Par Faya L. Millimouno, Ph.D.
S’il y a un nom qui colle bien à notre pays, c’est sans doute la “Guinée des complots”. On en compte des dizaines, voire même des centaines depuis notre indépendance. Parmi les complots dénoncés depuis notre indépendance, nombreux, pour ne pas dire tous, sont encore à prouver.
Certains sont aussi vieux que notre indépendance. D’autres sont aussi jeunes que mon neveu qui est né hier. Certains ont fait l’objet de grande publicité; d’autres sont passés inaperçus.
Quelles que soient leurs caractéristiques, ils ont tous quelque chose en commun: ils ont fait des victimes, beaucoup de victimes. Ils ont fait des orphelins, beaucoup d’orphelins.
Si le débat demeure sur l’authenticité de ces complots, il y a unanimité quant à celle des victimes. Celles qui ont été tuées sont effectivement mortes. Celles qui ont été torturées l’ont effectivement été. Celles qui ont été violées, l’ont effectivement été. Celles qui ont été emprisonnées, l’ont effectivement été. Chacune qui a eu la vie sauve en porte encore des séquelles. Pour beaucoup d’entre elles, ce sera pour le restant de leur vie.
Mais comme on en est tellement habitué, tout passe inaperçu. Tant pis pour celui ou celle dont le tour est arrivé. Nous sommes chez le coiffeur. Chacun a son tour et l’attend religieusement.
Il y a quelques semaines, un signe annonciateur nous a été donné. C’était devant cameras et micros. Certains spectateurs avaient même applaudi et encouragé. C’était quand le président de la Transition guinéenne, le général Sekouba Konaté, a proféré des menaces à l’encontre de ceux qu’il accusait ne pas voire d’un bon œil la Guinée s’acheminer vers un retour à l’ordre constitutionnel et qui tiendraient, d’après lui, des « réunions secrètes » dans la banlieue de Conakry. C’est la télévision nationale même qui a rapporté la nouvelle. C’était le vendredi 12 mars, 2010. Il s'exprimait au cours d’un rassemblement militaire qui regroupait les officiers, sous-officiers et hommes de troupes des Forces de défense et de sécurité de l’armée, au camp Alpha Yaya Diallo, le quartier général de la junte.
«Quiconque va saboter cette démocratie que nous sommes entrain de construire, on va le détruire. Nous avons appris que certains font des réunions à la mangrove ou au génie route. Les jeunes caporaux, si vous continuez à vous mêler des faux problèmes, on va vous radier. Cela ne va plus continuer comme ça », avait il lâché. Il ajouta : « Partout où vous êtes, votre position est surveillée. Ceux qui veulent saboter la démocratie, on va vous tuer ».
Malgré la gravité de ces propos de la part de celui qui est désormais connu comme «l'homme de la paix» que la Guinée n’ait jamais eu, les guinéens, comme à leur habitude, n’ont pas été scandalisés. Même face à des expressions horribles comme « on va vous tuer » et non « on va vous arrêter et vous juger », nous sommes restés silencieux.
Pendant les 26 ans du PDG-RDA, on a nous dit, sans la moindre preuve, qu'ils étaient des comploteurs, nous avons «cru» et «autorisé» qu'ils soient mis à mort. On nous a dit aussi, sans la moindre preuve encore une fois, qu'ils étaient de la cinquième colonne, nous avons «cru» et «autorisé» qu'ils soient torturés, emprisonnés et/ou tués.
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la notion, la cinquième colonne doit être comprise selon le sens donné à cette expression par le général Emilio Mola lors de la guerre d’Espagne dans les années 30. Elle désigne les partisans au sein d’un Etat donné provenant ou travaillant pour le compte d’un autre Etat hostile. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les partisans ainsi que les agents secrets allemands travaillant en pays étrangers pour le compte de l'Allemagne faisaient partie de ce qui était appelé la cinquième colonne.
Au temps du sauveur CMRN, on nous avait pourtant dit que tous ont comploté, après qu’on ait entendu un certain Colonel Diarra Traore. Nous avons cru, certains d’entre nous les avaient attaqués et avaient détruits leurs biens. On nous a dit "Wo Fatara!" et on les a torturé et tué en notre nom.
Au temps du PUP, on nous a dit que les assassinés de Coza en 2001 étaient des rebelles, des ennemis de la République, nous avons cru et remercié les autorités en envoyant les colas traditionnelles de la forêt. Ces autorités ont gardé les corps pour nous pendants 8 ans avant de les donner aux familles pour les enterrer et faire le deuil.
En janvier et février 2007, beaucoup de nos frères et sœurs ont été tués au Pont de la mort, connu sous le nom de Pont Fidel Castro. Il s’appelle aussi le Pont des pendus. On nous a dit qu'ils avaient violé la Loi et certains ont cru et tout le monde a accepté de tourner la page.
En 2008, les policiers ont été tués. Leur nombre n'a même pas intéressé les guinéens. C'était l'affaire de leurs familles. On nous a dit qu'ils avaient réclamé un non droit et qu'ils devaient mourir. Nous avons cru et laissé passer.
Le 28 septembre 2009, beaucoup de nos sœurs ont été violées, des frères et sœurs ont été tués, après on nous a dit qu'ils se sont eux-mêmes donnés la mort, et certains d’entre nous ont cru. On en parle même plus aujourd’hui.
Il y a donc quelques jours, juste avant la visite d’Etat du Général de la paix, des officiers, sous-officiers et hommes de troupes ont été arrêtés. Ils sont actuellement torturés ; certains d’entre eux sont peut être déjà morts, comme le Général nous l’a annoncé le 12 mars.
Si je peux me permettre, mon général, j’ai besoin cette fois de savoir qu’ont-ils fait ? Si, comme vous nous l’avez annoncé, ils ont fait quelque chose de mal, laissons la justice l’établir pour une fois. Ne les torturez pas à mon nom. Ne les tuez pas à mon nom. Ne vous attaquez surtout pas à leurs parents, à leurs amis, à leurs femmes ou maris, à leurs enfants, à leurs collègues. S’ils sont coupables de quelque chose, que la justice l’établisse.
Le principe de la responsabilité individuelle veut que chaque individu réponde de ses actes, mais uniquement de ses propres actes. Dans toute société civilisée, nul n’est punissable qu’en raison de son fait personnel. Autrement dit, les fautes des pères ne doivent pas être imputées à leurs enfants, et vice versa. Les fautes étant personnelles, il serait contraire à tout principe de justice que de punir quelqu'un pour des crimes commis par un autre, fût-il son père, son fils, sa femme ou son parent.
J’espère que quelqu’un se joindra à moi pour demander des comptes à notre Général national.