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Guinée: garder les tensions communautaires sous contrôle

Nov 12, 2009

Selon des militants locaux de la société civile, la récente crise politique en Guinée a pris une dimension ethnique à N’zérékoré, région d’origine du chef de la junte, Moussa Dadis Camara, dont la population est composée de divers groupes et qui a déjà connu des conflits communautaires par le passé.

Le 28 septembre, la mort de plus de 150 personnes tuées par les forces de sécurité dans la capitale, Conakry, a provoqué des tensions en Guinée forestière, dans le sud-est du pays.

Les organisations non gouvernementales (ONG) et les autorités locales tentent d’apaiser les dissensions et d’établir un dialogue entre les nombreuses communautés de la région.

Cette semaine, la capitale régionale, N’zérékoré, est restée relativement calme, mais des tensions se font sentir, ont dit des habitants à IRIN. Ils ont ajouté que les jours à venir allaient être déterminants pour le maintien de la paix.

Immédiatement après les événements sanglants à Conakry, des rumeurs sont apparues à N’zérékoré selon lesquelles des membres locaux de la communauté des Peul allaient manifester contre M. Camara et que les Guerzé, le groupe ethnique du chef de la junte, allaient réagir violemment contre quiconque participerait aux manifestations.

Le 10 octobre, des organisations de la société civile et des chefs religieux et traditionnels ont organisé une « journée de dialogue » sur fond de ce qu’un compte-rendu de la réunion a qualifié de « crise nationale de nature à compromettre la quiétude sociale ».

« Lors de cette réunion, des membres des communautés Peul et Guerzé ont dit que ces rumeurs étaient infondées », a raconté Béatrice Kolié, facilitatrice dans la résolution des conflits pour l’ONG Réseau des femmes du fleuve Mano pour la paix (REFMAP). La réunion a été organisée à l’initiative du REFMAP et d’une ONG locale de communicateurs traditionnels, avec le soutien des ONG Faisons ensemble et World Education.

Mme Kolié a indiqué que les tensions s’étaient considérablement apaisées après les discussions. « Mais nous ne connaissons pas encore l’origine de ces rumeurs », a-t-elle ajouté.

Le compte-rendu de la réunion constate : « il faut noter que les rumeurs bien qu’infondées étaient en passe d’embraser la région et au-delà, la nation tout entière ».

Après les événements du 28 septembre, le conflit politique a pris une tonalité communautaire à N’zérékoré, a expliqué Mme Kolié. Un autre observateur, qui a souhaité garder l’anonymat, a dit que les tensions étaient palpables entre les jeunes Guerzé et Peul. Un jour, à la mi-octobre, des quartiers de N’zérékoré étaient jonchés de tracts sur lesquels on pouvait entre autres lire « si Dadis quitte [le] pouvoir, tous les Peul quittent N’zérékoré ».

Les tensions communautaires ne sont pas nouvelles à N’zérékoré : des conflits ont déjà eu lieu dans le passé entre les Malinké et les Guerzé.

Dimension ethnique

Le paysage ethnique de la Guinée est composé de Peul (une majorité d’environ 40 pour cent), de Malinké, de Soussou et de plusieurs groupes plus petits originaires de Guinée forestière. Depuis l’indépendance, en 1958, jusqu’au coup d’État qui a porté Moussa Dadis Camara au pouvoir en 2008, le pays a eu deux présidents, l’un Malinké, l’autre Soussou. Des observateurs indiquent que de nombreux Peul pensent que « leur tour » est venu. En attendant, les partisans de M. Camara semblent tirer parti de l’exclusion des groupes ethniques de Guinée forestière, selon l’International Crisis Group (ICG).

« De tous points de vue, l’ethnicité constitue, en Guinée, un élément important dans les relations sociopolitiques », a dit à IRIN Mohamed Jalloh, spécialiste de la Guinée pour ICG.

Un homme, qui racontait avoir été frappé par des soldats le 28 septembre à Conakry, a dit à IRIN que tous les soldats qu’il rencontrait lui demandaient son origine ethnique. Des jeunes de Conakry ont raconté que dans les jours qui ont suivi, les soldats ont harcelé et menacé les Peul. L’actuel ministre de la Défense, Sekouba Konaté, entretient des liens avec des groupes rebelles et des milices ayant participé aux récents événements en Guinée et au Liberia voisin, selon ICG, qui dit dans son dernier rapport que la junte est en train de former des milices dans le sud-est.

