Le défunt Gnassingbé Eyadéma, maître absolu du Togo de 1967 à 2005, hante toujours Lomé, cinq ans après sa mort. Son fils Faure, qui brigue jeudi un second mandat de président, tente de se démarquer, mais reste perçu comme le candidat d'un système perdurant depuis 43 ans.
"Même nos grands frères de plus de 40 ans n'ont connu que le régime du général Eyadéma et de son fils. Quel pays évolué peut encore accepter ça?", s'interroge Robert, électronicien de 38 ans, à la terrasse d'un restaurant populaire où les plats en inox débordent de "pâte" de maïs et d'igname pilé.
Ce sympathisant de l'Union des forces du changement (UFC, opposition) regarde passer les "zemidjan" (taxis-motos) qui sillonnent sa capitale, où les rares bâtiments privés imposants sont des établissements financiers et des hôtels.
"Voyez, nous sommes sur le boulevard du 13 janvier: date de l'assassinat en 1963 du premier président indépendant du Togo, Sylvanus Olympio, qu'avait choisie Eyadema pour fêter ce qu'il appelait la +libération nationale+", dit Robert, qui assure voir encore partout des signes de "l'héritage Eyadéma".
En janvier, néanmoins, le pouvoir a décidé de ne plus célébrer cette date.
A Lomé, fief de l'opposition qui a réuni 15.000 personnes au stade municipal mardi soir, les passants demandent encore l'anonymat quand ils évoquent le règne du "vieux": 38 ans de pouvoir autoritaire et solitaire, ponctués d'assassinats et de répression meurtrière; 38 ans de gestion du pays comme "une propriété privée" qui a favorisé les "fortunes d'un clan".
Aussitôt après son décès en février 2005, l'armée avait installé aux commandes son fils Faure, alors ministre des Mines et conseiller financier d'Eyadéma. Puis l'élection, contestée, de Faure à la présidence avait été suivie d'une vague de violences réprimée dans le sang (400 à 500 morts selon l'ONU).
Cinq ans plus tard, Faure ne mentionne que très rarement son père dans ses discours et omet sur ses affiches son nom et celui du RPT (Rassemblement du peuple togolais, au pouvoir depuis 40 ans).
"Eyadéma n'est plus vraiment au centre du débat mais les attaques de l'opposition sont ciblées sur le système du père que le fils a du mal à réformer, du fait de la résistances des clans au sein de la famille, de l'armée et du RPT", analyse Augustin Amega, directeur de publication du Canard Indépendant.
"Le fils a fait l'effort de se démarquer de la manière dont le père gérait le pays en maître suprême. Mais c'est vrai qu'il y a encore des débris de ces méthodes", assure le secrétaire général de l'Union des journalistes indépendants du Togo, Credo Tetteh, pour lequel "certains caciques du pouvoir exercent toujours des formes de pression sur la presse".
A la fermeture de la campagne, mardi soir, un jeune pro-Faure vantait les mérites du président sortant sur la chaîne privée LCF pro-gouvernementale: il a "amélioré la liberté d'expression", favorisé "la reprise de la coopération" internationale en 2007 puis "s'est mis à engager des chantiers", disait-il.
Le président sortant est aussi crédité d'avoir, en 2006, ouvert le dialogue avec l'opposition, pris alors comme Premier ministre un vieil ennemi de son père, Yawovi Agboyibo (2006-2007), puis mis en place en 2009, une Commission réconciliation.
"Avant (2005), c'était terrible. Même à l'étranger, on n'osait pas parler du régime, de peur de la délation. Il y a quand même eu quelques avancées", admet Gabriel, ingénieur de 41 ans, originaire de la région des Plateaux.
"Mais quand ils parlent de réconciliation, c'est de la blague, pour moi, car le vrai clivage est entre ceux qui se partagent le gâteau national et tous les autres qui souffrent", dit-il. - AFP