Eric Ngonji Njungwe, fondateur et directeur de PICAM (Progressive Initiative for Cameroon) est titulaire d'une licence en droit (LLB) de l'Université de Buea - Cameroun; d'une maîtrise en droit (droits de l'homme et la démocratisation) de l'Université de Pretoria - Afrique du Sud, et un Masters of Science Degree in Nursing (MSN ) de l'Université de Maryland, USA. Il détient également des certificats sur la résolution des conflits, la bonne gouvernance et les droits de l’Homme. Son expérience inclut le travail avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Dans cette Interview accordée à AfricaLog, il fait le point sur les droits de l’Homme au Cameroun.
AfricaLog: Parlez nous de PICAM…
Eric Ngonji Njungwe: Progressive Initiative pour le Cameroun (PICAM) est un organisme à but non lucratif, indépendant de toute influence du gouvernement, d’idéologie politique,et religieuse. PICAM a pour mission d'améliorer et de préserver la dignité humaine en favorisant et en soutenant les principes des droits de l'homme, la démocratie, la consolidation de la paix, le développement et l'aide humanitaire en République du Cameroun.
PICAM a été fondée par Eric Ngonji Njungwe en août 2006. Son expérience en tant que défenseur des droits de l'homme au Cameroun et à l'étranger a été très utile dans la fondation PICAM non seulement comme une organisation des droits de l'homme, mais celle qui adopte une approche plus large au respect de la dignité humaine.
Eric est fermement convaincu que, pour que la dignité de l'homme soit soutenue, l'approche doit être inclusive. Il est d'avis que le bonheur humain ne peut se realiser que lorsqu’un nombre de facteurs sont réunis. C’est à cet égard que PICAM adopte une approche globale à l'amélioration de la dignité humaine à travers une combinaison de programmes concernant les droits de l'homme, la démocratie, la consolidation de la paix, le développement et l'aide humanitaire.
AfricaLog: Qu’est ce qui a motivé la création de PICAM?
Eric Ngonji Njungwe: PICAM a été fondé contre l'injustice sociale, les violations des droits de l’homme, la mauvaise gestion du gouvernement, la corruption, le mépris de la primauté du droit, le sous-développement, l'instabilité sociale, le manque de soutien pour les pauvres et les défavorisés, et d'autres maux sociaux qui continuent d'affliger la société camerounaise.
PICAM a pour principal objectif de perpétuer la justice sociale au Cameroun par le biais de vastes programmes visant à promouvoir une société civile dynamique capable de faire un changement pacifique, et la mise en place d'une démocratie durable au Cameroun. Le cœur de notre travail est donc la construction d'une société civile forte pour le changement au Cameroun.
AfricaLog: Quelle est votre Ă©valuation de l'Ă©tat actuel des droits de l'homme au Cameroun?
Eric Ngonji Njungwe: La majorité des indicateurs de l'état des droits de l'Homme au Cameroun révèle une défaillance. Le résultat de la gouvernance des deux dirigeants de ses 50 dernières années, est celle d'un pouvoir très centralisé. Le gouvernement camerounais veut maintenir le pouvoir et l'influence politique par tous les moyens. Par conséquence, les droits de l'homme ont souvent été sacrifiés. Les garanties juridiques continuent d'être violées, les expressions politique restent étouffées, les libertés de réunion, d'expression de la presse sont systématiquement limitées par le biais d'un dispositif de sécurité souvent violent et dangereux.
Les menaces, les arrestations et le harcèlement ont été utilisés contre les journalistes pour faire respecter l'autocensure. Les réunions publiques doivent être notifiées au gouvernement qui dans presque tous les cas saont rejetées si les objectifs de ces réunions sont contraires à l'ambition du gouvernement. En outre, le gouvernement continue d'exercer un contrôle étendu sur les médias, le pouvoir judiciaire est totalement dépendant de l'exécutif et la force armée est toujours prête à exécuter les demandes du gouvernement même lorsq’u’il s’agit des violations. Dans de telles circonstances, il est logique de ne s'attendre à rien.
Malgré tout ça, les droits de l'homme pourraient être améliorés si des méthodes appropriées sont rapidement mises en place et des actions sont prises dans les cas de violations des droits de l'homme. Cela implique d’améliorer les institutions camerounaise pour le respect des principes tels que la primauté du droit, la séparation des pouvoirs, et au gouvernement d'abandonner sa politique visant les opposants politiques. La société civile et des militants des droits de l’homme doivent continuer la lutte pour une démocratie et un Cameroun libre.
AfricaLog: L'opposition et la société civile camerounaise venaient de déclaré une semaine de martyrs. Pouvez-vous nous dire pourquoi?
Eric Ngonji Njungwe: Ni moi, ni PICAM ne constituons une partie des groupes qui ont organisé ces manifestations. Cependant, j'ai reconnu l'importance d'avoir de tels événements dans un pays où, trop souvent, ceux qui se sacrifient pour des mouvements de liberté sont facilement oubliés.
Je salue l'initiative de tous les organisateurs et je soutiens l'esprit de ces événements. Honorer les sacrifices et célébrer la mémoire de ceux qui meurent est l'un des plus importants moyens de reconnaissance et donner un sens et un but à ce pourquoi ils sont morts. Au Cameroun, nous sommes engagés pour la démocratie et la liberté, et même si tout le monde aimerait arriver à ses objectifs pacifiquement, l'histoire nous informe autrement. Par conséquent, le minimum serait de ne jamais oublier ceux qui sacrifient leur vie pour que nous autre puissions vivre dans une société démocratique et un Cameroun libre.