Noix de cola et caravanes

Lors de l’ouverture de la réunion du 10 octobre à N’zérékoré, après une minute de silence pour les victimes du 28 septembre, un sage a offert 10 noix de cola à chaque représentant communautaire en signe de bienvenue et de fraternité.

Des membres de plusieurs groupes ethniques ont discuté de la situation, les chefs traditionnels et religieux rappelant aux participants qu’ils faisaient tous partie d’une seule et même Guinée et que si la nation souffrait, tous souffriraient.

Un chef islamique peul présent lors de la réunion et qui vit dans la région depuis plus de 40 ans « en parfaite harmonie avec [ses] hôtes Guerzé » a exhorté les participants à œuvrer pour une unité nationale.

L’une des recommandations découlant de la réunion était que les citoyens et les autorités devraient poursuivre les colporteurs de rumeurs. Il faut « identifier, dénoncer et interpeller les propagateurs ou colporteurs de fausses rumeurs – cela suppose l’implication effective des autorités, forces de défense et de sécurité et les services judiciaires ».

Les participants ont également recommandé de « faire des communications radiodiffusées pour dissiper les rumeurs, de redynamiser et soutenir les structures » locales de prévention des conflits, d’organiser d’autres journées de dialogue et des journées de prière destinées aux jeunes ainsi que de former des comités interethniques et religieux.

Lors d’une autre initiative, des groupes de la société civile locaux ont mis en place une « caravane de la paix » dans laquelle les gens se sont rassemblés et ont rencontré des représentants de divers groupes ethniques pour leur serrer la main et discuter.

« C’était une façon de renforcer l’unité nationale », a expliqué Auguste Impérial Théa, d’une coalition pour le développement et la paix à N’zérékoré, qui a aidé à mettre sur pied la caravane. « Le tissu social était sérieusement déchiré et cela est dangereux », a-t-il dit.

« Nous prévoyons d’organiser cette caravane dans le reste de la région. Elle donne aux gens la possibilité de parler de la peur qu’ils ont au cœur », a-t-il ajouté.

Menaces intra-ethniques

Un homme Guerzé, qui a requis l’anonymat, a dit que les efforts de construction de la paix en cours devaient immédiatement se concentrer sur les jeunes, affirmant que les jeunes Guerzé rejetaient, souvent violemment, la moindre critique à l’encontre du chef de la junte, M. Camara. Il a raconté qu’il connaissait une femme vendeuse sur un marché qui avait récemment été battue par des jeunes pour avoir vendu des marchandises à des Peul.

Un jour, il a entendu un groupe de jeunes Guerzé prétendre que les médias internationaux étaient payés par les Peul pour propager de mauvaises informations sur la Guinée. « Lorsque je suis intervenu pour simplement leur demander s’ils pensaient que les actions de Dadis [Camara] avaient jusqu’alors été vraiment nobles, ils m’ont brutalisé et menacé avec un couteau en me traitant de traître et de bâtard. Ils m’ont dit que je ne devais pas être un vrai Guerzé. J’étais stupéfait ».

Lorsqu’il s’est rendu chez un avocat pour raconter cet affrontement, ce dernier lui a dit qu’étant donné la situation actuelle en Guinée, il était préférable de garder le silence. « L’avocat m’a dit “sinon, vous perdrez votre vie pour rien” ».

Dans son rapport, ICG s’inquiète des violences intercommunautaires dans la région. Il relate qu’un haut dirigeant de la junte a déclaré, lors d’une récente visite à N’zérékoré : « Dadis ou la mort ».

L’homme Guerzé a raconté à IRIN comment il avait encore été menacé à une autre occasion, alors qu’il essayait de calmer des propos haineux contre les Peul.

« J’ai entendu un groupe de jeunes Guerzé dire qu’ils allaient devoir éliminer des Peul pour réduire leur nombre en Guinée. Après le premier incident, je m’étais juré de garder le silence, mais cela m’a tellement troublé que je devais intervenir ». Il a raconté avoir dit aux jeunes que blesser ou tuer des Peul ne résoudrait rien.

« Plus tard cette nuit-là, le groupe est venu chez moi avec quelques personnes supplémentaires... Deux membres du groupe qui me connaissent depuis longtemps ont convaincu les autres de ne pas me faire de mal ».

« Mais je vis dans la peur. Chaque jour, je crains qu’ils ne viennent chez moi et m’attaquent », a-t-il ajouté.

Mme Kolié, du REFMAP, a estimé que les communautés devaient continuer à se réunir et discuter. « Dans le domaine de la prévention des conflits, nous ne pouvons pas dire “nous avons fait ceci et cela, et maintenant nous avons fini”. Le processus doit être continu ». - IRIN

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