Rhode Bath-Schéba Makoumbou est née à Brazzaville en République du Congo. Elle a été initiée à la peinture par son père, le peintre David Makoumbou. À travers ses œuvres, ce sont surtout les activités sociales de la femme africaine qui sont mises en valeur. Elle a une exposition individuelle « Afrique-Art Témoin » à la Galerie Congo, à Paris Jusqu’au 30 Avril 2009. Dans cette interview accordée à AfricaLog elle parle de ses sources d’influences.
AfricaLog: Parlez-nous de votre parcours.
Rhode Bath-Schéba Makoumbou: Depuis ma tendre enfance, j’ai été initiée à la peinture par mon père, le peintre David Makoumbou. Je me suis réellement engagée dans l’art à partir de 1989 et j’ai commencé à participer à des expositions à Brazzaville en 2000.
Les années 2003-2004 ont marqué une importante étape dans ma carrière artistique dans le fait que j’ai commencé à exposer à l’étranger (Gabon, France et Belgique). Depuis cette période, le rythme c’est fortement accéléré. Je suis maintenant à 103 participations à des expositions collectives ou individuelles à travers le monde. Pour réussir cela, j’ai eu la chance de rencontrer mon manager belge Marc Somville qui m’a beaucoup aidé dans toutes les tâches techniques et administratives (promotion, relation publique, conception et montage des expositions, création d’un site web). De mon côté, j’ai vraiment pu totalement me concentrer sur la création artistique.
Après ce parcours international très intéressant, je vais maintenant être un peu plus présente au Congo où j’ai de nombreux projets.
AfricaLog: Pourquoi le choix du thème "Afrique-Art témoin" pour votre exposition à Paris?
Rhode Bath-Schéba Makoumbou: Je suis une artiste qui désire toujours être en prise directe avec la réalité de ce que vivent les gens. Je ne suis pas quelqu’un qui reste dans sa « tour d’ivoire ». Je m’inspire pour cela surtout du travail quotidien des populations, principalement celui des femmes, que j’essaye de transposer sur la toile ou dans la sculpture d’une manière esthétique assez réaliste et visible.
J’attache beaucoup d’importance à mon identité culturelle africaine, pas en termes d’opposition aux autres cultures, mais comme une richesse du monde qui tire ses sources dans la diversité culturelle.
J’essaye de m’inscrire parmi ceux qui sont conscients des effets négatifs de la mondialisation qui tente d’uniformiser tous les codes humains dans un même moule qui appauvrit notre univers intellectuel.
Je reste ouverte aux autres cultures en termes d’échanges et aux sources d’influence de ce qui peut se faire de plus intéressant et d’authentique dans le monde, mais en essayant de les intégrer dans la spécificité des traditions de nos peuples d’Afrique.
AfricaLog: Votre sculpture "Journée sans voiture" s'adresse à qui ? Voulez- vous passer un message "vert"?
Rhode Bath-Schéba Makoumbou: Il existe depuis quelques années une manifestation annuelle à Bruxelles qui s'intitule une journée sans voiture. Je trouve cet événement intéressant et j'ai voulu lui donner une interprétation artistique. Au-delà , j'évoque indirectement la préservation de la nature, le réchauffement climatique, et je dis, à travers cette œuvre, que l'Afrique prend aussi conscience du réchauffement de la planète et des questions d'environnement qui doivent tous nous interpeller.
AfricaLog: Le public a réservé un excellent accueil à votre exposition à Paris. Est-ce le signe de la valorisation de l'art africain?
Rhode Bath-Schéba Makoumbou: Oui je le pense vraiment. Je crois que j’ai la chance de vivre une époque où l’on s’intéresse de plus en plus aux différents courants artistiques des arts africains actuels.
Pas seulement pour les arts plastiques, mais aussi pour la littérature, le cinéma, la danse, la musique… Peut-être que l’exotisme joue parfois encore un rôle, mais je pense aussi qu’une partie du monde occidental est fatiguée d’un certain art vide de sens, parfois assez nombriliste et élitiste.
La création de la Galerie Congo à Paris, et aussi à Brazzaville, s’inscrit vraiment bien dans cette évolution pour mieux valoriser notre patrimoine culturel.
AfricaLog: Quelle est la réalité de votre pays que vous représentez dans vos œuvres?
Rhode Bath-Schéba Makoumbou: Dans mon travail artistique, je mets la femme congolaise en valeur, je parle d'elle dans son quotidien, de la vie de tous les jours. Je rends hommage à cette femme africaine, une femme d'action, courageuse, qui travaille et s'occupe de tout.
Vous pouvez l'observer dans ma sculpture intitulée « L'allaitement ». La maternité fait partie du quotidien au vrai sens du terme. La femme africaine allaite longtemps, garde son enfant dans le dos, elle et l'enfant ne font qu'un, qu'elle soit en action ou non.
Elle est le moteur de la société. La femme africaine a cette accoutumance au poids des responsabilités. Elle est un atout pour le développement de l'Afrique. Voilà sans doute pour mon côté féministe!
Au-delà , ma démarche artistique est de mettre en valeur les activités traditionnelles qui tendent à disparaître.
Une de mes sculptures représente un malafoutier. Par un système de liane ingénieux, il peut grimper au plus haut des palmiers récupérer les noix et le vin de palme. Cette activité va se perdre, remplacée par la mécanisation. C'est inéluctable, mais ce savoir a bel et bien existé et il ne faut pas l'oublier. Changer avec la modernisation ne veut pas dire oublier les savoirs du passé!
L'Afrique a encore ce côté proche de la nature que le monde occidental a beaucoup perdu au profit d’une industrialisation parfois anarchique et extrêmement polluante.
Ma démarche n'a rien à voir avec la pauvreté ou à un retour vers le passé, à une sorte de « paradis perdu ». Je raisonne en termes de richesses du savoir, ces richesses de l'Afrique, qu'il faut garder en mémoire pour les jeunes générations.
J'attache beaucoup d'importance aux repères. Quand on a des repères, on peut mieux voir l'évolution du monde. En réalité, je suis un peu comme une artiste archiviste et les artistes ont aussi pour but d'interpeller leur époque!
AfricaLog: Edith Lucie Bongo, première dame du Gabon et fille du président congolais Denis Sassou Nguesso est décédée. Votre réaction?
Rhode Bath-Schéba Makoumbou: C’est évidemment toujours très triste de voir quitter quelqu’un de ce monde, surtout une personne encore si jeune, et je partage complètement mon chagrin avec l’ensemble de sa famille congolaise et gabonaise à qui je présente mes sincères condoléances.
Site web de l’artiste www.rhodemakoumbou.eu
Propos recueillis par André Brikop