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Pendaisons publiques du 25 janvier 1971: "Plus jamais ça!"

Jan 27, 2013
Pendaisons publiques du 25 janvier 1971: "Plus jamais ça!"

L'Association des victimes du Camp Boiro, AVCB a célébré ce 25 janvier 2013, la 42ème année des tristes séries de pendaisons publiques effectuées par le régime révolutionnaire de Sékou Touré, deux mois après l'agression du 22 novembre 1970. Ils ont entonné le slogan: "Plus jamais ça !", a constaté AfricaLog.com sur place.

Les membres de l'AVCB se sont rendu au «Pont 8 novembre», n'ont pas pour déposer une gerbe de fleurs comme d'habitude, mais pour lire une déclaration, par la voix de son président, Dr Fodé Maréga, fils de feu Bocar Maréga. Ils ont préféré y suspendre une affiche de la photo de la triste cérémonie, montrant dans le vide, les images des pendus sur les pans de l'ancien Pont que sont: Baldet Ousmane, Barry Ibrahima, dit Barry III, Keïta Kara de Soufiana et Moriba Magassouba. Le ministre guinéen des Droits de l’homme et des libertés publiques, Kalifa Gassama Diaby, le chef de la délégation de l’Union européenne en Guinée, Philippe Van Damme, l'ambassadeur du Royaume-Uni en Guinéen, S.E Graham Styles, des représentants d’ONG de défense des droits humains comme la FIDH (Fédération internationale de la Ligue des droits de l’homme) ont participé à la commémoration.

Les membres de l'AVCB se sont dit touchés par la reconstruction du Pont 8, à l'entrée de la commune de Kaloum, base de l'administration et centre de grandes affaires, qui n’aura laissé aucune trace de l’ancien, sur les pans duquel ont été publiquement pendus le 25 janvier 1970: Baldet Ousmane, alors Gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée, financier, monétariste et artisan de la stabilité de la monnaie guinéenne dans les années 60, Barry Ibrahima, dit Barry III, artisan de l’Indépendance et du Plan triennal, Keïta Kara de Soufiana, jeune commissaire de Police et Moriba Magassouba, compagnon de l’Indépendance. Avec eux, d'autres Guinéens en ont été également victimes dans le pays, à la même date. Le tribunal révolutionnaire créé pour la circonstance a prononcé la veille, une trentaine de condamnations à mort contre 80 Guinéens pendus ou exécutés par fusillade le lendemain, à travers toute la Guinée.

Kalifa Gassama Diaby, ministre guinéen des Droits de l’homme et des libertés publiques a dit que sa présence à la cérémonie, dénote la préoccupation du gouvernement du Président guinéen, Alpha Condé, des droits de l’homme en Guinée. Il a poursuivi : "Lorsque nous défendons les droits humains, il y a des choses qui ne peuvent jamais être justifiables ni défendables. Ce qui s’est passé ici, il y a des années, n’est pas justifiable. Il est donc légitime, dit-il, que les victimes rentrent dans leur droit. Et que notre Etat, fasse tout pour que cela ne se reproduise pas." Il a martelé qu'il n’est question ni d’ethnie, ni de sexe, encore moins d’opinion politique, mais d’humanité et que: "Tout ce qui va à l’encontre de la dignité de l’être humain doit être combattu. Chaque personne a droit à un procès équitable et que cela se fasse dans des conditions normales. Que la justice qui doit être rendue ne dégrade pas l’humain, mais qu’elle protège ses droits, quelque soit ce qu’on lui reproche."

Le ministre Gassama Diaby a exprimé la volonté du gouvernement de tout mettre en œuvre "pour que les justices, dans un processus de réconciliation global, soient rendues, et que ce qui s’est passé au Pont 8 ne se reproduise plus."

Le président de l'AVCB, Dr Fodé Maréga, a rappelé qu'il y a eu des décisions de pendre des citoyens qui ont été entachées de "nombreuses irrégularités et anomalies." Et que les accusés ont été condamnés après avoir lu des confessions rédigées par leurs geôliers, enregistrées au sinistrement célèbre, Camp Boiro après des tortures inhumaines. Après cette parodie de justice, selon lui, des députés-juges ont été arrêtés à leur tour, incarcérés au Camp Boiro, sans que leur immunité parlementaire ne soit levée.

