Les propos n’auraient pas dû sortir des salons de l’Elysée: ils ont fait en quelques heures le tour des salles de rédaction et des dîners en ville. En se laissant aller à des remarques peu flatteuses sur quelques-uns de ses interlocuteurs étrangers, Nicolas Sarkozy a déclenché contre lui les commentaires acides de nombreux journaux d’Europe et des Etats-Unis.
A l’origine de l’affaire, une conversation à bâtons rompus entre le président français et un groupe de parlementaires de la majorité et de l’opposition. L’entretien porte sur le bilan du récent G20 de Londres. Sarkozy, confiera au quotidien Libération l’un de ses hôtes, s’y montre «étrangement proche de sa caricature». Il ne se donne pas simplement le beau rôle: il pimente la discussion de quelques notations sur ses partenaires, tantôt très suffisantes, tantôt condescendantes. Barack Obama? «Un esprit subtil, très intelligent et très charismatique. Mais il est élu depuis deux mois et n’a jamais géré un ministère de sa vie.» Angela ¬Merkel? «Quand elle s’est rendu compte de l’état de ses banques et de son industrie automobile, elle n’a pas eu d’autre choix que se rallier à ma position.» José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne? «Totalement absent du G20.» Le jugement le plus étonnant a trait à Jose Luis Zapatero, le chef du gouvernement espagnol. «Il n’est peut-être pas très intelligent», confie Sarkozy, qui aggrave son cas en avouant faire peu de cas de l’intelligence en démocratie. «L’important… c’est d’être réélu, estime-t-il. Regardez Berlusconi, il a été réélu trois fois.» Il n’est pas sûr que le propos, même démenti à l’Elysée, passe très bien à Madrid ni qu’il soit oublié dans dix jours, lorsque le président français y sera reçu en visite officielle. En attendant, le premier ministre socialiste a trouvé des soutiens jusque dans les rangs de l’opposition de droite. «Zapatero est notre chef d’Etat. S’il est attaqué, nous devons le défendre», déclare Esteban Gonzalez Pons, le numéro trois du Parti populaire. Plus dissonante, la presse espagnole se divise entre les organes que les déclarations de Sarkozy réjouissent et d’autres, qu’elles exaspèrent. El Periodico, un quotidien populaire de Barcelone reconnaît par exemple dans les petites phrases du chef de l’Etat français les traits de caractère d’un «fanfaron». Sur ce thème-là , les journaux anglo-saxons ne sont pas avares de variations plus acerbes les unes que les autres. Habituellement «vantard», «hyperactif» et «familier», Sarkozy s’est «surpassé», écrit le quotidien britannique The Guardian. Le «sniper» de l’Elysée met un terme à «la courte lune de miel franco-américaine», assure The Times. «Dans le monde de Sarko, relève de son côté le New York Times, le président Obama est faible, inexpérimenté et mal informé sur le changement climatique.» Nicolas Sarkozy retiendra-t-il la leçon? Sans indulgence pour ses homologues, le président de la République n’est pas quand il s’agit de lui un adepte du doute méthodique. «Jusqu’à présent, affirmait-il récemment, nous n’avons pas commis d’erreur.» - La tribune de Genève