Jean-Marie Doré, ancien opposant, et une date est fixée pour les élections, qui doivent se tenir le 27 juin. «Il sait que la population guinéenne en a marre du kaki, explique un proche, Mamadou Dieng, patron d’une société d’assurances à Conakry. Il a servi en Sierra Leone et connaît l’horreur de la guerre. Il sait quels risques il fait prendre au pays s’il ne le sort pas de l’ornière.»
Sékouba Konaté a obtenu de Dadis qu’il passe sa convalescence à Ouagadougou, au Burkina Faso, et qu’il donne son aval à une vraie transition. Pour ne pas fâcher le clan de Dadis et son groupe ethnique, la Guinée forestière, il a fait afficher partout des photos de lui et du chef de la junte se donnant l’accolade. «A la mort de Conté, il a fallu qu’il dise que le fauteuil ne l’intéressait pas, pour que Dadis puisse le prendre», assure Aliou Barry, auteur d’un livre sur l’armée guinéenne.
Aujourd’hui, Konaté s’occupe de l’armée et des relations extérieures. Il faudra que la France et les Etats-Unis, qui l’ont pressé de mener une transition démocratique express, le soutiennent jusqu’au bout pour restructurer une armée qui fait toujours peur. Des rumeurs de putsch circulent et Konaté a déclaré, le 24 mars, qu’il était informé de «réunions secrètes» se tramant à Conakry. Le général-président reste en effet entouré par les auteurs du massacre du 28 septembre. Dans son cabinet présidentiel, il a nommé deux responsables épinglés par la commission d’enquête des Nations unies, Claude Pivi et Tiegboro Camara. C’est sa manière de stabiliser l’armée jusqu’aux élections.
Les rumeurs, omniprésentes à Conakry, l’annoncent déjà candidat, dans cinq ans, à la présidentielle, en tenue de civil. Ses proches, unanimes, démentent. «Il est fait pour commander, pas pour gouverner, et il en est conscient», affirme l’assureur Mamadou Dieng.
L’une de ses qualités tient en ces quelques mots imprimés sur un tee-shirt à son effigie : «Non à l’ethnocentrisme.»«L’ethnie, il ne connaît pas, assure son ami barman. C’est le fils d’un militaire malinké et d’une institutrice métisse libanaise qui était chrétienne. Comme il a grandi à Kaloum, il est de culture soussou. Son truc, c’est se moquer des autres et boire avec ses amis.» Bon vivant, le général Konaté souffrirait d’une cirrhose. Musulman, marié à une seule femme et père de trois enfants, il possède une villa ordinaire à Taoya, un quartier populaire de la banlieue de Conakry.
Droiture.«Il se satisfait d’une vie simple, affirme son ami Mohamed Diop, ancien patron de bar propulsé l’an dernier gouverneur de Conakry. S’il a ses 25 000 francs guinéens [environ 4 euros] par jour, ça lui suffit. L’argent ne l’intéresse pas.» Dans un pays où pouvoir rime avec affaires, Konaté se distingue par une réputation de droiture assez rare. «Sur le terrain, il refusait de vendre à la troupe les sacs de riz envoyés par l’intendance, et ne se servait lui-même qu’après tout le monde», affirme un militaire.
Fidèle en amitié, il a une relation spéciale avec son ancien instructeur, le général Mamadouba Toto Camara, qu’il surnomme «Autorité». Cet ancien de Saint-Cyr, ministre de la Sécurité, est consulté sur tous les grands dossiers. Toujours entouré de sept à huit hommes armés, Konaté a confié sa sécurité à «De Gaulle», un béret rouge de la garde présidentielle qui doit son surnom à sa taille imposante. La rue où il habite est bloquée jour et nuit par des militaires. «Quand on fait trop barrage à sa porte, il sort de chez lui, raconte Mohamed Diop, et reçoit les gens dehors.»
Les officiers l’ont surnommé «El Tigre» à cause de sa corpulence et de ses supposés faits d’armes. «Le tigre n’était qu’un chat en Sierra Leone, un lieutenant pondéré, mais qui ne pesait pas bien lourd», affirme son ancien commandant. En 1996, Konaté a passé quelques mois en prison après une révolte de militaires : une sanction vécue comme une injustice puisqu’il n’était pas des mutins. Selon Aliou Barry, «Konaté est le seul vrai militaire de l’armée guinéenne». Avant d’intégrer la grande muette en 1985, à l’âge de 21 ans, il est passé par le centre d’entraînement des commandos de Mont-Louis, en France, et l’académie militaire de Meknès, au Maroc. Chargé de sécuriser les frontières, il a fait de longs séjours en Guinée forestière, dans les zones frontalières du Liberia et de la Sierra Leone.
Hélicoptère. Ses détracteurs posent toutefois une question gênante : où était-il pendant les événements du 28 septembre ? Konaté se trouvait à Kankan, une ville de l’intérieur du pays, d’où il a tenté de rentrer au plus vite sur Conakry. Mais il aurait eu un accident d’hélicoptère. «Il a marché six kilomètres avant de trouver un véhicule», raconte un ami. Difficile de démêler la légende de la vérité. Konaté, en tout cas, n’est pas incriminé dans le rapport d’enquête des Nations unies sur le massacre, qui pourrait servir de base à des poursuites devant la Cour pénale internationale.
On en parle moins, mais Konaté est en revanche directement responsable des dizaines de morts causées par la chasse à l’homme lancée contre Toumba Diakité, l’aide de camp qui a tiré sur Dadis Camara. «Il ne faut pas occulter ces événements, qui auraient fait 200 à 300 morts», affirme Rabiatou Diallo, dirigeante syndicale respectée et présidente du Conseil national de transition (CNT). Elle accorde pourtant au général Konaté le bénéfice du doute : «Il a reconnu dès le départ qu’il y avait des mauvaises graines dans l’armée. Après le 28 septembre, il a reconnu ses fautes. On peut l’aider à les corriger.» Comme beaucoup à Conakry, Rabiatou Diallo craint pour la vie du général-président Konaté. Elle redoute que le processus de transition ne déraille encore si l’on attente à ses jours. - Libération