AfricaLog: Qui est responsable de la tuerie de Février 2008? Savez-vous si quelqu'un a déjà fait l'objet de poursuites?
Eric Ngonji Njungwe: La question ne devrait pas être qui était responsable de la tuerie .... Il n'y a aucun doute sur qui a tiré sur des manifestants à l'aveuglette. Les forces de sécurité comprenant la police, gendarme, et l'armée ont été déployé dans tout le pays dans un effort visant à réprimer la protestation dans l'ensemble du pays.
C’est confirmé que toutes les forces ont eu des ordres spécifiques d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour mettre le pays sous contrôle, y compris l'utilisation aveugle de la force. Si on se base sur le nombre et les circonstances de la mort au cours des manifestations de Février 2008, il est clair que les forces de sécurité aient exécutés de manière efficace les ordres qu'ils ont reçu.
En ce qui concerne les poursuites pour les meurtres qui ont eu lieu au cours de cette période, je ne suis pas au courant de toute personne qui a été porté devant un tribunal pour faire face à la justice.
Dans son communiqué de presse du 27 Février 2008, intitulé "PICAM condamne la brutalité du gouvernement contre le peuple camerounais ", PICAM a critiqué le meurtre de civils non armés par les forces de l'ordre, et demande aux citoyens de faire preuve de retenue et d'agir à tout moment, en veillant à ce que les manifestations et les actions de grève soient pacifiques, et a appelé le gouvernement du Cameroun à mener une enquête approfondie sur les assassinats et à traduire les responsables en justice. Le gouvernement n’a pas répondu à l’appel de PICAM et d’autres personnes et organizations qui oeuvrent dans ce sens.
AfricaLog: L'élection présidentielle aura lieu au Cameroun en 2011. Est ce que vous attendez une candidature du président Biya?
Eric Ngonji Njungwe: Deviner ce que fera Paul Biya a toujours été un exercice futile. Néanmoins, il ya des actions qui permettent d’anticiper la strategie et le positionnement des dirigeants. Les élections de Juillet 2007 étaient une indication claire que M. Biya n'a pas l'intention de quitter le pouvoir au Cameroun de si tôt. Ce fait a été amplifié par la manipulation de la Constitution qui a eu lieu en avril 2008 pour donner à M. Biya l’opportunité de diriger le Cameroun à vie.
À cet égard, je dois mentionner que la manœuvre constitutionnelle d’Avril 2008 au Cameroun n'a pas donné de légitimité au pouvoir de Paul Biya à cause du manquement de certains principe de base. Etant donné que le processus menant à cet amendement était illégitime, tout ce qui vient avec, est illégal ab initio.
La réalité de la situation camerounaise est que le président Biya lui-même a peur de l'inconnu - ce qui lui arriverait s’il devait quitter le pouvoir. Par conséquent, si l’option est de partir, il cherchera à mettre en place quelqu’un qui va lui accorder la protection et l'immunité pour ses atrocités sur les Camerounais. La possibilité que M. Biya puisse mourir au pouvoir est l’éventualité la plus probable. La survie de la plupart des politiciens corrompus et pro parti au pouvoir, les hommes d’affaires dépend du maintien du statu quo. La machine va s'effondre en l'absence de l’appareil Paul Biya. Ils ont tous interêts à le pousser à rester au pouvoir le plus longtemps possible.
AfricaLog: Ne pensez-vous pas qu’il ya des progrès? La structure qui va assurer que les futures élections soient libres (ELECAM) a été récemment formée. Quelle est votre réaction? Ce qui aurait dû être un grand pas vers la démocratie a en fait abouti à l'abus des droits et l’espoir des populations. Depuis 1992, toutes les élections organisées au Cameroun ont été entachées par des actes d'intimidation, des fraudes massives et de graves irrégularités électorales. Je n'ai aucun respect pour ELECAM et toute personne qui a une lueur d'espoir pour cette institution serait entrain de perdre son énergie. Non seulement ELECAM a été créé par un decré présidentiel fantoche, le fait que presque tous les membres désignés dans cet organe sont des piliers dans le parti au pouvoir est répugnant. Dans de telles circonstances, il est difficile d'envisager comment un tel organe peut organiser des élections transparentes, libres et justes. Un organe électoral indépendant doit être en mesure d’être réellement indépendant avec un mandat fixe, avec le pouvoir de saisir des pétitions de malversations électorales, et la certification des résultats électoraux. Près de deux décennies après la réintroduction du multipartisme au Cameroun, le Cameroun accuse du retard dans l’instauration d'une Commission électorale indépendante. La situation actuelle prête à penser que les élections vont se poursuivre au Cameroun avec un manque d'équité et de transparence. Sur le net: http://www.picam.org
Eric Ngonji Njungwe: ELECAM est une farce. C'est une véritable honte pour l'opposition politique au Cameroun de rester muet alors que dans l'ombre le du bureau politique du parti au pouvoir est mis en place pour organiser des élections dans le pays. Lorsque le président Paul Biya a cédé à la pression nationale et internationale au début des années 1990 et rétabli plusieurs partis politiques, on espèrait que cela va inaugurer une nouvelle phase de la démocratie au Cameroun. Pas une seule des élections tenues depuis lors ne peut être classés comme libres et équitables.
Propos recueillis par André Brikop