M. Maréga a interpellé le Président Alpha Condé qui a été condamné par contumace par le régime de Sékou Touré, afin qu’il concrétise la réconciliation nationale, puisqu'il serait bien "placé pour sentir l’immense tort qui a été fait" d’autant qu’il parle souvent des atrocités qui ont été commises au Camp Boiro, "symbole de l’injustice et de crimes odieux." Et d’interroger: Comment la réconciliation souhaitée pourrait-elle avoir lieu si l’on ne disait pas enfin solennellement la vérité sur le Camp Boiro et si justice n’est pas rendue? C’est pourquoi, le président de l'AVCB a demandé au Président Alpha Condé de "déclarer nulle et non avenue les sentences du Tribunal populaire révolutionnaire, de réhabiliter les victimes de ce système à titre posthume, non seulement pour laver leur mémoire mais aussi laver leurs familles d’humiliation infligée injustement."

Dr Fodé Maréga a dit que l’AVCB a son monument en hommage aux victimes du régime de Sékou Touré et qu’elle réclame la place que l’a promise le gouvernement d'Alpha Condé pour y ériger une stèle ainsi que les pans du "Pont 8", arrachés l'année dernière, suite à la sa reconstruction. Il soutient que: "Notre rapport à l’histoire doit changer : nous devons la regarder en face, dans sa gloire comme dans ses horreurs. Nous ne devons pas nous gargariser de notre passé glorieux et banaliser les actes odieux qui l’ont émaillé."

Une histoire : "Les pendues du pont-Tombo, pieds nus, vêtus d’une simple chemise de d’une culotte grossière, avaient été torturés pendant deux mois. Leurs corps livides et décharnés, la langue tirée comme des bêtes égorgées, ont offert un spectacle inouï aux populations, y compris aux enfants des écoles, conduits de force sous les potences par la milice populaire. Les spectateurs ahuris cachaient leur épouvante en dansant sous les cadavres. Certains s’amusaient même, à l’aide de perches, à faire tourner dans tous les sens, les dépouilles accrochées. D’autres se sont livrés à des exercices indécents dont le peuple croyant de Guinée se souvient encore avec grande honte."

M. Philipe Van Damme, chef de la délégation de l’Union Européenne en Guinée a estimé que la réconciliation nationale est une thématique importante qui ne saurait se faire sans un devoir de mémoire. "En Europe, dit-il, nous avons vécu des atrocités. Tous les pays du monde ont des pages noires de leur histoire. On ne peut pas avancer vers l’avenir en niant le passé. Donc, il faut assumer le passé et en tirer des leçons pour que dans l’avenir, comme ils le disent, plus jamais ça", a-t-il déclaré avant de nier tout lien avec l'AVCB et toute autre association, au-delà des préoccupations portant sur la défense des droits de l’homme.

Son Excellence, Graham Styles, l'ambassadeur du Royaume-Uni en Guinée a dit que pour «avancer dans l’avenir, il faut regarder dans le passé, pour éviter de répéter les mêmes crimes commis.» Il dit qu'il partage la volonté d'Alpha Condé, de faire marche arrière pour éviter les mêmes fautes.

Beaucoup de réactions, de la part des enfants des victimes du Camp Boiro. M. Baoudine Baldet, un des fils de feu Baldet Ousmane, a lancé un appel à l’endroit d’Alpha Condé, pour décréter une "Journée nationale de pardon" en Guinée, comme toutes les fêtes légales, en hommage à toutes les victimes de la répression de l'Etat, de 1958 à nos jours.

Pour Mohamed Magassouba, fils de feu El Hadj Moriba Magassouba, pense qu’il est bon de dire qu’il faut tourner la page, mais, dit-il, ce n'est pas la solution pour la réconciliation nationale. "Avant de tourner une page, il faut avoir le courage de la lire. Cette page de l’histoire de la Guinée est une page tachée d’injustice de criminalité. Quand on dit pardonner, il faudrait bien situer. Qui doit pardonner? Pourquoi? Et à qui l’on doit pardonner? C’est là il y a problème…"

Mama Kara Keïta, fille de feu Kéïta Kara de Soufiana, émue, en larmes: "Le fait de changer le pont, peut-être ils pensent nous ramollir ou nous faire oublier, cela est impossible. Nous demandons une stèle pour s’y recueillir et commémorer cette date, triste de notre histoire, pour que Plus jamais ça."

Rappelons, c'est dans le cadre de l'élargissement de la voie Moussoudougou-Tombo, que le "Pont 8 novembre" a été démoli l'année dernière, au profit d'un autre plus large. Les victimes du Camp Boiro avaient demandé au ministre d'Etat chargé des Travaux Publics et Transports, Bah Ousmane de leur laisser un espace, pour y ériger une stèle en mémoire de toutes les victimes des pendaisons publiques du 25 janvier 1971, notamment. La promesse du ministre tarde encore à se concrétiser.

AfricaLog.com

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