Les hommages à leur défunt président terminés, nombre de Gabonais se prennent à rêver, pour tourner la page de l'ère Omar Bongo qui a duré 41 ans, d'une "vraie" élection qui serait déjà une première concrétisation de leur volonté confuse de "changement".
Le Premier ministre Jean Eyeghé Ndong a reconnu lundi que la présidentielle ne pourrait avoir lieu avant le 25 juillet conformément aux délais constitutionnels, notamment en raison de la nécessaire révision des listes électorales. Une "concertation" de la classe politique, lancée mardi, devrait permettre de régler cette question. Mais déjà , les esprits sont à la future élection. "On veut le changement", dit Anicet, chauffeur d'un taxi déglingué qui vit dans un quartier déshérité de Libreville. "On ne veut plus des mêmes qui sont au pouvoir depuis toujours". Ce sentiment, diffus parmi les nombreux laissés-pour-compte d'une redistribution marginale et arbitraire de la manne pétrolière, est aussi présent dans la classe moyenne de la capitale - bien qu'exprimé, le plus souvent, sous couvert de l'anonymat. "Les gens ont envie d'un vrai changement", confirme un jeune père de famille. "Beaucoup de jeunes qui ne se sont jamais inscrits sur les listes électorales ont envie d'y aller cette fois, car les jeux sont ouverts". Et les jeunes sont nombreux, qui n'ont connu que l'ère Bongo, dans un pays où l'espérance de vie est de 56 ans et où 36% de la population ont moins de 15 ans, d'après l'ONU. "Tant qu'il y avait Bongo, les gens étaient résignés, ils prenaient leur mal en patience et acceptaient tout, sachant que rien ne changerait de son vivant", explique une fonctionnaire trentenaire. "Maintenant qu'il n'est plus là , c'est différent, il y a de l'espoir. Mais aussi une certaine crainte car il avait su au moins garantir la paix". D'après un universitaire, Bongo avait mis en place un "système monolithique". "Tant qu'il y avait les ressources pour tenir, cela fonctionnait comme une chape de plomb", analyse-t-il. "Mais maintenant, le seul dénominateur commun, celui qui ne pouvait être contesté, est parti, et les ambitions vont s'exprimer". Rares sont toutefois ceux qui donnent un nom au "changement" tant souhaité, au moment où, en coulisses, la bataille de la succession a commencé, notamment au sein du parti présidentiel qui rassemble un myriade d'ambitions. Les personnes interrogées savent surtout ce dont elles ne veulent pas. Un membre de l'ethnie fang, la plus nombreuse avec 30 à 40% de la population? Les autres communautés n'en veulent pas. Un candidat originaire, comme Bongo, du Haut-Ogooué (sud-est)? Le reste du pays s'y dit hostile. Un représentant du parti présidentiel, voire du clan du défunt? Trop dans la continuité. Et les "opposants"? Ils ont perdu toute crédibilité au fil de leurs compromissions avec le régime. "Si on arrive à une élection fiable, si on a un président bien élu au Gabon, ce sera déjà l'alternance", s'exclame un ministre et ex-opposant. "Même si ce n'est pas un homme neuf, on aura changé de système". Reste le problème de la "dictature du franc CFA" mise en place, d'après ses détracteurs, par Bongo. En 2005, les pétrodollars coulaient ainsi à flots sur la campagne présidentielle. "Au Gabon, pour gagner un scrutin il faut distribuer énormément d'argent", décrypte un haut fonctionnaire expert des campagnes électorales. "Les mêmes qui veulent le changement cherchent la facilité", admet aussi Anicet le chauffeur de taxi. "Ils veulent l'argent, et l'argent, ce sont ceux qui sont déjà au pouvoir qui en ont assez pour gagner". – AFP