Quelques mois seulement après son abolition, le Tchad a réintroduit jeudi la peine de mort, afin de punir les auteurs d'actes «terroristes» dans ce pays devenu la cible des islamistes nigérians de Boko Haram.
Le Tchad, en pointe dans la coalition régionale formée début 2015 contre les insurgés, a été frappé à deux reprises par des attentats-suicides en moins d'un mois, une première dans le pays.
Le président Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis 1990, a affirmé mi-juillet qu'il ne «reculerait jamais» devant les islamistes qui, après avoir subi de lourdes défaites, ont intensifié leurs raids ces dernières semaines.
C'est dans ce contexte que, après plusieurs heures de vifs débats, le Parlement tchadien a adopté dans la soirée le projet de loi antiterroriste soumis par le gouvernement. Mais en le durcissant considérablement.
Les députés ont en effet remplacé les «peines à perpétuité» prévues dans le texte initial pour les cas les plus graves par des «peines de mort».
Un choix qui a de quoi surprendre: la peine capitale avait été abolie au Tchad il y a environ six mois.
De la même façon, les députés ont remplacé par des «peines à perpétuité» les peines de huit à 20 ans de prison prévues dans la première version du texte.
La loi a été votée dans la soirée par 146 voix pour, 0 contre et 0 abstention. Une quarantaine de députés étaient absents, dans une assemblée largement dominée par les partis pro-pouvoir.
S'agissant de la garde à vue, les députés ont là aussi nettement durci les choix du gouvernement.
Alors que l'exécutif prévoyait déjà de faire passer à 15 jours, renouvelables deux fois, la durée maximale d'une garde à vue - jusque-là de 48 heures -, les députés se sont accordés sur une durée de «30 jours», renouvelable jusqu'à deux fois.
Les débats avaient été houleux tout l'après-midi. Ce sont des amendements proposés par la commission des lois qui ont permis de parvenir à un consensus.
Les débats ont surtout porté sur l'article 14 du texte de loi et sa définition du «terrorisme», jugée trop vague par l'opposition et les défenseurs des droits de l'Homme, qui redoutaient des dérives liberticides.
Le texte vise en effet les auteurs «d'actes, de menaces (attentats, prises d'otages, etc...) commis par une organisation pour créer un climat d'insécurité, exercer un chantage sur le gouvernement ou satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système». Sont également visés les actes portant atteinte au «fonctionnement régulier du service public».
Cette définition «expose les organisations de la société civile, les partis politiques à des répressions sous couvert du terrorisme», ont affirmé la Ligue tchadienne des droits de l'Homme (LTDH), l'Union des syndicats du Tchad et le Syndicat des enseignants du Tchad dans un communiqué conjoint.
Mais le texte amendé par les députés stipule désormais qu'«est exclue du champ de cette définition (du terrorisme) toute action individuelle ou collective relevant de l'expression des droits et libertés reconnus par la Constitution et les lois de la République».
«Le gouvernement a lâché du lest, nous sommes relativement satisfaits, même s'il n'y a pas de quoi pavoiser», a réagi le chef de file de l'opposition, Saleh Kebzabo, à propos de l'article litigieux.
«Personne n'est favorable au terrorisme», mais la lutte contre Boko Haram «est une aubaine pour le gouvernement tchadien», selon le député d'opposition, pour qui «cela lui permet d'organiser l'appareil répressif avant la présidentielle» prévue en 2016.
Les autorités ont très nettement renforcé les mesures de sécurité après les attentats-suicides à N'Djamena en juin (38 morts) et en juillet (15 morts).
Le maire de N'Djamena a annoncé jeudi l'interdiction de la mendicité dans la capitale.
Le port du voile islamique, qui permet aux kamikazes de camoufler des explosifs, est déjà interdit, fouilles et perquisitions se multiplient, et plusieurs centaines d'arrestations ont eu lieu ces derniers mois à N'Djamena.
Or, avant même le tour de vis lié aux tueries islamistes, les organisations internationales de défense des droits de l'Homme dénonçaient régulièrement les pratiques du pouvoir du président Déby, arrivé aux affaires par un coup d'Etat et devenu un allié-clé de la France dans le Sahel.
Selon le dernier rapport d'Amnesty International (2014-2015), de «graves violations des droits humains ont continué d'être perpétrées dans une impunité quasi totale» au Tchad. - AfricaLog avec agence