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Le «José Bové» camerounais et l’affaire des tracteurs détournés

Jan 26, 2009

Un syndicaliste paysan est poursuivi pour avoir dénoncé la corruption. C'est une histoire qui fait peu de vagues en marge du flot d’actualités sur la crise. Une sorte de petit bréviaire de la mondialisation à l’échelle d’un continent - l’Afrique. Dans un pays - le Cameroun -, où entre chape de plomb politique et élite largement corrompue, une société civile émerge et tente de se frayer un chemin. «Pour faire valoir le droit de se développer, faire entendre l’idée de la souveraineté alimentaire, faire avancer la démocratie.» Ce sont les mots, et c’est l’histoire d’un agronome : Bernard Njonga, devenu syndicaliste paysan.

Njonga et cinq autres «prévenus» devaient comparaître vendredi devant le tribunal de première instance de Yaoundé avant que le procès ne soit repoussé au 13 février. Motif : «Manifestation non déclarée sur la voie publique.» Il plaide coupable. «Oui, nous avons pris la rue.» Oui, il a protesté le 10 décembre aux côtés de militants de l’Association citoyenne pour la défense des intérêts collectifs. Oui, il a appelé «à dénoncer le détournement de l’argent public». Bilan : une dizaine d’arrestations. Un passage à tabac. Deux blessés graves.

«Du beau monde». C’est que Bernard Njonga, 55 ans, corps sec comme un coup de trique et regard fier, est un rien zélé dans son combat. Il n’aurait pas dû prouver que plus de 60 % d’une aide de 1,8 million d’euros, promise en 2008 à des paysans pour cultiver le maïs, a fini dans les poches de caciques du ministère de l’Agriculture. Il n’aurait pas dû, aux yeux du pouvoir, enquêter pendant quinze mois pour raconter que 49 des 60 tracteurs offerts par la coopération indienne en 2007 trônaient dans des arrière-cours d’élus de haut rang. «Hallucinant, rappelle le leader paysan. Que du beau monde, des ministres, d’anciens ministres, des députés…» Son association a fait le compte : 32 tracteurs ont été «offerts» à des ministres, 17 à des députés ou des responsables de l’administration et de l’armée. Les roues n’ont jamais foulé la terre ocre camerounaise.

Dommage. Dans un bel exemple, symbole du renouveau de la solidarité Sud-Sud, «New Delhi nous avait promis d’installer une chaîne de montage de tracteurs pour accélérer la mécanisation de notre agriculture», rappelle Njonga. Mais la promesse est restée lettre morte. On peut comprendre l’Inde. Pas envie de retrouver l’usine en pièces détachées sur les marchés de Yaoundé. «Un gâchis désespérant. On marche sur la tête», en rirait presque Valéry Nodem, du Réseau de lutte contre la faim. Surtout dans un pays qui vit à 70 % de son agriculture vivrière, mais qui, faute d’infrastructures, importe 450 millions d’euros de produits alimentaires. Et quand les prix flambent comme en 2008, le «gâchis» tue. Les émeutes de la faim ont fait 40 morts.

Le prix du maïs s’est envolé. La production a chuté. «De 60 000 tonnes en 2008, le déficit pour la consommation est estimé à 120 000 tonnes pour 2009», rappelle Njonga. Et le pays, sorte de paradis de la biodiversité (malgré l’impact de la déforestation ou de l’extraction minière) aux nombreuses potentialités agricoles (20 % des terres arables sont cultivées) se morfond dans le mal-développement. «Un homme vous apporte sur un plateau un cas hallucinant de corruption, et le mec se fait tabasser, reprend un militant associatif. Du changement ? Des beaux discours, quelques ministres emprisonnés pour la photo, mais la volonté politique n’existe pas. Il n’y a aucune réaction du gouvernement à ce pillage.» C’est à peine si Paul Biya, despote au pouvoir depuis 1982, a demandé à la Commission nationale anticorruption de jeter un coup d’œil sur ce cas.

Il y a du taf dans ce pays qui trône en bonne place dans le palmarès de la corruption de Transparency International. Le Cameroun n’a rien d’un cas isolé. L’Union africaine évalue le coût annuel de la corruption à 148 milliards de dollars (114 milliards d’euros) sur le continent, soit les produits intérieurs bruts cumulés du Cameroun, du Kenya et de la Tanzanie. «Au Cameroun, la corruption est un sport national pratiqué à haut niveau par les élites», note un expert. «Une prédation à tous les niveaux», ajoute Valéry Nodem. Moins d’un quart des entreprises publiques ont rendu leurs comptes en 2007.

«C’est dur, mais on avance à pas de loup», dit Njonga. Il a déjà déjoué des pièges de l’impact de la libéralisation du commerce agricole. Adepte de la course à pied, il avait lancé une campagne en 2004 avec le relais d’ONG européennes. Et jeté les bases du succès du «poulet bicyclette» local contre le poulet congelé importé d’Europe, qui laminait les filières avicoles. «On avait perdu 110 000 emplois», rappelle-t-il. La mobilisation a contraint les autorités à taxer les importations. Puis à leur suspension. Et à l’abandon de firmes chinoises qui voulaient monter des usines clés en main au Cameroun. «On a même réussi à pousser le gouvernement à subventionner pour la première fois l’agriculture : 120 millions de francs CFA», soit 183 000 euros.

Chatouille. Mais le pouvoir n’aime pas que la société civile s’émancipe trop et le chatouille sur ses turpitudes. D’où le procès du «Bové camerounais», comme le surnomme la presse. Lequel a reçu le soutien du Bové made in France. Le leader de Via Campesina a atterri à Yaoundé jeudi pour secourir son homologue. Faute de visa, il a fait demi-tour après trois heures, flinguant une «décision politique».Njonga est plus philosophe : «Il n’y a pas de révolution économique qui ne commence par une révolution des esprits.» - Liberation

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