Lors de la messe d’ouverture du Synode pour l’Afrique, le pape, qui considère ce continent comme un « immense poumon spirituel », a fustigé les fondamentalismes religieux et les « déchets toxiques spirituels » qui le « contaminent
Lentement, les pères synodaux s’avancent. Ils viennent de toute l’Afrique. Parmi eux, Mgr Louis Portella Mbuyu, évêque de Kinkala et président de la Conférence épiscopale du Congo. Son témoignage est saisissant : « Mon diocèse a vécu une guerre civile de 1997 à 1999 avec, jusqu’à aujourd’hui, la permanence des milices “ninjas”. L’Église s’est mobilisée, dialoguant avec le leader des “ninjas”, pour tenter d’aboutir à une paix définitive. Aujourd’hui, la milice a pu être officiellement désarmée, ce désarmement et la réinsertion socio-économique des enfants-soldats ayant été financés par la Banque mondiale. Mais nous restons vigilants, un désarmement n’est jamais définitif. La plupart des écoles et des dispensaires ont été détruits. C’est toute une génération de jeunes qui n’a donc pas connu l’école, depuis dix ans. » Dans un tel marasme, Mgr Mbuyu attend beaucoup du Synode. « Que l’Église soit plus fortement présente dans la réalité sociale, car les misères que nous connaissons relèvent de la mauvaise gestion des hommes et des biens. Nous avons d’énormes possibilités matérielles, économiques, humaines, mais tout est gaspillé. » « Que l’Occident cesse d’exploiter notre continent » Comme lui, bon nombre des évêques qui s’avancent dimanche 4 octobre dans la basilique Saint-Pierre pour la messe d’ouverture du Synode pour l’Afrique souhaitent que l’Église, par le biais de cette rencontre, bouscule les dirigeants, africains mais aussi occidentaux. « Que les chrétiens d’Europe et d’Amérique prennent l’Afrique au sérieux et que l’Occident cesse d’exploiter notre continent sans vergogne », lancera ainsi, à la sortie de la basilique, Mgr Philip Naameh, archevêque de Tamale (Ghana). « Nous avons besoin d’un projet qui mobilise toute l’Afrique », estime pour sa part Mgr Daniel Mizonzo, du Congo-Brazzaville, qui souhaite que « le monde entier écoute ce que l’Afrique a à dire ». Au cours de la cérémonie, les langues et les voix africaines étaient largement présentes, mêlées au latin, au français, au portugais, à l’anglais, langues de travail de ce synode Nakoma peto (« Que je devienne pur »), chanté en lingala (langue du Congo), a scandé le rite d’aspersion, au début de la célébration. C’est la responsable des Focolari de Côte d’Ivoire, Geneviève Amalia Mathilde Sanze, qui a lu la première lecture en français. Après la proclamation de l’Évangile en latin, la prière des fidèles a été prononcée en swahili, en portugais, en amharique, en haoussa, en lingala et en arabe. Un chant en kikongo, Ee Mkufu, Yamba Makabi (« Seigneur accueille cette offre ») a accompagné l’offertoire, tandis que le Togolais Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine, est parmi ceux qui apportent les offrandes devant Benoît XVI. À la fin de la célébration, l’hymne Tokobondela yo e, Mama Maria (« Nous te prions, Maman Marie ») est exécuté en lingala. « Une source d’exploitation, de conflit et de corruption » Dans son homélie, Benoît XVI s’est montré très vigoureux. Il a rappelé que les ressources de l’Afrique sont « une source d’exploitation, de conflit et de corruption ». Mais, pour lui, « l’Afrique représente un immense “poumon” spirituel (…) qui peut aussi tomber malade ». Et c’est bien le mot de « maladie » que le pape utilise, « une maladie déjà diffusée dans le monde occidental, à savoir le matérialisme pratique, associé à la pensée relativiste et nihiliste ». Le « premier monde » est clairement accusé par le pape d’exporter « des déchets toxiques spirituels » qui contaminent les populations des autres continents. « Le colonialisme n’est jamais tout à fait terminé », dit-il. Benoît XVI dénonce un « second virus » : « le fondamentalisme religieux, lié à des intérêts politiques et économiques ». L’accusation vise l’efflorescence des sectes, ces groupes qui « sont en train de se répandre sur le continent africain ; ils le font au nom de Dieu, mais selon une logique opposée à la logique divine, c’est-à -dire en enseignant et en pratiquant non pas l’amour et le respect de la liberté, mais l’intolérance et la violence ». « La famille est le lieu de la vie » Puis Benoît XVI insiste sur « la thématique complexe du mariage dans le contexte africain ecclésial et social », en lien avec l’évangile du jour (Mc 10, 2-16) : « Dans la mesure où elle conserve et développe sa foi, l’Afrique pourra trouver des ressources immenses à donner en faveur de la famille fondée sur le mariage. » « Chez nous, les valeurs familiales sont très importantes, parce que la famille est le lieu de la vie et la vie est la valeur sur laquelle tout est fondé », confirme Sœur Marie-Bernard Alima, secrétaire générale de la Commission Justice et Paix du Congo et de la région des Grands Lacs, venue pour le Synode avec un groupe de religieuses. Enfin, Benoît XVI insiste sur « la grande contribution » de l’Église « à toute la société », pourvu qu’elle soit fidèle à sa vocation d’être « prophétie et ferment de réconciliation entre différents groupes ethniques, linguistiques et aussi religieux, à l’intérieur de chaque nation et sur tout le continent ». Ce que redit à sa manière, à la sortie de la basilique, Mgr Jean Zerbo, archevêque de Bamako (Mali) : « Nous, Église en Afrique, sommes fille de l’Europe et nous ne souhaitons pas vivre en orpheline ; tels des enfants heureux de savoir que leur maman reste fidèle aux valeurs qu’elle a transmises, nous souhaitons que l’Église en Occident continue de vivre avec ce qu’elle nous a donné de meilleur, la foi en Jésus-Christ. » À l’Angélus, Benoît XVI a bien précisé le mode d’emploi de ce Synode : « Il ne s’agit ni d’un colloque ni d’une assemblée programmatique », a-t-il rappelé, car « nous n’en sommes pas les protagonistes : ce sont le Seigneur et le Saint-Esprit qui guident l’Église ». – La Croix