L'ancienne Première dame Simone Gbagbo, inculpée notamment pour «génocide» après la crise postélectorale de 2010-2011, sera jugée à partir du 22 octobre à Abidjan, la Côte d'Ivoire ayant refusé son transfèrement à la Cour pénale internationale.
Surnommée la «Dame de fer», Simone Gbagbo, 65 ans, a été autant respectée pour son parcours dans l'opposition que crainte en tant que «présidente» à poigne, accusée d'être liée aux «escadrons de la mort» contre les partisans d'Alassane Ouattara, aujourd'hui au pouvoir, qu'elle a toujours honni.
Le couple a été arrêté ensemble le 11 avril 2011, au terme de cinq mois de violences nés du refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite au scrutin présidentiel de décembre 2010 face à Alassane Ouattara, qui firent plus de 3000 morts.
Les photos de Simone Gbagbo, les cheveux arrachés, les traits tirés et le regard apeuré, aux côtés de son mari hagard ont alors fait le tour du monde.
Tout comme son époux, Simone Gbagbo est accusée par la CPI de «crimes contre l'humanité» commis durant la crise postélectorale.
Mais à la différence de Laurent Gbagbo, ou du «général de la rue» Charles Blé Goudé, ancien chef d'un mouvement pro-Gbagbo très virulent, Abidjan refuse son transfèrement à La Haye, arguant qu'il affecterait le processus de réconciliation en cours dans le pays et que son système judiciaire est désormais en mesure d'organiser son procès de manière équitable.
«Magie judiciaire»
Quelque 90 autres personnalités proches de Laurent Gbagbo, seront également jugés à partir du 22 octobre, selon Me Hervé Gouaméné, l'un des avocats de l'ancienne Première dame.
Des procès qui tombent à point pour le pouvoir ivoirien, qui veut que les procès de la crise postélectorale se tiennent rapidement, de manière à ne pas faire d'ombre à la prochaine présidentielle, prévue en octobre 2015.
Contacté, le Front populaire ivoirien, le parti politique créé par Laurent Gbagbo, n'a pas souhaité réagir.
«C'est de la magie judiciaire. Cela me laisse songeur», observe Yacouba Doumbia, le président du Mouvement ivoirien pour les droits de l'Homme, MIDH, qui dénonce «un procès de symbole, comme on les aime bien en Côte d'Ivoire», plutôt qu'une «recherche de la vérité, de la culpabilité».
Les 91 accusés devront répondre des faits de «génocide et crimes de sang, atteinte à la sûreté de l'État, rébellion, trouble à l'ordre public», ainsi que d'«infractions économiques». La plupart des figures de l'ancien pouvoir, qui bénéficient de la liberté provisoire, comparaîtront libres.
«Nous n'avons pas vu le travail qui permettrait de garantir un bon procès», regrette Yacouba Doumbia. Avec tant d'inculpés, «il aurait fallu peaufiner pour trouver de véritables éléments de poursuite», ajoute-t-il.
«La justice ivoirienne n'est pas en capacité de juger» Simone Gbagbo, car «les textes juridiques n'existent pas en Côte d'Ivoire pour les crimes graves» qui lui sont reprochés, argumente de son côté Ali Ouattara, président de la Coalition ivoirienne pour la CPI.
Il émet aussi des réserves sur la capacité de la justice ivoirienne à juger 91 personnes simultanément.
Et trois ans et demi après la fin de la crise, qui mit en lambeaux le système judiciaire, la société civile continue de pointer d'importants manquements dans son fonctionnement.
Lundi, la Fédération internationale des droits de l'Homme s'inquiétait ainsi de «l'inertie de la justice» dans l'enquête sur un charnier découvert en octobre 2012 dans l'ouest de la Côte d'Ivoire pour laquelle des soldats du pouvoir Ouattara sont notamment accusés.
«Il est difficile de comprendre qu'aucun acte d'enquête n'ait été posé par les juges depuis plus d'un an», observait Me Patrick Baudouin, président d'honneur de la FIDH et avocat des victimes, dans un communiqué.
Autre problème, de taille: aucun partisan important d'Alassane Ouattara n'a pour l'instant été inquiété par la justice, en dépit des crimes commis par son camp durant la crise postélectorale. Un oubli qui donne des arguments à ceux qui dénoncent une «justice des vainqueurs» en Côte d'Ivoire. – AfricaLog avec agence